Musique et chanson fransaskoises

par Gareau, Laurier

Lisa Hounjet et Leia Laing, deux finalistes du Gala fransaskois de la chanson et du Chant’Ouest forment le groupe Leezjah depuis 2007.

En 2006, à l'occasion du 100e anniversaire de la fondation de la Ville de Gravelbourg, le groupe musical a cappella Octopus lança son premier disque compact... après 43 ans d'existence ! Créé en 1963 au Collège Mathieu par le père Fernand Binette, o.m.i., cette formation fransaskoise allait connaître bien du succès et de nombreuses mutations. Sa longue vie, étroitement associée au Collège Mathieu de Gravelbourg, s'inscrit dans l'histoire de la chanson française en Saskatchewan. Celle-ci a toujours joué un rôle important dans la vie culturelle des Fransaskois, comme forme d'expression, occasion de rassemblement et source d'identité. Au cours du XXe siècle, elle se manifeste sous forme de chants patriotiques, de festivals et de boîtes à chansons, de chant choral et de vedettes nationales comme Hart Rouge. De nos jours, malgré des difficultés économiques certaines, la musique en français demeure bien vivante dans la communauté fransaskoise.

 

Article available in English : Fransaskois Music and Song

Un patrimoine culturel en construction

La jeune Danielle Hudon suivant une leçon de chant avec Michel Lalonde

La chanson en français, qui a débuté timidement à la fin du XIXe siècle en Saskatchewan, a encore des racines bien vivantes de nos jours. Plusieurs initiatives culturelles permettent à la musique fransaskoise non seulement de survivre, mais aussi de voir éclore de nouveaux talents. Ainsi, des concours de chanson sont organisés dans les écoles fransaskoises, le Concours RAMDAM s'adresse aux jeunes musiciens, tandis que le Gala fransaskois de la chanson et Chant'Ouest offrent de magnifiques plateformes de diffusion aux artistes. Ces concours ne sont pas seulement des compétitions de talents : ils s'assortissent aussi d'importants volets de formation. Le Conseil culturel fransaskois a d'ailleurs recours à l'expérience d'artistes chevronnés pour offrir des programmes de formation musicale. Ces efforts portent fruit : de jeunes artistes de la relève, dont plusieurs se sont mérités des prix prestigieux à divers concours ou galas nationaux, ont lancé des albums au cours des dernières années et se produisent régulièrement sur les scènes canadiennes.

Il est aussi possible de puiser dans le patrimoine même des Fransaskois pour revitaliser certains pans de la vie culturelle contemporaine. Par exemple, Annette Campagne a fait revivre la tradition des chorales dans la communauté fransaskoise avec le Gospel. En 2010, avec l'appui du Conseil culturel fransaskois et de l'Institut français de Regina, elle a regroupé plus de 100 choristes des quatre coins de la province pour deux grands concerts « Plaine de Gospel », à Gravelbourg, en juin, et à Saskatoon en novembre. Malgré d'importants défis structurels, la musique fransaskoise est donc là pour rester.

 

Les premières influences musicales

La fanfare de Whitewood vers 1890. On y reconnaît le Comte de Soras (piston), Monsieur de Wolff (clarinette), le Comte de Jumilhac (petit bugle) et le Comte de Langle ( tambour).

Exception faite des foyers métis francophones, la musique d'expression française en Saskatchewan aurait d'abord vu le jour dans la région de Whitewood vers 1885. À cette époque, plusieurs nobles venant de France s'établissent dans la région pour y exploiter des entreprises agricoles et considèrent important de transmettre leur culture dans ce pays à peine développé. À la Rolanderie (dans la région de Whitewood et Saint-Hubert dans le sud-est de la Saskatchewan), ces familles s'impliquent dans la vie sociale de la région. Certains comtes sortent même leurs vieux instruments de musique pour participer à une fanfare locale : une photographie de l'époque les montre au sein du groupe de la fanfare municipale de Whitewood. On y distingue aisément le comte de Jumilhac (le petit bugle), le comte de Soras (piston), Robert Wolfe (clarinette) et le comte de Langle (tambour) (NOTE 1).

Puis, au début du XXe siècle, alors qu'un bourdonnement d'activités de colonisation se produit au quatre coins de cette nouvelle province qu'est la Saskatchewan, une activité devient très populaire dans les petites communautés : il s'agit du « concert » du village ou de la paroisse. Empruntant librement au vaudeville américain, ce « concert » était un mélange de théâtre, de chansons, de récitals de piano et même de danse à claquettes. On retrouvait bien sûr les cahiers de « La Bonne Chanson » de l'abbé Gadbois dans la plupart des maisons. De plus, comme dans les foyers métis de l'époque, on était  sûr de trouver un violon, un piano, une guitare, un accordéon ou un harmonica dans presque tous les foyers franco-canadiens de la Saskatchewan.

Rose Alma et Raoul Jean jouent un morceau au piano et au violon

Plusieurs excellents musiciens des communautés francophones et métisses se côtoyaient en ce début de siècle. Certains d'entre eux se sont regroupés pour former des orchestres, ou « fanfares », comme on les appelait à cette époque. Jos de la Gorgendière, Gaston Dubois et Raoul Saint-Denis de Duck Lake ont formé un groupe qui jouait un mélange de mélodies traditionnelles, de danses carrées et de rengaines modernes. À Gravelbourg, on trouvait la fanfare d'Adolphe Huel, fondé en 1924, tandis qu'à Laflèche il y avait la fanfare Bourassa fondée par Tabaldo Bourassa.

Certaines chorales ont aussi vu le jour à cette époque, comme celle de Willow Bunch. Organisée par la Société Saint-Jean-Baptiste locale, la chorale comptait vingt-six voix mâles et elle était sous la direction du Dr Arsène Godin. Une chorale semblable fondée à Gravelbourg, «L'Association Philharmonique et la Chorale de Gravelbourg», ne connut cependant qu'un succès mitigé.

 

La musique dans les collèges catholiques

Partition musicale  du chant patriotique Vive « Le Patriote » du R.P. Boileau, o.m.i. et de l’abbé A Erny.

À la suite de sa fondation en 1918, le Collège catholique de Gravelbourg misera sur la musique et les sports pour établir sa réputation. Dès le début, l'institution établit sa réputation dans le domaine de la musique avec sa fanfare. Ayant compris l'influence formatrice de la musique et sachant que la culture musicale est un élément essentiel d'une bonne formation générale, les fondateurs du collège font une large place à l'étude du solfège et aux prestations musicales (NOTE 2).

C'est aussi à cette époque que des curés de la région de Gravelbourg, comme le père Georges Boileau, o.m.i. et l'abbé Louis-Pierre Gravel, ont créé une série de chansons patriotiques. Le père Boileau semble avoir inspiré directement plusieurs de ces chansons, ayant recruté des collaborateurs comme le père Henri Gervais, o.m.i, l'abbé A. Erny ainsi que E.-H. Chatillon, Pierre Gautier, J.-L. Paquet et J.-A. Contant pour composer la musique de ces chants. Au moins douze d'entre eux ont survécu jusqu'à nos jours, dans les archives de la co-cathédrale de Gravelbourg, soit Le Doux Parler Ancestral (Boileau-Gervais), L'Hymne de Gravelbourg à la Vierge Immaculée (Boileau-Gervais), Vive Le Patriote (Boileau-Erny), Le Baiser de la Langue Française aux Petits de Chez-Nous (Boileau-Chatillon), Stances Patriotiques des Écoliers de Langue Française à la Vierge Immaculée (Boileau-Gervais), Le Blé Qui Lève (Boileau-Gervais), La Patrie (Boileau-Gautier), L'Éclosion des Berceaux (Boileau-Paquet), Floraison de Lys au Canada Français! (Boileau-Contant), La Survivance de Dollard des Ormeaux (Boileau-Gervais), À l'Avant-Garde! O Dollard des Ormeaux! (Boileau-Contant) et Reviens Dollard... Combattre Jusqu'au Bout! (Boileau-Chatillon).

 

Survivre aux années difficiles

La crise économique des années 1930 ralentit l'élan musical de la communauté franco-canadienne de la Saskatchewan... sans pour autant la détruire complètement, car malgré la misère et la pauvreté, il était important de se regrouper en famille pour chanter et danser. Après la Crise, puis la Seconde Guerre mondiale, on tente de redévelopper un goût pour la chanson française, surtout avec l'arrivée de la radio française à Gravelbourg (CFRG) et à Saskatoon (CFNS) en 1952. Durant les années 1950, c'est la belle époque des Festivals de la chanson. L'abbé Roger Ducharme, visiteur des écoles pour l'Association catholique franco-canadienne de la Saskatchewan (ACFC) est pendant plusieurs années l'un des piliers de cet événement dans le sud de la province. Chaque année, il parvient à regrouper des chorales et des solistes des couvents et des écoles de campagne à travers le sud de la Saskatchewan pour un grand festival qui se tient invariablement dans le gymnase du Collège Mathieu à Gravelbourg. Quelques 300 à 400 élèves montent alors sur la scène pour faire entendre leur voix. Un festival semblable avait aussi lieu dans le nord, mais il ne semble pas avoir connu autant de succès que celui de l'abbé Ducharme.

La fanfare du Collège Mathieu en février 1946

Les « boîtes à chanson » deviennent aussi très populaires dans la province durant les années 1960 : elles permettent l'émergence de certains artistes comme Henri Loiselle, Claudette Bouffard, Les Shenandoes et plusieurs autres. Puis, la fin des années 1960 voit l'émergence de la chorale Les Voix du printemps à Saskatoon sous la direction de Louise Haudegand. Cette chorale a connu un énorme succès jusqu'au départ de sa directrice.

 

Le Collège Mathieu et les origines d'Octopus

La première formation de l'Octopus en 1964 sous la direction du R.P. Fernand Binette, o.m.i.

En 1963, le père Fernand Binette, o.m.i., choisit les huit meilleures voix adultes masculines de la chorale du collège Mathieu pour constituer un nouveau groupe : Octopus, qui a laissé sa marque dans la province. La formation originelle est composée de Réal Forest, André Gauthier, Henri Léost, Henri Lepage, Denis L'Heureux, André Moquin et Paul Morin, tous de Gravelbourg, et de Léo Pinel, originaire de Moose Jaw. «Nombreux sont les Fransaskois et les Fransaskoises et [...] les anciens élèves du Collège Mathieu qui se rappellent d'avoir entendu Octopus, cette formation musicale [...]. Le groupe [...] se spécialisait dans la musique a capella, le folklore et la musique populaire. » (NOTE 3) Le père Omer Desjardins, o.m.i., accompagnait au piano le groupe qui se perpétue pendant plusieurs décennies, avec l'arrivée de nouvelles recrues venant remplacer les membres qui quittaient. Réal Forest, Henri Lepage et André Moquin sont les trois seuls anciens collégiens qui ont participé à l'aventure d'Octopus du début jusqu'à la fin. Après le lancement de leur unique CD, en 2006, le groupe a décidé de laisser la place à d'autres, après avoir été le principal ambassadeur de la chanson fransaskoise pendant plus de 45 ans.

C'est à l'automne de 1971 qu'arrive au Collège Mathieu un ancien collégien, Donald Sirois, qui met sur pied le MAT et fonde ainsi une institution qui deviendra aussi légendaire que l'Octopus. Bien entouré à ses débuts par des élèves talentueux comme Gerry Pittet, Phillip Fournier, Solange Campagne et Julien Poulin, Sirois réussit à créer une école de formation pour de futurs musiciens et chanteurs fransaskois. Plusieurs des membres de la famille Campagne (Paul, Carmen, Annette et Michelle) ont suivi Solange comme membre du MAT et leur soeur aînée, Suzanne, en a été la directrice pendant quelques années à la fin des années 1970 (NOTE 4). De nombreux autres musiciens et chanteurs ont commencé leur carrière avec le MAT, comme Andrée Noonan, Lisa Hounjet (Leezjah), Cathy Chouinard (Clemonica) et Charles Dumont. Bien que le MAT existe toujours, il faut dire que le Collège Mathieu n'est plus ce qu'il était : avec à peine 25 élèves de niveau secondaire (données de 2009). Par conséquent, la formation musicale n'a évidemment plus le même dynamisme qu'elle avait lorsque le collège comptait 150 ou 200 élèves...

 

Rayonnement de la musique fransaskoise

Affiche de concert d'Hart-Rouge

Les années 1980 voient le groupe Hart Rouge et la chanteuse Carmen Campagne accéder à une renommée nationale, tandis que Julien Poulin connaît un grand succès dans les écoles de l'Ouest canadien. Ceci permet à la musique fransaskoise de s'exporter et de rayonner. En province, des groupes comme l'Association des artistes de la Saskatchewan et le Conseil culturel fransaskois unissent leurs efforts pour créer un mécanisme de développement des jeunes de la relève musicale fransaskoise. En 1990, l'AAS organise un premier Gala fransaskois de la chanson à Prince Albert ; Andrée Noonan (auteure-compositeure-interprète) et Béatrice Gaudet (interprète) sont les deux premières lauréates du concours. Voulant aller plus loin dans le développement, Craig Pollack et d'autres membres de l'AAS travaillent d'arrache-pied pour mettre en place le programme Initiation professionnelle à la chanson (InPAC) qui accompagnera le Gala provincial de la chanson.

Le Gala renouvelle l'intérêt pour la chanson française en Saskatchewan. À Regina, cet intérêt donne lieu au Fou du roi au début des années 1990, alors que des artistes comme Andrée Noonan, Joël Findlay, Béatrice Gaudet (Mama Bea et les Bon Temps Playboys) et même Donald Sirois créent des spectacles de musique.

Anique Granger, auteure-compositrice-interprète de l’année au Gala fransaskois de la chanson 1993-1994

Plusieurs autres artistes fransaskois se sont démarqués depuis 1990, comme Danielle Hudon, Alain Pomerleau, Leia Laing, mais celle qui a connu le plus de succès dans le domaine de la chanson est sans aucun doute la jeune et talentueuse Anique Granger. En mars 2009, elle remporte le prix pour l'album francophone de l'Ouest canadien au prix Trille Or à Ottawa. Leia Laing (2005), Scott Richmond et Véronique Poulin (2008) et Alexis Normand (2010) ont représenté l'Ouest canadien au prestigieux Festival international de la chanson de Granby. Shawn Jobin fut finaliste pour le prix de l'album francophone au Western Canadian Music Awards en 2010 à Kamloops en Colombie-Britannique. Plusieurs jeunes artistes, dont Anique Granger, François Tremblay, Annette Campagne, la Raquette à claquettes, les Cireux de semelles, Jean Bilodeau, Shawn Jobin et Alexis Normand ont lancé des albums au cours des dernières années.

 

Assurer la relève pour la musique fransaskoise

Le contexte socioéconomique des dernières années a été difficile pour les Fransaskois : les arts de la scène écopent. Trop souvent encore, d'excellents musiciens et chanteurs de la Saskatchewan choisissent de poursuivre leur carrière en anglais parce qu'ils ne peuvent compter sur un regroupement comme le 100 NONS au Manitoba ou le Centre de développement musical en Alberta. L'Association des artistes de la Saskatchewan a disparu, victime des compressions budgétaires du gouvernement fédéral dans les années 1990. Mais si la communauté fransaskoise n'est plus aussi vibrante qu'elle l'était il y a à peine 15 ans, la tradition musicale survit malgré tout. Par exemple, malgré des ressources financières quasi inexistantes, le Conseil culturel fransaskois, avec le soutien de la radio de Radio-Canada, a réussi à maintenir le programme InPAC et le Gala fransaskois de la chanson.

La Raquette à claquettes présente leur type de musique folklorique depuis 1996

On tente malgré tout de favoriser la relève. Dans les écoles francophones, une version saskatchewanaise de «Secondaire en spectacle» a été initiée par le Conseil culturel fransaskois il y a quelques années. Le projet a été repris par le Conseil des écoles fransaskoises. La fête fransaskoise contribue aussi à créer un engouement pour la chanson et la musique fransaskoise. Toutefois, un manque de ressources humaines et financières limite l'impact de ces initiatives sur le développement des jeunes de la relève musicale. L'Association jeunesse fransaskoise tente de remplir le vide avec un concours pour jeunes musiciens, le Concours RAMDAM. Les programmes de formation musicale au Conseil culturel fransaskois offre l'expertise d'une excellente équipe de formateurs, parmi lesquels Annette Campagne, Dave Lawlor, Philippe Fournier, Francis Marchildon, Jean Bilodeau, Christie-Anne Blondeau, Michel Lalonde et Alexis Normand.

La musique et la chanson française en Saskatchewan semblent connaître une nouvelle phase de croissance, malgré une communauté fransaskoise qui peine à se trouver une identité. C'est peut-être par ses artistes musicaux que l'on fera à nouveau vibrer le mot FRANSASKOIS !

 

Laurier Gareau

 

 

NOTES

1. Laurier Gareau, « L'activité culturelle et artistique dans la communauté franco-canadienne de la Saskatchewan au début du XXe siècle », Revue historique, vol. 5, no 4, avril 1995, p. 1.

2. Ibid., p. 4.

3. Paul Heppelle, « Octopus », Revue historique, vol. 17, no 1, septembre 2006, p. 1.

4. Annette Campagne a aussi été directrice du MAT au début des années 2000.

 

 

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