Colline du Calvaire d’Oka

par Piédalue, Gilles

 

Les trois chapelles au sommet du Calvaire de la colline d'Oka

La colline du Calvaire d’Oka est un site patrimonial important, mais quelque peu oublié aujourd’hui. Il est situé au cœur du parc national d’Oka, à l’ouest de l’île de Montréal. La construction de ce chemin de croix remonte aux années 1740, au moment où la Nouvelle-France atteint son apogée. Il prend la forme d’un sentier forestier conduisant à trois chapelles juchées au sommet et le long duquel s’échelonnent quatre oratoires. Au départ, les missionnaires s’en servent pour enseigner aux néophytes amérindiens les moments forts de la Passion du Christ. Puis, au XIXe siècle, le calvaire d’Oka devient l’un des plus importants lieux de pèlerinage du Québec. Depuis 1974, les autorités du parc d’Oka cherchent à protéger le caractère unique de ce site et à mettre en valeur ce joyau d’architecture religieuse datant de la Nouvelle-France.


Article available in English : Calvaire Hill at Oka

Les grandes étapes de fréquentation du calvaire d’Oka

Oratoire sur le sentier du Calvaire d'Oka

La pratique du chemin de croix remonte aux grands pèlerinages du Moyen Âge en Palestine. L'Église accordait alors des indulgences aux pèlerins qui se rendaient à Jérusalem faire le chemin de la croix sur les pas du Christ. À cette époque, les Franciscains ont eu l’idée de reproduire ce chemin de croix dans leurs églises. Celui-ci comptait alors sept stations, comme à Oka, où elles sont réparties le long du sentier sinueux menant au sommet d’une colline qui évoque le mont Golgotha, où Jésus fut crucifié.

Nombreux à provenir de Bretagne, où la dévotion au calvaire était très répandue au XVIIIe siècle, les Sulpiciens de la région de Montréal popularisent cette pratique en Nouvelle-France. Entre 1740 et 1742, le sulpicien breton Hamon Le Guen fait construire, non loin de la mission du Lac-des-Deux-Montagnes, ce chemin de croix afin d’enseigner la Passion du Christ aux Amérindiens.

Au rythme du développement des paroisses avoisinantes, les habitants d’origine européenne prennent progressivement la relève des Amérindiens dans les pèlerinages annuels au calvaire d’Oka. À la fin du XIXe siècle, lessor du chemin de fer et de la navigation à vapeur en fait l’un des lieux de pèlerinage les plus fréquentés du Québec. Sa popularité décline par la suite jusqu’aux années 1950. Puis, victime de l’abandon soudain de la pratique religieuse au Québec, l’endroit perd rapidement son attrait auprès de la population. Aujourd’hui, sa conservation et sa mise en valeur sont prises en charge par le parc national d’Oka, qui propose en même temps aux amateurs de plein air un sentier au caractère patrimonial unique.


Histoire des pèlerinages d’Oka

En 1676, située sur la rive sud de l’île de Montréal, la mission de Kentaké concentre les différentes nations amérindiennes converties à la religion catholique de la région : Hurons, Agniers, Onneiouts, Algonquins et Nipissingues (NOTE 1). C'est de ce noyau initial que proviennent les Amérindiens des missions fondées par la suite autour de Ville-Marie, dont celle du Lac-des-Deux-Montagnes, que les Sulpiciens établissent en 1721 au confluent du lac du même nom et de la rivière des Outaouais. Selon ces derniers, l’endroit, facile à défendre et situé sur la route de la traite des fourrures, attirera davantage d'Amérindiens. Les Sulpiciens y construisent des habitations, une église, deux écoles et un fort.

Vers 1750, cette mission compte une population de 750 âmes formée principalement d'Amérindiens. À l’ouest du fort, les Agniers et les Hurons, nations d’agriculteurs sédentaires de la famille linguistique iroquoienne, vivent ensemble. À l’est du fort, les Nipissingues et les Algonquins, nations de chasseurs nomades de la famille linguistique algonquienne, ont chacun leur propre cantonnement. Les missionnaires et la garnison occupent le fortin situé au centre de la mission. Quelques religieuses, des notables et des colons d’origine européenne habitent aussi la mission.

Le lac des Deux Montagnes au XIXe siècle

Le jour de la fête de l’Exaltation de la Sainte Croix, le 14 septembre, est un événement important à la mission du Lac-des-Deux-Montagnes. Cette fête commémore dans la Chrétienté le retour à Jérusalem de la Sainte Croix reprise aux Perses en 626. Elle survient près de l'équinoxe d'automne et marque la fin des récoltes. L’événement offre en même temps une pause aux Amérindiens avant leur départ pour la chasse d’hiver. Les Sulpiciens profitent de ce moment pour organiser de grandes manifestations au calvaire d’Oka. C'est une occasion privilégiée de rencontres pour les Amérindiens jusque vers 1870, période où plusieurs d'entre eux vont adhérer à la religion protestante.

Au cours du XIXe siècle, les habitants des paroisses avoisinantes prennent progressivement la relève des Amérindiens dans les pèlerinages annuels au calvaire. Vers 1830, les résidents des environs commencent à fréquenter le site en compagnie des Amérindiens (NOTE 2). C’est à partir des années 1850 que les Montréalais se joignent aux dévots en plus grand nombre. À cette époque, Oka s’impose comme le lieu de pèlerinage le plus populaire de la grande région de Montréal. Au même moment, en Europe, les apparitions miraculeuses de Paris (1830), de Notre-Dame-de-la-Salette (1846) et de Lourdes (1858) déclenchent un renouveau des pèlerinages qui se manifeste aussi au Québec. Le sanctuaire de Sainte-Anne-de-Beaupré connaît alors une fréquentation accrue et de nouveaux lieux de pèlerinage apparaissent : Notre-Dame-de-Lourdes à Rigaud en 1874, Cap-de-la-Madeleine en 1888 et la grotte d'Huberdeau en 1892 (NOTE 3).

Dès 1872, les Sulpiciens de la paroisse Notre-Dame de Montréal encouragent leurs fidèles à se rendre à Oka pour faire le chemin de croix. Grâce au développement du chemin de fer et de la navigation à vapeur à la fin du XIXe siècle, Oka devient alors l’un des lieux de pèlerinage les plus fréquentés du Québec. Durant les années 1880 et 1890, on y célèbre même deux fêtes au calvaire. La première se tient le 14 septembre pour les gens venus en bateau à vapeur et la seconde se déroule le dimanche suivant pour les habitants de la région.

Bateau à vapeur Empress accosté au quai d'Oka, vers 1920

En 1889, les journaux parlent d'une foule évaluée à 30 000 personnes (NOTE 4). Les pèlerins de la paroisse Notre-Dame de Montréal partent en train de la gare Bonaventure vers 8 heures du matin. Rendus à Lachine, un vapeur de la Compagnie de navigation de la rivière Ottawa les conduit au quai d'Oka, où ils descendent à 10 heures. Le retour est prévu pour 15 heures. Entre-temps, les pèlerins se rendent à l’église paroissiale en chantant et en priant. Des indulgences sont accordées à ceux qui se confessent, communient et prient pour le pape à cette occasion. Ensuite, les pèlerins empruntent le chemin de L’Annonciation. Bifurquant à droite à la barrière de la croix, ils se rassemblent à « l'Orée », au pied d'une grande croix rouge, avant d'entreprendre l’ascension. Là, sur une petite tribune, un prédicateur s’adresse à la foule. Après avoir traversé la ferme du Calvaire, les pèlerins s'engagent sur un sentier rocailleux dont le trajet aller-retour fait six kilomètres au total. Durant la marche et les moments d'arrêt aux stations, des chants et des prières se font entendre. Au sommet, devant les chapelles et trois grandes croix de bois fichées en terre, un prédicateur monté sur une tribune s'adresse encore à la foule. Au retour, les pèlerins s'arrêtent de nouveau à l'église du village pour vénérer une relique de la Vraie Croix. Par la suite, on prendra l’habitude de faire cette cérémonie au sommet de la colline.

La foule de pèlerins rassemblé autour des trois chapelles

À partir du XXe siècle, le trajet emprunté par la procession entre l’église et le premier oratoire va changer quelque peu. Par contre, entre le premier oratoire et les chapelles situées au sommet, le tracé du sentier est resté le même depuis sa création. C’est à partir du tournant du siècle que les foules se font moins nombreuses à Oka, bien que les pèlerinages demeurent populaires au Québec durant toute la première moitié du XXe siècle. En 1948, on compte encore 5 000 pèlerins à Oka lors de la fête au calvaire. Puis, dans les années 1960, ce pèlerinage ne regroupe plus que quelques centaines de personnes. Ensuite, comme dans la plupart des lieux de pèlerinage québécois, on constate une baisse radicale de la fréquentation. C’est l’essor du plein air et du tourisme culturel qui permettra de garder vivant le site du calvaire d’Oka dans la mémoire collective, alors que, de nos jours, le pèlerinage au calvaire d’Oka attire encore quelques fidèles, surtout le dimanche le plus près du 14 septembre.


Intégration au parc national d’Oka et efforts de conservation et de mise en valeur du site

En 1936, les Sulpiciens vendent leur seigneurie à la Compagnie immobilière belgo-canadienne, mais ils conservent la desserte de la paroisse de L’Annonciation d’Oka. Cette transaction inclut la colline du Calvaire. En 1939, puis en 1942, les Sulpiciens doivent liquider quelques terres et emprunter au gouvernement du Québec pour payer certaines dettes. Cet emprunt sera réglé en 1962 par l’achat d’un petit territoire de 1,6 kilomètre carré par le gouvernement du Québec. D’abord appelé réserve de chasse et de pêche de Deux-Montagnes, le territoire est rebaptisé parc provincial d’Oka l’année suivante. En 1968, il prend le nom de parc Paul-Sauvé, en l’honneur de ce député de la circonscription de Deux-Montagnes qui avait été premier ministre du Québec en 1960.

Rapidement, les infrastructures de la plage et du camping du parc Paul-Sauvé ne suffisent plus à la forte demande pour les activités de plein air. En 1974, le gouvernement du Québec acquiert donc les secteurs du Calvaire, de la colline Masson et de la Grande Baie. La superficie du parc passe alors à 23,7 kilomètres carrés (NOTE 5). La même année, la colline du Calvaire est classée arrondissement historique par le gouvernement du Québec, alors que, l’année précédente, les bas-reliefs des oratoires et des chapelles étaient déjà désignés biens culturels.

Un oratoire

Ces décisions arrivent au bon moment puisque les édicules en mauvais état sont la cible de vandales en 1970. Deux bas-reliefs subissent aussi des dommages importants. Les sculptures sont alors retirées des oratoires et mises à l’abri dans l’église paroissiale. Restaurés en 1978 par la Galerie nationale du Canada, les bas-reliefs peuvent être admirés à la chapelle Kateri-Tekakwitha de l’église de L’Annonciation d’Oka. En 1980, la Société immobilière d’Oka cède finalement les bas-reliefs à la fabrique de la paroisse d’Oka.

Les chapelles et les oratoires sont aussi restaurés en 1978. On met en place des panneaux d’interprétation au départ du sentier et des reproductions remplacent les sculptures originales dans les édicules. Le calvaire d'Oka est classé site historique en 1982 en raison de son intérêt comme témoin de l'évangélisation des Amérindiens aux XVIIe et XVIIIe siècles et de son caractère unique. De plus, la valeur patrimoniale du calvaire d'Oka repose aussi sur sa dimension ethnologique, puisqu’il évoque une pratique qui a été très populaire dans l’histoire du Québec, le pèlerinage.

Depuis 1999, la direction du parc a franchi plusieurs étapes du plan de mise en valeur et de revitalisation du site. La Société des établissements de plein air du Québec a d’abord produit un rapport sur les meilleurs moyens de lui redonner vie, incluant la liste des travaux de restauration et d’aménagement à effectuer. Parallèlement aux travaux entrepris par la suite, des copies des bas-reliefs ont été réalisées par le sculpteur Georges Vincelli et installées dans les édicules en remplacement des originaux. On s’affaire présentement à la préparation d’une exposition permanente qui se tiendra dans un pavillon consacré au site historique du calvaire.


Un site patrimonial exceptionnel

De nos jours, le sentier du calvaire d'Oka reçoit chaque année des milliers de visiteurs. Amateurs de plein air, amants de la nature et passionnés d'histoire y trouvent de quoi satisfaire leur goût pour la nature, la culture et la tranquillité. En toute saison, les visiteurs remontent le temps en parcourant ce site qui nous est parvenu dans un état de conservation exceptionnel. Comme au temps de la colonie française du Saint-Laurent, cet endroit encore isolé a conservé son état primitif. Dans le silence de la forêt, le long du sentier qui gravit la colline, au pied des oratoires, devant les chapelles d’inspiration romane ou face à la beauté du panorama qui s’offre aux promeneurs une fois rendus au sommet, tout prête au recueillement, à la méditation et à la contemplation. La colline du Calvaire d’Oka, en plus d’être un site historique de grande valeur, se situe dans un environnement d’une richesse naturelle exceptionnelle.

Le lecteur qui s’intéresse aux aspects architecturaux et aux œuvres d’art du calvaire d’Oka pourra consulter l’annexe détaillée consacrée à ces questions.

 

Gilles Piédalue
Historien
Parc national d’Oka

 

NOTES

1. R. Cole Harris, Atlas historique du Canada, vol. I : Des origines à 1800, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1987, pl. 47.

2. Louis Rousseau et Frank W. Remiggi, Atlas historique des pratiques religieuses : le sud-ouest du Québec au XIXe siècle, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, 1998, p. 124.

3. Guy Laperrière, « Les lieux de pèlerinage au Québec : une vue d’ensemble », dans Pierre Boglioni et Benoît Lacroix (édit.), Les pèlerinages au Québec, Québec, Presses de l'Université Laval, 1981, p. 29-64.

4. John R. Porter et Jean Trudel, Le calvaire d’Oka, Ottawa, Galerie nationale du Canada, 1974, p. 50.

5. Acquisition par le gouvernement du Québec de la colline du Calvaire à la Société immobilière d’Oka. Depuis 1990, son statut est celui de parc de récréation d’Oka. Classé parc national en 2001 sous la gestion de la Société des établissements de plein air du Québec (Sépaq), le domaine porte le nom de parc national d’Oka.

 

BIBLIOGRAPHIE

Cloutier, Nicole, « Calvaire, Oka », dans Québec, Commission des biens culturels, Les chemins de la mémoire, t. II : Monuments et sites historiques du Québec, Québec, Publications du Québec, 1991, p. 403-404.

Drouin, Daniel, « Œuvres d'art des chapelles du calvaire d'Oka », dans Québec, Commission des biens culturels, Les chemins de la mémoire, t. III : Biens mobiliers du Québec, Québec, Publications du Québec, 1999, p. 135-138.

Harris, R. Cole, Atlas historique du Canada, vol. I : Des origines à 1800, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1987, 198 p.

Laperrière, Guy, « Les lieux de pèlerinage au Québec : une vue d’ensemble », dans Pierre Boglioni et Benoît Lacroix (édit.), Les pèlerinages au Québec, Québec, Presses de l'Université Laval, 1981, p. 29-64.

Porter, John R., et Jean Trudel, Le calvaire d’Oka, Ottawa, Galerie nationale du Canada, 1974, 125 p.

Québec, Ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, « Calvaire d'Oka : valeur patrimoniale et information historique », Répertoire du patrimoine culturel du Québec [en ligne], http://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/RPCQ/detailBien.do?methode=consulter&bienId=93537.

Rousseau, Louis, et Frank W. Remiggi, Atlas historique des pratiques religieuses : le sud-ouest du Québec au XIXe siècle, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, 1998, 235 p.


Documents complémentairesCertains documents complémentaires nécessitent un plugiciel pour être consultés

Photos
PDF

Ailleurs sur le web

Retour vers le haut

© Tous droits réservés, 2007
Encyclopédie du patrimoine culturel
de l'Amérique française.

Gouvernement du Canada