Maurice Richard, 1ère partie: le hockeyeur

par Perrone, Julie

Maurice Richard, 29 décembre 1945

En devenant le plus grand joueur de hockey de son temps, Maurice Richard est aussi devenu un héros pour les tous les Canadiens français. Depuis l'émeute causée par sa suspension en 1955, le culte de Maurice Richard s'est sans cesse renouvelé jusqu'à donner naissance à un véritable mythe.  L'évolution de l'appropriation collective des exploits du « Rocket » nous informe des valeurs changeantes de la société québécoise et canadienne. Il faut cependant souligner que ce mythe a pu émerger grâce aux exploits sportifs qui ont rapidement atteint une dimension légendaire.  Ces derniers ont nourri la construction de son image de héros.


Article available in English : Maurice Richard, the Hockey Player (part 1)

Maurice « Rocket » Richard, joueur vedette des Canadiens de Montréal

Maurice Richard a évolué avec le Canadien de Montréal de 1942 à 1960.  Avec plus de 600 buts à son actif et de nombreux exploits extraordinaires, Maurice Richard, surnommé le « Rocket » à cause de sa vitesse fulgurante sur la glace, est sans aucun doute l'un des plus grands héros sportifs du Québec.  

Ce statut de héros voit le jour le 8 novembre 1942, quand il compte son premier but dans l'uniforme du Bleu-blanc-rouge. Dans tous les quotidiens de Montréal, on le compare d'ores et déjà au légendaire Howie Morenz, le regretté numéro 7.  La comparaison permet d'illustrer l'étendue du talent qu'on prête à Maurice Richard.  Elle crée des attentes très élevées chez les partisans et les journalistes sportifs. Malheureusement, comme plusieurs joueurs à leurs débuts, Maurice Richard est souvent critiqué et même considéré comme un « citron » quand sa performance laisse à désirer. On craint qu'il soit une mauvaise acquisition car sa carrière est freinée par de nombreuses blessures.  De façon graduelle, le Rocket devient cependant un bon marqueur et fait parler de lui grâce à son tempérament explosif et à des exploits hors de l'ordinaire.

Canadiens de Montréal, octobre 1942

L'un de ses premiers exploits légendaires survient le 17 décembre 1944, alors que Maurice Richard et Bob « Killer » Dill, un joueur des Rangers de New York reconnu pour sa rudesse, mènent un combat mémorable sur la glace de New York.  La couverture médiatique qui avait précédé la partie de hockey est importante car elle avait polarisé ces deux individus selon leurs talents respectifs : compteur versus batailleur, ainsi que selon leurs origines : francophone du Québec versus anglophone de New York.  Contre toute attente, et peut-être en réponse à cette polarisation, Maurice Richard donne une sévère raclée à Dill. À une autre occasion, Richard réussit à compter un but malgré la surveillance étroite du défenseur Earl Seibert des Red Wings de Détroit qui s'accroche à ses épaules pour arrêter sa course. Mais ce dernier continue son chemin et marque un but d'une seule main. 

Plusieurs autres histoires bien connues ont contribué à changer le statut de Maurice Richard de simple hockeyeur à joueur vedette. Pensons au but qu'il a compté en 1952 dans un état de semi-conscience suite à une mise en échec, ou à son record de cinquante buts en cinquante parties, ou au fait qu'il est le premier à atteindre le plateau des 500 buts en carrière. Ces exploits et ces records permettent au Rocket d'atteindre un très haut niveau de popularité.

Les prémisses à la mise en patrimoine de Maurice Richard, pourrait-on dire, la construction de son mythe, se caractérisent par un assouplissement progressif de son image de dur à cuire et par le gonflement de ses prouesses. Richard est d'abord connu comme un joueur explosif qui réagit de façon violente et inattendue, voire inappropriée. Puis on se met à justifer ces réactions, par son caractère naturel (et donc excusable) et par l'attitude des autres joueurs.  Tout de suite après les événements du 17 décembre 1944, Maurice Richard se fait reprocher par les journalistes sportifs d'avoir rudoyé Bob « Killer » Dill, ces derniers qualifiant le geste du Rocket d'attaque gratuite.  Mais en 1998, on explique que Richard y avait été forcé par les propos à caractère ethnique tenus par Dill.  Lors d'un autre match, une altercation avec un arbitre est rapportée dans les journaux du lendemain selon deux versions : d'un côté on dit qu'il repoussa un arbitre, de l'autre on dit qu'il l'attaqua. Peu à peu, on conserve la version qui présente Richard sous un jour avantageux.  De façon similaire, bien qu'il existe deux versions des gestes qui ont causé la fameuse suspension du Rocket en 1955, l'histoire effacera l'une des versions.  On préférera dire que Richard avait envoyé un coup de poing au visage d'un arbitre parce qu'il était sonné et ne voyait rien, plutôt que parce qu'il s'est vengé de ses mésaventures.

Tony Demers, Elmer Lach, Maurice Richard, Forum de Montréal, 26 novembre 1942

Quant aux exploits les plus célèbres, étrangement, plus le temps passe, plus on apprend de détails sur les circonstances qui les entourent. Mentionnons le record de cinq buts et huit points du 28 décembre 1944, en soi matière à légende, qui devient mythique lorsque l'on apprend que Maurice Richard avait déménagé cette journée-là.. Pusieurs années plus tard, l'exploit sera agrémenté d'un autre volet : Richard avait cassé son bâton et joué cette partie avec le bâton d'un autre joueur. 

Plusieurs années après les faits, le but compté d'une seule main malgré le défenseur Earl Seibert impressionne encore plus lorsque l'on révèle le poids de celui qui s'accrochait à ses épaules. Le lendemain du match, on ne parle que du résultat final de la joute. Puis des détails font surface et prennent de l'ampleur avec le temps.  En 1960, on écrit que ce défenseur pesait 198 livres. Son poids passera à 225 livres en 1998, et à 250 livres en 2005 .  Le même phénomène se produit à propos du but qu'il aurait compté dans un état de semi-conscience le 8 avril 1952. Dans les journaux du lendemain, la description de la blessure infligée à Maurice Richard diffère considérablement : certains évoquent une coupure alors que d'autres affirment que Richard gisait dans une flaque de sang. Il est maintenant couramment admis que cette blessure était assez importante pour empêcher Richard de voir, d'entendre et même de comprendre ce qui se passait, ce qui contribue à la force de ce récit. 

 

La suspension de 1955

Le 16 mars 1955, on annonce la suspension de Maurice Richard.   Le joueur vedette ne pourra participer au reste de la saison régulière, ni aux éliminatoires, une punition reconnue par la plupart des journalistes sportifs comme l'une des plus sévères jamais octroyée par la Ligue nationale de hockey.  Les événements qui expliquent cette suspension ont eu lieu lors de la partie du 13 mars, durant laquelle Richard frappe avec son bâton Hal Laycoe, des Bruins de Boston, en réponse à un coup qu'il a reçu de ce dernier.  Une mêlée s'ensuit et les arbitres tentent d'intervenir; ce faisant, l'un deux se mérite un coup de poing à la figure, gracieuseté du Rocket.  Ce dernier est suspendu pour le reste de la joute.

Dès le lendemain, l'événement est mis sous enquête par la Ligue qui doit en évaluer la gravité et décider d'une peine juste et équitable.  La sanction est annoncée le 16 mars par le biais d'une déclaration signée par Clarence Campbell, le président de la Ligue.  Celui-ci justifie sa décision par la mauvaise conduite continue de Maurice Richard et le besoin d'y mettre un frein.  Or, un match du Canadien de Montréal est prévu le soir même et. Clarence Campbell promet d'y être présent. Tout cela est considéré comme un affront par les admirateurs du Canadien.  À l'extérieur du Forum, une foule brandit des pancartes « À bas Campbell » et « Vive Richard ».  Au milieu du match, quand le Forum est évacué à cause d'une bombe lacrymogène lancée par un admirateur, la foule extérieure, renflouée par les évacués, réagit violemment. Elle lance des projectiles dans les vitrines, saute sur les voitures et met le feu aux poubelles. L'émeute se termine vers deux heures du matin, à la suite de quelques arrestations.

Le lendemain, Maurice Richard se retrouve en page couverture de presque tous les quotidiens du pays, lui qui avait été cantonné jusque là dans les pages sportives.  Malgré le caractère sportif de cette information, les réactions sont si prononcées qu'elles deviennent d'actualité pour tous. Maurice Richard intervient même publiquement pour calmer la population. Désormais, le Rocket rayonne au-delà de l'enceinte du Forum. Il devient plus qu'un joueur de hockey.

Richard Soup


À cette occasion, les événements justifiant la suspension de Richard sont reportés au second plan, au profit de l'injustice de la suspension et de l'ampleur de ses conséquences. On parle d'une mise en péril des chances du Canadien de gagner la coupe Stanley.  Malgré tout, l'équipe se rendra en finale et perdra de justesse contre les Red Wings de Détroit.  Il est possible qu'une victoire du Canadien cette année-là aurait altéré l'essence mythique de l'événement qui s'est nourri depuis ce jour de nombreuses hypothèses sur ce qui aurait pu arriver si Richard avait été là. 

L'émeute elle-même sera souvent interprétée par la suite comme une manifestation des tensions ethniques qui existaient dans la société québécoise. L'émeute, d'abord simplement reliée à un événement de hockey, est réinterprétée sous un jour nationaliste par la plume du journaliste André Laurendeau qui, le premier, fera un commentaire en ce sens quatre jours plus tard . Ce nouveau point de vue permet de présenter une image valeureuse d'un Maurice Richard forcé par les autres à réagir violemment, plutôt que celle d'un hockeyeur au caractère violent, imprévisible et incontrôlable.  De plus, l'association de Richard à une cause collective favorise l'idéalisation du héros.

 

De 1955 à 1960 : Cinq coupes mais pas de légendes

Après 1955, Maurice Richard continue d'exceller sur la glace. Mais ses exploits ne sont plus encensés ni portés aux nues comme les années précédentes.  Bien que le Rocket soit en grande partie responsable des cinq coupes Stanley qui couronnent la fin de sa carrière, il ne marque plus de buts en étant semi comateux et ne promène plus de joueur sur ses épaules. Par contre, il offre une performance relativement égale et compte régulièrement.  Ils semble toutefois que la suspension de Richard ait eu un effet bénéfique sur ce dernier.  Les statistiques démontrent une réduction évidente du temps passé au banc des punitions.  Il semble que le tempérament de Richard soit devenu moins explosif : il se bat moins et profitait de plus de temps de glace. Peut-être est-il conscient de la pression sociale accrue qui s'exerce sur lui. En fait, même s'il n'est plus l'objet de légendes fantastiques, Maurice Richard continue d'être admiré et termine sa carrière avec cinq coupes Stanley consécutives et le record du plus grand plus grand nombre de buts comptés en carrière.

Hommage à Maurice Richard pour son 500e but, à l'École technique, 1958

Le 18 octobre 1957, le Rocket réalise un dernier haut fait marquant : son 500e but. Il devient le premier joueur à atteindre ce sommet.  La couverture médiatique de l'événement porte non seulement sur le but lui-même, mais sur le fait que Richard est alors le joueur le plus âgé de la Ligue nationale de hockey. De façon générale, les presses montréalaise et torontoise établissent clairement (et maintes fois) l'importance du 500e but de Richard.  On décrit ce dernier dans tous ses détails, en utilisant une terminologie mythologique : Maurice Richard est un  sorcier », son but « scintillait » et fut compté de façon « magique ».  Les entrevues de joueurs qui se trouvaient sur la glace semblent également imprégnées de l'essence sacrée de ce but fabuleux. Tous ceux qui ont vu l'exploit font maintenant partie de l'histoire.  Et tous les journaux semblent accordés au même diapason. 

 

De joueur vedette à héros d'un peuple

Aréna Maurice Richard

Par la suite, la popularité de Maurice Richard ne fait que s'accroître. En 1959, on annonce la construction de la future aréna Maurice Richard, qui sera inaugurée en 1962. Sa retraite survient en 1960 et elle est immédiatement suivie du retrait de son chandail numéro neuf du Canadien, puis de son intronisation au Temple de la renommée du hockey en 1961. Il est également introduit au Panthéon du sport du Québec en 1985. Ces honneurs sont pour la plupart organisés par des gens œuvrant dans le milieu sportif québécois Mais bien d'autres prix viendront élargir sa renommée.  En définitive, son image est celle d'un joueur de hockey hors du commun qui représente une minorité ethno-culturelle du Canada.. Une autre puissante illustration de la symbolisation du Rocket a lieu en 1999, alors qu'on crée le trophée Maurice Richard qui récompense le joueur ayant compté le plus de buts dans la Ligue nationale de hockey.  De récipiendaire d'honneurs divers, le Rocket devient lui-même un prix.

 

Un bien patrimonial durable

L'image du Rocket continue d'évoluer. Les changements observés dans cette image et dans notre mémoire collective illustrent des modifications qui se produisent dans la société. L'histoire de Richard se conjugue en deux temps : d'abord la version originale qui est extraordinaire en elle-même, puis la version constamment corrigée qui reflète notre vision sans cesse réactualisée des années passées, en résonnance avec les valeurs et les besoins changeants de la société. 


Julie Perrone,
étudiante au doctorat,
Université Concordia

 

BIBLIOGRAPHIE

Carrier, Roch, Le Rocket, Montréal, Stanké, 2000, 271 p.

Gosselin, Gérard, Monsieur Hockey, Montréal, Éditions de l'Homme, 1960, 125 p.

Gruneau, Richard, et David Whitson, Hockey Night in Canada : Sport, Identities and Cultural Politics, Toronto, Garamond Press, 1993, 312 p.

Maurice Richard, long métrage de Charles Binamé, Canada, 2005, avec Roy Dupuis.

Melançon, Benoît, Les yeux de Maurice Richard : une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p.

O'Brien, Andy, Rocket Richard, Toronto, Ryerson Press, 1961, 134 p.

Pellerin, Jean-Marie, Maurice Richard, l'idole d'un peuple, nouv. éd., Montréal, Éditions Trustar, 1998 [1976], 570 p. 

Ramos, Howard, et Kevin Gosine, « The Rocket : Newspaper Coverage of the Death of a Quebec Cultural Icon, a Canadian Hockey Player », Journal of Canadian Studies / Revue d'études canadiennes, vol. 36, no 4, 2002, p. 9-31.

 

NOTES

En 1960 : Andy O'Brien, Rocket Richard, Toronto, Ryerson Press, 1961, p. 96; en 1998 : Jean-Marie Pellerin, Maurice Richard, l'idole d'un peuple, nouv. éd., Montréal, Éditions Trustar, 1998 [1976], p. 36; en 2005 : Paul Daoust, « 17 mars 1955. 50 ans plus tard : l'émeute au Forum, première révélation du mythe Richard », Le Devoir, 17 mars 2005.

« On a tué mon frère Richard », Le Devoir, 21 mars 1955.

 

Documents complémentairesCertains documents complémentaires nécessitent un plugiciel pour être consultés

Vidéos
  • La rivalité entre les Canadiens de Montréal et les Maple Leafs de Toronto. Extraits des archives de l'Office national du film du Canada Ce film présente quelques images des matchs entre les Canadiens de Montréal et les Maple Leafs de Toronto, deux clubs rivaux de la Ligne nationale de hockey, créés dès les années 1930, à l'époque des joueurs vedettes Howie Morenz et Sylvio Mantha. Extraits tournés au Maple Leafs Gardens et au Forum de Montréal.
    Vidéo basse résolution - Poids : 20950 Ko
    Vidéo haute résolution - Poids : 23841 Ko

    Durée : 1 min 46 sec
  • Les sports d'hiver au Québec (Film muet) Une série d'images d'archives se succédant à un rythme rapide présentent la diversité des sports qui se sont pratiqués au Québec, à différentes époques. Des scènes romantiques aux scènes cocasses, ont voit des courses de chiens de traîneaux ou de chevaux dans la neige, des Amérindiens à la chasse chaussés de raquettes ou des pêcheurs sur glace, des skieurs en tout genre (ski de fond, ski alpin, saut à ski), des glisseurs dévalant des pentes en luges ou en «traînes sauvages», des parties de curling, des patineurs virevoltant sur des surfaces glacées et des motoneigistes en pleine action. La plus vieille de ces images montrant des skieurs en herbe date de 1902 !
    Vidéo basse résolution - Poids : 46128 Ko
    Vidéo haute résolution - Poids : 90179 Ko

    Durée : 8 min 44 sec
  • Maurice Richard (Film muet) Ce film présente quelques images de la partie du 19 octobre 1957 entre les Canadiens et les Blackhawks de Chicago et, tout particulièrement le moment où Maurice Richard marque son 500e but devant des partisans soulevés par cet exploit mémorable du Rocket. L’événement est ensuite souligné par le président de la Ligue, Clarence Campbell, en présence de plusieurs coéquipiers, dont Émile « Butch » Bouchard et son frère Henri Richard ainsi que l’entraîneur Toe Blake. En 1972, Richard devient l’entraîneur-chef des Nordiques de Québec et prend part au premier match hors-concours de l’équipe dans la nouvelle Association mondiale de hockey tenu à Baie-Comeau.
    Vidéo basse résolution - Poids : 22171 Ko
    Vidéo haute résolution - Poids : 59477 Ko

    Durée : 3 min 20 sec
Photos
Audio
PDF

Ailleurs sur le web

Retour vers le haut

© Tous droits réservés, 2007
Encyclopédie du patrimoine culturel
de l'Amérique française.

Gouvernement du Canada