Plaines d'Abraham

par Mathieu, Jacques

Vue aérienne des Plaines d'Abraham

De l’ensemble des lieux associés au patrimoine des francophones d’Amérique du Nord, les plaines d’Abraham sont sans doute l’un des sites naturels et historiques les plus connus et les plus fréquentés. Les batailles qui s’y sont déroulées en 1759 et 1760, entre les armées françaises et anglaises, ont marqué la mémoire collective comme un tournant majeur dans l’histoire du Canada et du monde occidental. Au fil des ans et au gré des sentiments d’appartenance, ce site a véhiculé de multiples représentations symboliques et a représenté des idéaux variés. L’histoire des plaines d’Abraham demeure cependant très mal connue.


Article available in English : Plains of Abraham

 

Un parc sur le promontoire de Québec

L’histoire des plaines d’Abraham est étroitement associée à celle du promontoire de Québec. Tous les visiteurs ont noté la majesté de ce site naturel dont les falaises plongent abruptement à l’endroit où le fleuve Saint-Laurent se rétrécit. Jacques Cartier, le découvreur du Canada, a cru y trouver des diamants, d’où le nom du cap Diamant. Plus tard, les Français, puis les Britanniques, y ont érigé une citadelle impressionnante qui domine la ville. En 1759 et 1760, deux grandes batailles se sont déroulées sur ce promontoire qui fut ensuite transformé en l’un des premiers parcs aménagés au Canada. Chaque année, quelques millions de personnes, résidents ou touristes, le fréquentent.

Vue aérienne du parc des Champs-de-Bataille. BAnQ.

Le parc des Champs-de-Bataille, créé à même les plaines d’Abraham en 1908 à l’occasion du 300e anniversaire de la fondation de Québec, fait prioritairement référence à la défaite des troupes françaises aux mains des troupes anglaises, le 13 septembre 1759, et, par l’addition du parc des Braves, à la victoire française de 1760 (NOTE 1). Aujourd’hui, ce parc national, à la fois historique et naturel, occupe une superficie de plus de 100 hectares. Adossé au mur de l’enceinte fortifiée à l’est, il s’étend sur environ un kilomètre et demi vers l’ouest; il est bordé au sud par des falaises de quelque 100 mètres de hauteur et au nord, par la Haute-Ville de Québec.

Monument en l'honneur de Wolfe. L'Opinion publique, 10 juin 1880. BAnQ.

Ce parc compte de nombreux vestiges et monuments historiques. Un cadran solaire rappelle les expériences que Michel Sarrazin, médecin du roi, mena au XVIIe siècle pour situer Québec sur la carte du monde. Les monuments sont cependant surtout liés aux fonctions militaires, et ceux dédiés aux généraux des deux armées morts au champ d’honneur occupent une place de choix. Celui du général anglais James Wolfe a été érigé sur les lieux mêmes de son décès, tandis que celui du marquis de Montcalm est situé en bordure du parc. Le prestigieux monument Jeanne-d’Arc inauguré en 1938 évoque le courage des valeureux militaires qui ont combattu sur les plaines. Plus de 50 plaques commémoratives font principalement référence aux officiers décédés au cours des conflits du XVIIIe siècle. Deux des trois tours Martello construites au début du XIXe siècle pour contrer une invasion américaine font partie des vestiges les plus visibles. À l’entrée est du parc, la croix du Sacrifice rappelle la mémoire des soldats décédés au cours des conflits mondiaux du XXe siècle. Enfin, plusieurs canons de différentes époques évoquent les fonctions militaires du site.

Les aspects naturels sont également mis en valeur. Aussitôt après son inauguration en 1908, le parc fut aménagé comme un Grand Royaume de la nature par Frederick G. Todd. Il respecta la topographie originale des lieux avec ses grandes ondulations et ses avenues circulaires qui offrent un paysage constamment renouvelé. Les serres, les plus anciennes existant encore à Québec, servent à fleurir le célèbre jardin Jeanne-d’Arc et les nombreuses plates-bandes, ainsi que les mosaïcultures qui furent parmi les premières implantées au Canada. Un petit verger de pommiers rappelle l’œuvre de Louis Hébert, premier colon français installé à Québec avec sa famille en 1617, et un rosier « Abraham Martin » évoque la provenance du nom populaire du parc. Un sentier de la nature permet de reconnaître les plantes et les arbres qui ont retenu l’attention des savants et des herboristes du XVIIe au XIXe siècle.

Un site historique d’importance

Le parc tient son nom d’Abraham Martin, pilote de navire qui fut propriétaire d’une petite portion du promontoire. C’est seulement à l’été 1759 que le nom de « Hauteurs d’Abraham » apparaît dans les documents, d’abord dans le journal du chevalier de Lévis, puis dans les récits britanniques. Ensuite, ce nom fut rapidement propagé, car les Britanniques voulaient sacraliser la victoire militaire qu’ils y avaient remportée. Ils semblent aussi avoir été sensibles à la connotation biblique du nom.

Voici comment se sont déroulés les événements qui ont marqué de façon indélébile la mémoire de ce lieu.

À l’été 1759, après avoir pris la forteresse de Louisbourg, la flotte et l’armée anglaises dirigées par James Wolfe se pointent devant Québec au début de l’été. La ville est assiégée et bombardée jour et nuit pendant plusieurs semaines. En vain. Retranché sur la côte de Beauport, Montcalm attend. Comme l’automne s’annonce, les Britanniques commencent à craindre de rester bloqués à Québec par le gel du fleuve. Wolfe tente alors un coup d’éclat. Dans la nuit du 13 septembre, avec les 4 800 hommes de ses troupes d’élite, il réussit à escalader la falaise par un petit sentier qu’il a découvert en voyant des prisonnières l’emprunter quelques jours auparavant.

George B. Campion, Représentation de la bataille des plaines d'Abraham, 1759 (détail). BAC

Montcalm a peine à croire en cette escalade. L’information confirmée, il se précipite jusqu’à Québec avec ses soldats et les miliciens de Beauport. Il prend position face aux Anglais. Voyant les ennemis se retrancher et craignant que les Anglais n’apportent de l’artillerie puissante sur les plaines, Montcalm ordonne l’attaque. Mais chacun, dans l’armée française, tire au gré de son désir pendant que les soldats de Wolfe attendent l’ordre de faire feu. Quand des Français arrivent à 60 pas des lignes britanniques, Wolfe donne l’ordre de tirer. La salve est meurtrière. Du côté français, c’est la débandade. L’affrontement dure à peine 20 minutes. Wolfe, blessé à mort, déclare : « Je meurs content. » Montcalm est à son tour blessé au dos en tentant de rassembler ses troupes. Il mourra 24 heures plus tard, heureux de ne pas voir les Anglais pénétrer dans Québec. Cependant, la ville assiégée capitulera cinq jours plus tard.

James Barry, La mort du général Wolfe lors de la bataille des plaines d'Abraham, Québec, BAC

Une autre bataille se déroule l’année suivante. Au printemps 1760, sous les ordres de Bougainville, les Français s’avancent pour prendre d’assaut l’ennemi qui occupe alors la ville. Le gouverneur anglais Murray déclenche l’artillerie sur les colonnes françaises et Lévis se retranche à couvert de la forêt. Interprétant à tort ce mouvement de troupe comme une retraite, Murray lance ses troupes à la poursuite des Français. Les forces françaises amorcent alors une manœuvre d’encerclement et la bataille devient meurtrière, à la baïonnette et au corps à corps. Les Anglais subissent la défaite et doivent à leur tour se réfugier en vitesse à l’intérieur des murs. Quelques jours plus tard, c’est l’arrivée de navires de ravitaillement battant pavillon anglais, plutôt que français, qui décide du sort de la Nouvelle-France; elle fut cédée officiellement à la Grande-Bretagne par le traité de Paris en 1763.

Cette victoire décisive des Anglais contre les Français pour le contrôle de l’Amérique du Nord a été largement célébrée. De nombreuses peintures, dessins et cartes furent réalisés et publiés sur le sujet. Ses principaux héros furent honorés.

La création du parc

Au début du XXe siècle, la création du parc des Champs-de-Bataille procède des réactions à la crainte de lotissement du promontoire, alors propriété des Ursulines, et d’un échange de terrain entre ces dernières et le gouvernement. La date de l’inauguration du nouveau parc a suscité des tensions. Le premier ministre du Canada, sir Wilfrid Laurier, souhaitait que ce soit 1909, année du 150e anniversaire de la bataille des plaines d'Abraham et date fixée pour l’inauguration du pont de Québec. Cependant, la chute du pont en construction bouleversa ce plan. Finalement, le maire de Québec, sir George Garneau, avec l’appui du gouverneur général lord Grey, convainquit les autorités politiques de faire les cérémonies d’inauguration en 1908, à l’occasion du 300e anniversaire de la fondation de Québec.

Les célébrations furent grandioses. On frappa une médaille et on émit huit timbres-poste commémoratifs. On organisa un défilé et une fête navale réunissant six navires de guerre britanniques, deux français et un américain. Un « pageant » grandiose auquel participaient 4 500 figurants costumés se déroula en présence de dignitaires de haut rang, dont le prince de Galles. Il comprenait huit représentations historiques célébrant la Nouvelle-France et se clôturait par une parade militaire réunissant les adversaires d’autrefois. Le gouverneur général interpréta cette fête comme la naissance d’une Grande-Bretagne agrandie. On remit des médailles à 273 familles souches en présence du lieutenant-gouverneur du Québec, du premier ministre du Canada, de l’évêque du diocèse de Québec et d’un représentant du gouvernement français.

La mise en valeur du site

Défilé militaire sur les plaines d'Abraham. BAnQ.

Au lendemain de la loi créant le parc des Champs-de-Bataille, la commission chargée de le mettre en valeur eut recours au service d’un architecte paysagiste de renom, Frederick G. Todd (NOTE 2), pour concevoir un plan d’aménagement. Todd avait pour premier principe le respect de la nature, mais aussi son embellissement. Il proposa un traitement esthétique qui visait l’émotion et l’émerveillement en vue de faire des plaines un Grand Royaume de la nature. Il conçut des entrées monumentales, des avenues et des promenades bordées d’arbres qui isolent le visiteur de l’environnement urbain, où l’immensité du parc laisse tout de même un sentiment d’intimité au visiteur.

Pendant longtemps, le parc demeura encombré de bâtiments qui en déparaient la beauté. Une armurerie, une cartoucherie, un champ de tir occupaient un espace connu sous le nom de Cove Fields. Une prison construite en 1867, un pavillon de patinage bâti en 1877, un observatoire astronomique et un terrain de golf encombraient également les lieux. À l’occasion du programme de travaux publics mis en place pendant la Crise des années 1930, l’armurerie fut démolie. Le pavillon des patineurs, qui avait connu des heures de gloire quand les Bulldogs de Québec avaient remporté la coupe Stanley en 1912 et 1913, fut détruit par le feu en 1918. Quant aux Cove Fields, ils servirent durant la Deuxième Guerre mondiale de camp de concentration et d’hôpital. Au lendemain de la guerre, les 50 baraques furent cédées à des familles pauvres qui manquaient de logement. On appela ce lieu le faubourg de la misère. Finalement, elles furent démolies en 1952.

Raquetteurs sur les plaines d'Abraham. BAnQ.

Le parc se prête à de multiples activités de sports et de loisir, assurant la continuité des activités sportives et de compétition qui s’y sont déroulées au XIXe siècle. On y a joué au golf, au cricket, à la crosse, au football. La cavalerie militaire y a organisé de célèbres courses de chevaux. À la fin du XIXe siècle, les Québécois y ont remporté cinq fois la coupe interprovinciale de golf (Interprovincial Cup) et la coupe Stanley de hockey à deux reprises. Aujourd’hui, des pistes de patins à roues alignées et de ski invitent les citoyens à profiter des beautés du parc.

Le parc est aussi mis en valeur sur le plan culturel grâce à la présence centrale du Musée national des beaux-arts du Québec. Ouvert en 1933, l’édifice a été augmenté en 1990 de l’ancienne prison construite d’après le plan de l’architecte Charles Baillairgé en 1867. D’autre part, au tournant des années 2000 la Commission des champs de bataille nationaux a acquis le bâtiment du NCSM Montcalm, l’a rénové et l’a transformé en Maison de la découverte. Une exposition permanente permet aux visiteurs d’y découvrir l’histoire des plaines.

Un site de grandes célébrations

Les plaines d’Abraham furent aussi le site d’événements divers et de grandes célébrations. Cent ans après la première présence d’un cirque, dont une girafe constituait la grande attraction, l'illustre Buffalo Bill et ses 300 cavaliers se produisirent sur les plaines. Le célèbre aviateur Charles Lindbergh y a atterri pour porter des médicaments à un ami malade. Pendant plusieurs années, l’on y tint des foires agricoles et des parades militaires. Certaines manifestations ont été de plus grande envergure encore. Par exemple, le congrès eucharistique de juin 1938 a attiré plus de cent mille personnes. En août 1974, le Festival international de la jeunesse francophone, ou Superfrancofête, y a accueilli 1 500 participants provenant de 25 pays et a attiré au moins 125 000 visiteurs. Chaque année, le Carnaval d’hiver et les concours de sculpture sur glace, le Festival d’été consacré à la chanson et, à une semaine d’intervalle, la fête nationale du Québec et celle du Canada rivalisent d’imagination pour séduire des dizaines de milliers de spectateurs.

Fête nationale, 24 juin 1880 (détail). L'Opinion publique. BAnQ.
Fête nationale, 24 juin 2007. Célia Forget


















L’une de ces fêtes a eu des retombées durables et mérite d’être signalée. Elle illustre la dualité des nationalismes et l’ambiguïté des célébrations qui se déroulent sur les plaines d’Abraham, ou au parc des Champs-de-Bataille. À l’occasion de la fête nationale du 24 juin 1880, la Société Saint-Jean-Baptiste de Québec planifie un immense rassemblement des communautés francophones d’Amérique. L’événement regroupe des représentants de 50 sociétés francophones du Québec, du Canada et des États-Unis. En réaction à cette initiative, les autorités du Canada organisent, un mois plus tôt, le 24 mai, un Field Day en l’honneur de la reine Victoria. Trois mille militaires se transportent à Québec pour cette célébration qui se tient en présence du prince Léopold, le fils de la reine. Cette dernière fête persistera jusqu’à aujourd’hui sous divers noms. Pour les uns, elle demeure la fête de la Reine, pour les autres, elle est devenue la fête de Dollard, puis Journée nationale des patriotes, selon les préférences et sentiments d’appartenance de chacun. Mais tous ont leur place sur les plaines d’Abraham, où prédominent aujourd’hui la pratique des loisirs, les manifestations artistiques et la détente dans une nature enrichie par l’histoire.

 

Jacques Mathieu

Département d’histoire
Université Laval

 

NOTES

1. Au milieu du XIXe siècle, les restes des militaires des deux armées ayant participé à la bataille de 1760 ont été découverts. Le 5 juin 1844, l’on procéda à la translation des restes après un cérémonial religieux œcuménique. Le parc des Braves, situé au nord du promontoire, a alors été rattaché aux plaines d’Abraham. Le parc a été inauguré le 18 juillet 1855 à l’occasion de la première visite officielle d’un navire de guerre français, La Capricieuse, commandé par le capitaine Belvèze. Le parc et le monument des Braves rendent hommage aux militaires des deux camps morts au cours de la bataille de 1760.

2. Frederick G. Todd a conçu et dessiné le célèbre Central Park de New York.

 

BIBLIOGRAPHIE

Un seul ouvrage collectif qui a fait appel à de nombreuses contributions relate l’ensemble de l’histoire des plaines d’Abraham :

Mathieu, Jacques, et Eugen Kedl (dir.), Les plaines d’Abraham : le culte de l’idéal, Québec, Septentrion, 1993, 320 p.

 

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Vidéo
  • Plaines d'Abraham Les Plaines d'Abraham, ou parc des Champs de bataille nationaux, est bien sûr le lieu où s’est déroulée la plus importante bataille de l’histoire du Canada entre Français et Anglais en 1759. C’est aussi un immense parc urbain créé en 1908 à l’occasion du tricentenaire de la fondation de la ville de Québec. Des vues aériennes montrent l’ampleur et la beauté de ce parc. Des images de 1920 montrent également la première reconstitution de la bataille des Plaines, ainsi que le monument de Wolfe dans les années 1930, alors que la paysage des Plaines était bien différent, ainsi que la foule considérable qui s’est rassemblée sur les Plaines pour assister au disciurs du roi George VI et de la reine Élizabeth en 1939.
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