Paysages emblématiques de Lac-Tremblant-Nord, un patrimoine naturel et culturel

par Joliet, Fabienne et Gourbilière, Claire

Le lac Tremblant et ses cabanes serties dans la forêt : un archétype pittoresque de l’Amérique du Nord. © Fabienne Joliet.

Le lac Tremblant est connu par la proximité du mont Tremblant qui le surplombe. L’originalité du site réside dans le fait que le lac Tremblant est scindé en deux cantons par un découpage territorial historique qui a engendré deux trajectoires paysagères distinctes. La partie sud du lac et la montagne qui le surplombe se sont développés en une station récréative internationale ; tandis que le nord du lac s’est affirmé dès le début du XXe siècle comme un patrimoine protégé, témoignant des caractéristiques naturelles de la région. La Municipalité de Lac-Tremblant-Nord a ainsi préservé et modelé les paysages qui constituent aujourd’hui son identité propre, fortement revendiquée par ses résidents. Ce patrimoine naturel précocement préservé, à la puissance évocatrice traditionnelle, est aujourd’hui menacé.


Article available in English : Emblematic Landscapes of Lac-Tremblant-Nord: Natural Scenic Area and Cultural Heritage Asset

Le patrimoine paysager du nord du lac Tremblant

Forêt du lac Tremblant à l'automne. © Fabienne Joliet.

Le lac Tremblant est situé aux pieds du mont Tremblant, l’un des plus hauts sommets de l’est de l’Amérique du Nord qui s’élève à presque 1 000 mètres d’altitude. Il s’étire sur 15 kilomètres de long, et sa dimension fait de lui l’un des plus grands lacs de ces pays historiquement dits « d’en Haut ». La région des Laurentides en compte à elle seule plus de quatre mille. C’est dire que le lac est une composante majeure des paysages laurentidiens, tout comme des pénéplaines du bouclier canadien.

Le paysage de la partie nord du lac constitue un bien patrimonial privé, donc non accessible au grand public, mais il se perçoit et se fréquente depuis le lac qui, lui, est public. Cette caractéristique spatiale est déterminante quant à sa qualité paysagère, sa gestion, et les pressions extérieures qui s’exercent sur lui.

La municipalité de Lac-Tremblant-Nord couvre un territoire qui intègre les deux tiers nord du lac Tremblant, ainsi que les lacs Gervais et Bibite situés au nord-ouest. Si l’on considère à proprement parler le périmètre riverain du lac Tremblant, on ne compte aucun résident permanent ni aucune route. Les premiers chalets datent de 1900-1905. En 1938, on y dénombre 33 chalets et, en 2007, 56 constructions situées sur 84 propriétés. Toutes sont des résidences secondaires fréquentées les fins de semaine et pendant les périodes de vacances.

Le paysage du nord du lac Tremblant est très homogène. Il est constitué d’un vaste lac encaissé, serti entre des échines montagneuses couvertes de forêt dense au boisement mixte (feuillus et conifères), marquant la transition de la forêt décidue de la vallée du Saint-Laurent vers la forêt boréale. Le lac est alimenté au nord par la rivière Cachée, avec les chutes Cachées pour exutoire, au sud. La topographie du rivage s’inscrit en courbe avec cinq baies principales (dont la baie des Chevreuils, la baie des Ours…), et une perspective centrale déjouée par sept îles (dont l’île aux Cèdres, l’île Cachée…).

Dans son unité paysagère, trois types de motifs se combinent pour former le patrimoine à la fois naturel et culturel de Lac-Tremblant-Nord.

L’art involontaire de la nature. © Fabienne Joliet.


Les motifs de la nature sauvage :

Le caractère « sauvage », originel, est fondamental dans l’expression emblématique de ce paysage comme lieu de ressourcement, voire de spiritualité. Ce sont les éléments bruts du paysage qui opèrent cette scénographie involontaire mais tant recherchée, notamment les plages, les roches affleurantes, les racines tortueuses, les découpes géomorphologiques (pointes, baies, îles) ainsi que la limpidité de l’eau.

La cabane, pour vivre l’Expérience. © Fabienne Joliet.


Le motif de la cabane ou du cottage :

L’empreinte de l’habitat est plus dissimulée et symbolique que visible et ostentatoire. Ce dispositif comprend différents bâtiments de dimensions modestes : le lieu de résidence, à savoir le chalet qui comprend généralement deux pièces, les toilettes sèches, un foyer extérieur, un lieu de contemplation (même de fortune), auxquels s’ajoute souvent la spécificité anglophone de la cabane à dormir. Cette empreinte humaine est le plus souvent masquée par un rideau d’arbres en façade sur le lac, autorisant une percée visuelle sur l’eau tout en minimisant son impact extérieur.

Sans accès routier, la vie sur l’eau organisée. © Claire Gourbilière.




Le dispositif de navigation (hors de la période hivernale où le lac est recouvert de glace) :

Puisque le contexte paysager est « naturel » et que l’habitat est inaccessible par route, le décor est ponctué d’ouvrages relatifs à la navigabilité du lac : la marina, un phare et une balise lumineuse, les pontons, ainsi que les garages à bateaux (autre spécificité d’origine anglophone) sont les motifs « aquatiques » du paysage.




Ce paysage est donc l’expression d’un portrait de la nature nord-américaine, celui de la grande nature sauvage, assorti du mythe de la cabane au Canada.

Une trajectoire paysagère originale

L’historicité du patrimoine de Lac-Tremblant-Nord tient dans l’ancienneté de sa formation naturelle, mais aussi, paradoxalement, dans la forme traditionnelle de son urbanisation dissimulée. La trajectoire paysagère « originelle » a été infléchie au XXe siècle par un seuil historique majeur : les débuts de la villégiature et les limites de son ambition à protéger la nature sauvage.

Le lac Tremblant doit son nom à son passé autochtone. Le peuple nomade algonquin parcourait ce territoire, dont il s’est progressivement retiré lors de la privatisation du lac en 1915. Cette population en a néanmoins scellé le toponyme : selon une légende amérindienne, le mont et le lac attenant sont dits Tremblant parce qu’ils incarneraient le Grand Manitou – le dieu de la nature – qui gronderait lorsque les hommes portent atteinte à la nature.

Le curé Labelle, ambassadeur du développement francophone des Pays-d’en-Haut. © BAnQ.

Quelques francophones se sont établis de manière sporadique dans cette région depuis le XVIIe siècle. Mais ce n’est qu’à partir du XIXe siècle que ces communautés créent les points d’ancrage permanents et provoquent le désenclavement de la région du mont Tremblant, sans pour autant s’installer au bord du lac. Le curé Labelle, alias le Roi du Nord, est à l’origine des premières paroisses, dont Saint-Jovite en 1879, qui comprend le premier village dit de Tremblant, situé à deux kilomètres au sud-est du lac Tremblant. Labelle permet de fixer une population francophone catholique rurale tournée vers le secteur primaire : l’abattage du bois et une agriculture de subsistance pratiquée sur des sols minces, dans cette région au relief chahuté marquée par des hivers rigoureux. Labelle œuvre également pour le désenclavement du territoire, en le ralliant par chemin de fer à Montréal : le P’tit Train du Nord atteint le village de Tremblant en 1904.

Quant aux anglophones, protestants, ils bénéficient de ces infrastructures pour implanter dans la région l’industrie du bois et du papier avec la Canadian International Paper (CIP), ainsi que la première villégiature sur le lac Tremblant. En effet, ce sont les anglophones qui vont véritablement lancer le goût de la résidence en lisière de forêt, au bord de l’eau, avec le regard d’urbains industriels qu’ils portent sur la nature. L’environnement boisé du lac alimente l’industrie forestière qui se développe en amont, essentiellement dans la vallée de la Diable, avec un circuit de drave du bois qui traverse le lac Tremblant du nord au sud, de la rivière Cachée aux chutes Cachées. Cet élan de l’exploitation industrielle n’altère donc pas le lac en tant que tel puisque les coupes sont éloignées, mais il crée une émulation esthétique autour du lac et engendre la construction des premiers chalets.

Le manoir Pinoteau, un des premiers accès au lac Tremblant. © BAnQ.

La population permanente francophone qui réside historiquement en retrait du lac, au village, assure dès le début de la villégiature anglophone l’intendance des premiers résidents de Lac-Tremblant-Nord, tant pour leur permettre d’accéder à leur parcelle (par train, charrette, taxi ou bateau), que pour construire les chalets, en assurer la maintenance et les approvisionner. En plus d’être les premiers à donner accès au lac en ouvrant un hôtel sur la rive sud (détenu par Pinoteau et Meilleur), avec à disposition une chaloupe comme moyen de locomotion sur le lac, les francophones « font le service » (sic) pour la Municipalité de Lac-Tremblant-Nord pendant l’été.

Dès lors, francophones et anglophones participent conjointement à la constitution de ce patrimoine, avec un rapprochement de plus en plus étroit des pratiques et du vécu de chacun. Aujourd’hui, la population francophone riveraine est même devenue plus nombreuse que la population anglophone.

Les dernières décennies du XXe siècle marquent cependant un tournant dans la préservation du patrimoine paysager riverain. L’aménagement des lotissements de La Sérénité (années 1970) et de La Tranquillité (années 2000), au nord-ouest du lac, sont déterminants quant à l’archétype paysager. D’abord, ils engendrent une première route d’accès au lac; ensuite, ils modifient l’échelle des constructions qui s’avère parfois monumentale; enfin, leur disposition en façade riveraine est parfois plus ostentatoire et privilégie désormais une vue dégagée.

En conséquence de ces évolutions récentes, ce patrimoine « naturel » est de plus en plus « consommé » par le grand public à partir du lac ou du haut des airs. La fréquentation touristique aérienne ainsi que le ski nautique induisent des nuisances contestées par les résidents. Au total, un ensemble de perturbations visuelles et sonores porte atteinte à cet archétype de la nature québécoise, bousculant les efforts de mise en valeur considérables jusque-là mis en œuvre.

Une construction identitaire et patrimoniale volontariste

La mise en valeur de ce patrimoine lacustre et forestier est fondée sur la naturalité de son paysage, perçue et recherchée pour son caractère « authentique ». Dans un contexte de protection active, notamment par l’acquisition du statut de réserve forestière du secteur nord-est de la forêt, en 1895 (qui préfigure la création du parc national du Mont-Tremblant en 1981), et après l’incendie de 1902 qui ravage une partie des boisements riverains du lac, la mise en valeur de Lac-Tremblant-Nord est institutionnalisée juridiquement en 1915 par une charte de protection et de valorisation. L’engouement de la communauté à dominante anglophone et relativement élitiste du lieu envers cette charte (architectes, paysagistes, professeurs, marchands, avocats et médecins) crée une prise de position patrimoniale volontariste.

Le logo de la Municipalité de Lac-Tremblant-Nord. © Municipalité LTN.

Dès lors, la partie septentrionale de cet écrin naturel est soustraite à sa précédente tutelle administrative (Territoire non organisé dépendant de la circonscription foncière de Labelle) par le statut de municipalité autonome, selon « la ligne frontière du Comté entre Labelle et Terrebonne qui traverse le lac à environ deux milles du rivage sur un angle d’environ 45 degrés(NOTE 1) ». Territoire non organisé jusqu’en 1915, cette moitié du lac Tremblant prend désormais une destinée paysagère différente.

Le principal objectif de la charte de 1915 est de l’ordre de la protection. Elle comprend en effet treize articles d’informations générales, qui stipulent notamment le rôle de la Municipalité et des comptes de taxe, l’existence d’un comité d’éclairage, d’un comité des bateaux ainsi qu’un comité de police. Dans les deux autres rubriques de cette première charte, les règlements et les ordonnances, les articles sont plutôt orientés vers la sécurité (de la navigation ou bien, sur la terre ferme, face à l’isolement) et la protection de l’environnement (déchets et reproduction des espèces) ainsi que vers le paysage en tant que tel, prévenant déjà la densité du bâti par une taille minimale des parcelles.

Une deuxième version de la charte datant de 1956 (By Law n°8), intitulée « Land use and construction of buildings(NOTE 2) », étoffe la protection du paysage en encadrant le développement des constructions au moyen de dix-neuf articles qui sont expressément minimalistes et précis : permis de construire, clauses de recul par rapport au rivage, superficie du bâti, fonctions autorisées et exclues (l’usage commercial est par exemple exclu).

Rayonnement du soleil sur le lac. © Claire Gourbilière.

La version la plus récente de cette charte, datant de 1970 (By Law n°12) et intitulée « Zoning, land use, construction of buildings, sanitation and anti-pollution by law », rappelle dans son préambule que les droits de la Municipalité sont de l’ordre de la régulation et de la prescription des constructions, de la proportion des constructions, des caractères de l’architecture et de ses matériaux, ainsi que des questions sanitaires. Ce préambule souligne clairement l’ambition patrimoniale : « Whereas in order to preserve the area of Lac-Tremblant-Nord as an area designed for the conservation of nature and the recreation and enjoyment of its property owners and the public in large. » Cette version instaure notamment le premier zonage, distinguant trois zones (A, B, C) à l’occupation du sol différente, conformes au schéma d’aménagement de la municipalité régionale de comté englobant Lac-Tremblant-Nord.

En 2000, les municipalités de Lac-Tremblant-Nord, Saint-Jovite, Saint-Jovite-Paroisse et Mont-Tremblant-Village ont fusionné. Mais ce regroupement a été de courte durée. Pour des raisons de protection, Lac-Tremblant-Nord a obtenu la défusion six ans plus tard (demandée dès 2004). La revendication de cette petite municipalité était de retrouver son libre arbitre quant à l’urbanisme qui la distingue des municipalités environnantes. Lac-Tremblant-Nord connaît en effet de profondes difficultés à contenir les pressions dues au développement de la station touristique et du parc national du Mont-Tremblant, situés tout près.

La charte de 1915 entérine déjà la protection du paysage de Lac-Tremblant-Nord et fait de celui-ci un patrimoine. Mais la construction identitaire qui en résulte ne serait rien sans l’émulation esthétique qui a elle-même suscité l’émotion des résidents de Lac-Tremblant-Nord, et par conséquent leur volonté d’appropriation et de protection.

Une émulation artistique

Le peintre E. Holgate devant une de ses œuvres paysagères de Lac-Tremblant. © BAnQ.

Dès les débuts de la villégiature, la présence d’architectes, d’architectes-paysagistes, de peintres et d’écrivains au sein de la communauté initiatrice de la charte de 1915 stimule la patrimonialisation du secteur. La narrativité qu’ils mettent en images est sous-tendue par le transcendantalisme, la philosophie de l’écrivain américain David Thoreau (1817-1862) inspirée par l’expérience qu’il a vécue sur les rives du lac Walden. Thoreau en a tiré un livre du même nom publié en 1854, dans lequel il prend position contre la révolution industrielle et la société de consommation qu’elle a engendrée. Plus particulièrement Rickson A. Outhet (architecte-paysagiste), Maurice Cullen et Edwin Holgate (artistes peintres proches du Groupe des sept) entrent en résonance avec le genius loci de Lac-Tremblant-Nord et contribuent à lui conférer une dimension artistique.

La puissance évocatrice de ce paysage reflétant la nature canadienne inspire dans le même temps l’écrivain Marie Le Franc. Elle y puise les scènes de son roman Hélier, fils des bois (1937), qui se déroule au début du siècle. Aujourd’hui, le relais en images est pris par le peintre Michel Normandeau, et d’autres comme Sylvie Legaule.

Un patrimoine menacé?

Aquarelle du paysage de LTN par R. Outhet. © Famille Outhet.

Le paysage de Lac-Tremblant-Nord est emblématique et il a retenu l’attention d’une communauté d’initiés dès le début du siècle. Une prise de position volontariste fondée sur une forte relation émotive l’a institué en tant que patrimoine naturel et culturel : une naturalité « authentique » où se greffe le mythe de la cabane au Canada. Mais des pressions externes s’exercent sur ce patrimoine très convoité à cause de l’attractivité de la station touristique et du parc national du Mont-Tremblant. Même parmi les résidents de Lac-Tremblant-Nord, de nouvelles tendances menacent le caractère patrimonial qui s’est affirmé jusqu’ici à cet endroit. Ce patrimoine serait-il victime de son succès de préservation?









Fabienne Joliet

Maître de conférences, INH Paysage, Angers, France
Délégation scientifique à l’École d'architecture de paysage, Université de Montréal, 2007-2008

Claire Gourbilière

Étudiante en cinquième année à l’École nationale d’Ingénieurs de l’Horticulture et du Paysage (France)
Option Ingénierie des Territoires

 

NOTES

1. Charte de Lac-Tremblant-Nord, 1915, Informations générales, § 2.

2. Jusqu'à l'entrée en vigueur de la Charte de la langue française au Québec en 1977, les textes municipaux sont en anglais.

 

BIBLIOGRAPHIE

Beaudet, Gérard, « Un bref regard sur l’architecture de la villégiature et du tourisme », Téoros, vol. 15, n° 1, 1996, p. 39-42.

Blois Martin, Charles de, « L’expérience touristique : retrouver les liens échappés », dans Université rurale québécoise, Entreprendre en milieu rural : actes de l’Université rurale québécoise au Bas-Saint-Laurent, 1999 [en ligne] (Trois-Pistoles, 4-8 octobre 1999), http://www.uqar.uquebec.ca/chrural/urq/Urq1999/BSL/pdf/deblois.pdf.

Brasset, Y., Lac-Tremblant-Nord : une municipalité sans résident, sans route ni électricité, 1997.

Fournier, Marcel, Histoire du parc du Mont-Tremblant, Québec, Ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche, Direction régionale de Montréal, 1981, 91 p.

Joliet, Fabienne, et Thibault Martin, « Les représentations du paysage et l’attractivité touristique : le cas “Tremblant” dans les Laurentides », Téoros, vol. 26, n° 2, 2007, p. 52-58.

Potvin, Denise, Mont-Tremblant, au cœur des Laurentides, Outremont (Qc), Trécarré, 2003.

Verdon, Michel, Anthropologie de la colonisation au Québec : le dilemme d’un village du Lac-Saint-Jean, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1973, 283 p.

 

Documents complémentairesCertains documents complémentaires nécessitent un plugiciel pour être consultés

Vidéo
Photos
Audio
PDF

Retour vers le haut

© Tous droits réservés, 2007
Encyclopédie du patrimoine culturel
de l'Amérique française.

Gouvernement du Canada