Théâtre professionnel en Acadie

par Équipe de rédaction de l'Encyclopédie et Lonergan, David

Deux comédiens de la pièce WOLFE d’Emma Haché

Le théâtre acadien s’est développé lentement durant la fin du XIXe et la première moitié du XXe siècle. Les premières œuvres d’Antonine Maillet marquent en quelque sorte la naissance du théâtre acadien. Depuis 1968, année de la publication des Crasseux de Maillet, le théâtre professionnel en Acadie s’est donc rapidement développé. De grandes carrières d’auteurs de théâtre ont pu éclore, accompagnant la naissance des compagnies de théâtre, les unes n’allant pas sans les autres. Si les premières pièces s’articulaient autour du thème de la survivance, la dramaturgie contemporaine puise dorénavant dans la modernité et l’identité acadienne renouvelée. De nos jours, les troupes de théâtre professionnel d’Acadie sont en réseau avec les compagnies francophones des autres provinces, ce qui favorise les coproductions puis les tournées. Des ateliers d’écriture scénique et des concours d’art dramatique sont organisés afin d’assurer la relève. Par ailleurs, nombre de pièces d’auteurs acadiens sont publiées chez d’importants éditeurs. Toutes ces plates-formes de mise en valeur contribuent à la diffusion et à la vitalité de la dramaturgie acadienne.

 

 

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Antonine Maillet et la naissance du théâtre en Acadie

Programme de la pièce « Le Drame du Peuple Acadien » du père Jego, C.J.M.

Dès la décennie 1860, les collèges classiques et les couvents établis en Acadie accordent une place de choix au théâtre dans leur programme de formation. Or, si le théâtre était vivant dans ces institutions, l’écriture dramatique n’a guère suscité d’intérêt chez les Acadiens. Seuls Pascal Poirier (1852-1933) avec le drame romantique Les Acadiens à Philadelphie (1875) et James Branch (1907-1980) avec quatre pièces dont la militante L'Émigrant acadien (1929) ont écrit pour la scène.

En 1968, la publication des Crasseux d’Antonine Maillet marque le début officiel du théâtre acadien. Maillet avait auparavant écrit quelques pièces pour ses élèves du Collège Notre-Dame d’Acadie, mais ces pièces répondaient davantage à des impératifs pédagogiques qu’artistiques.  Par la langue et les personnages, cette comédie dramatique annonce La Sagouine (1971) – elle en est d’ailleurs l’un des personnages – et les œuvres qui vont suivre.

Page couverture du livre La Sagouine, d'Antonine Maillet, publié chez Léméac

La Sagouine est portée à la scène par Les Feux Chalins, une troupe communautaire de Moncton, et est interprétée par celle qui deviendra son unique interprète, Viola Léger. Reprise en octobre 1972 par le Théâtre du Rideau Vert à Montréal, elle connaît immédiatement un immense succès.  La Sagouine exprime la survivance. Elle témoigne de son monde, prenant appui sur Gapi – son mari – quand elle tient des propos plus osés. La Sagouine parle de l’oppression qu’elle subit dans la langue frappée d’ostracisme qui est la sienne : sa parole devient exorcisme. Plus loin que la simple émanation de l’Acadie, ce sont aussi tous les opprimés du monde qui ont ainsi accès à la parole : les gens d’« En-bas » sont exploités par les gens d’« En-haut » dans tous les villages, toutes les provinces et tous les pays du monde. Bref, sans jamais avoir l’air militante, cette pièce est éminemment politique.

Plusieurs pièces suivront (parmi elles : Gapi et Sullivan, 1973; Évangéline Deusse, 1975; La veuve enragée, 1977; La contrebandière, 1981; Garrochés en paradis, 1986; Margot la Folle, 1987) toutes créées par le Théâtre du Rideau Vert et éditées par Leméac, donc à Montréal… et par conséquent en dehors de la mouvance artistique qui éveille l’Acadie au début des années 1970. Après 1990, la veine dramatique d’Antonine Maillet se concentre sur le Pays de la Sagouine, un centre récréotouristique saisonnier fondé en 1992 à Bouctouche, véritable hommage à l’auteure, qui met en scène ses principaux personnages et pour lesquels elle écrit chaque année de nouveaux textes.

 

Théâtre populaire d’Acadie

Il n’existe aucune compagnie de théâtre professionnelle en Acadie au début des années 1970. À Moncton, les Feux Chalins tentent l’aventure semi-professionnelle tandis que le Théâtre amateur de Moncton améliore la qualité de ses productions et que le Théâtre des Élouèzes de Maisonnette permet à Jules Boudreau (1941) de monter ses premières pièces. De ces troupes émergent les deux principales compagnies professionnelles, le Théâtre populaire d’Acadie de Caraquet (1974) et le théâtre l’Escaouette de Moncton (1977), ce dernier étant constitué en bonne partie des premiers diplômés du Département d’art dramatique de l’Université de Moncton.

Affiche du spectacle « Louis Mailloux – Le spectacle musical », présenté à Caraquet en 2011

Le Théâtre populaire d’Acadie se donne la mission dont son nom est porteur et qui est fidèle à l’esprit de Jean Vilar : produire des pièces de création et de répertoire d’une façon professionnelle et les diffuser dans le plus de villes et villages possibles. Les premières années sont marquées par l’immense succès du drame musical Louis Mailloux. Né de la collaboration entre Jules Boudreau (texte) et Calixte Duguay (chansons) et construit dans le style et l’esprit du jeune théâtre, ce spectacle militant raconte la révolte d'Acadiens de Caraquet en 1875 contre la loi provinciale qui supprimait les octrois aux écoles confessionnelles (ce qui signifiait pour les Acadiens la fin des écoles francophones). La pièce remporte un tel succès qu'elle sera régulièrement reprise par le Théâtre populaire d’Acadie (en 1976, 1978, 1981 et 1992) puis par d’autres compagnies (1994, 2010).

Jules Boudreau signe ou cosigne six pièces pour le Théâtre populaire d’Acadie entre 1975 et 1991, dont Cochu et le soleil (1977) qui reprend d’une façon imaginative le thème de la Déportation. Plusieurs auteurs seront créés par la compagnie, mais peu persévèrent et il faut attendre les années 2000 pour voir apparaître de véritables dramaturges, Emma Haché (Les défricheurs d’eau, 2004; Murmures, 2005) qui s’était imposée avec L’intimité (Production Omnibus, Montréal, 2004 et Prix du Gouverneur- général) et Marcel Romain Thériault (Le filet, 2007; Disponible en librairie, 2008).

Mais le cœur des productions du Théâtre populaire d’Acadie demeure le répertoire, qu’il soit acadien (Évangéline Deusse d’Antonine Maillet, 1997), québécois (Le temps d’une vie de Roland Lepage, 1984) ou international (Les chaises d’Eugène Ionesco, 1992; L’indifférent de Goldoni, 2000; Trois farces de Tchekhov, 2010). À partir de la fin des années 1980, cette compagnie développe également des productions pour la jeunesse (Le roi triste, 1992, et La chaise perdue, 1995, du Québécois Louis-Dominique Lavigne; collectif, La petite ombre, 2004).  

 

Quand le théâtre se fait coopératif : l’Escaouette

Théâtre l’Escaouette, Vie d'cheval (2007)

Au cours des années 1980, en réaction à un contexte socioéconomique particulièrement difficile pour les créateurs, les jeunes comédiens qui forment la coopérative du théâtre l’Escaouette orientent leurs créations vers la jeunesse, convaincus que là réside la possibilité de vivre de leur art. Dès les premières années, Herménégilde Chiasson s’affirme comme l’auteur principal de la troupe, signant sept des treize créations dont Mine de rien (enfants, 1980) qui raconte sous le mode du conte les mésaventures de cette « minoritaire » face au géant Anglobant, Évangéline, mythe ou réalité (1982), un spectacle performance qui s’attaque au célèbre personnage, Atarelle et les Pacmaniens (enfants, 1983) qui traite de l’impact des jeux vidéos sur les enfants, Pierre, Hélène et Michael (adolescents, 1990) qui traite de l’exil et de l’attrait de la culture anglophone.

Si la troupe crée quelques spectacles pour adultes durant les années 1980, dont Pique-nique de Rino Morin Rossignol (1987), c’est en 1993 qu’elle décide d’en faire une priorité, tout comme elle cesse de produire du théâtre pour enfants après 1996 pour se concentrer sur le théâtre pour adolescents. L’immense majorité des pièces postérieures à 1993 sont écrites par Chiasson : la trilogie dramatique de L’exil d’Alexa (1993), La vie est un rêve (1994) et Aliénor (1996), la délirante comédie Laurie ou la vie de galerie (1997), le drame Le Christ est apparu au Gun Club (2003) ou encore la comédie dramatique Des nouvelles de Copenhague (2008). En théâtre pour adolescents, si Chiasson cosigne avec Louis-Dominique Lavigne Le cœur de la tempête (2002), une nouvelle auteure, Mélanie F. Léger, apparaît avec Vie d’cheval, cosigné avec André Roy (2008) et Je… adieu (2010).

 

Moncton Sable et les autres compagnies

France Daigle, 2010

En 1996, le collectif Moncton Sable est fondé à Moncton autour des textes de la romancière France Daigle. La démarche est formaliste, ce qui correspond à l’écriture des premiers romans de Daigle : Sable (1997), Craie (1999) et Foin (2000) interrogent la matière dans sa relation avec l'être humain. Le poète et cinéaste Paul Bossé est l’autre auteur important du groupe (Empreintes, 2002; Pellicule, 2009). La recherche formelle plus que textuelle caractérise la façon de faire du collectif qui s’adresse à un public limité, mais enthousiaste.

D’autres compagnies se forment dans les années 2000 à partir de finissants du Département d’art dramatique : le Théâtre Alacenne a créé deux pièces à l’écriture imaginative de Mélanie F. Léger, dont Roger, Roger (2005), tandis que les Productions l’Entrepôt tendent à développer un théâtre populiste (Plus que parfait de Robert Gauvin et André Roy, 2010).

 

Assurer la relève théâtrale acadienne

Deux comédiennes acadiennes
Pour susciter l’émergence de nouveaux auteurs et de nouveaux textes, L'Escaouette a lancé en 1998, plutôt informellement que formellement, un volet d’animation consacré au développement dramaturgique qui est devenu en avril 2001 le Festival à haute voix, un événement biennal qui présente des lectures publiques de textes dramatiques inédits, mais qui, surtout, permet aux auteurs de travailler avec des comédiens et un metteur en scène/animateur. De son côté, le Théâtre populaire d’Acadie encadre depuis 1998 le Festival de théâtre jeunesse, encourageant par le fait même des démarches théâtrales qu'elles soient de création ou de répertoire. De plus, l’apparition de nouveaux auteurs déterminés à faire œuvre en théâtre semble indiquer qu’effectivement, il y a une relève.

Si les fréquentes coproductions avec des compagnies théâtrales québécoises font parfois sourciller, la mission première des troupes acadiennes demeure bien d’offrir un espace de création et de diffusion aux dramaturges et aux comédiens d’Acadie. Le théâtre acadien se porte donc bien et est assurément là pour rester.

 

David Lonergan
Professeur, Université de Moncton

Avec la collaboration de l'équipe de rédaction de l’Encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française

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Ailleurs sur le web

Bibliographie

Chiasson, Zénon (1993), « L'institution théâtrale acadienne », in L'Acadie des Maritimes, Jean Daigle, directeur, Moncton, Chaire d'études acadiennes, p. 751-788.

Chiasson, Zénon (1993), Répertoire chronologique des productions théâtrales en Acadie : 1973-1993, Moncton, Département d'études françaises, Université de Moncton, tapuscrit relié, 55 p.

Lacerte, Roger (1984), Le théâtre acadien: étude des principaux dramaturges et de leurs œuvres (1957-1977), submitted in partial fulfillment of the requirements for the Degree of Doctor of Philosophy, Ann Arbor, Michigan.

Laurent Lavoie (1986), « Petite histoire du théâtre acadien », in Langues et littératures au Nouveau-Brunswick, Melvin Gallant responsable de l'édition française, Moncton, Éditions d'Acadie, p. 231-258.

Lonergan, David (2000), La création à cœur : l'histoire du théâtre l'Escaouette, Tracadie-Sheila, Éditions de la Grande Marée, 2000, 48 p.

Lonergan, David (2001), « L’émergence du théâtre professionnel en Acadie: le Théâtre populaire d’Acadie et le théâtre l’Escaouette », in Les théâtres professionnels du Canada francophone, entre mémoire et rupture, Hélène Beauchamp et Joël Beddows, directeurs, Ottawa, Le Nordir, p. 27-47.

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