Parti acadien, 1972-1982

par Massicotte, Julien

Fondation du Parti acadien, 1971. De gauche à droite : Louise Blanchard, Jean-Pierre Lanteigne, Hélène Castonguay et Lucie Losier, responsables de la campagne de financement du Parti.

En 1972, une nouvelle formation politique voyait le jour au Nouveau-Brunswick : le Parti acadien. Formé de militants néonationalistes et syndicalistes surtout situés dans la péninsule acadienne, le Parti acadien maintiendra son existence pendant une décennie complète, avant de s’éteindre en 1982. Au cours de sa brève histoire, il  participera à trois élections provinciales, sans jamais faire élire de député. Malgré ses insuccès en période électorale, le Parti acadien s’avère fondateur de l’identité acadienne contemporaine. Ayant mis à l’avant-scène plusieurs enjeux importants pour la population acadienne, son legs le plus important s’inscrit en effet dans la pédagogie, la sensibilisation et l’engagement social. On retient aujourd’hui de l’existence du Parti acadien son discours politique néonationaliste et autonomiste, mais surtout l’une de ses principales utopies, le projet d’une province acadienne.

 


Article available in English : COMING SOON

Parti politique et acteur social

Page couverture du livre L'Acadien reprend son pays, de Claude LeBouthillier (1977)

Le Parti acadien a certainement contribué à une redéfinition claire du néonationalisme, et plus généralement de l’autonomisme politique en Acadie. Si le néonationalisme existait bien avant la venue du Parti acadien – notamment autour de la réflexion du mouvement étudiant et des intellectuels acadiens des années 1960 – cette formation politique lui donne une cohérence qu’il ne possédait pas auparavant. Le néonationalisme tel que promu par le Parti acadien sera plutôt ouvert, « civique », et fera peu référence à l’histoire, aux traditions et à la religion : il s’inscrit donc à contresens de la forme antérieure du nationalisme acadien (NOTE 1). S’il est possible de penser l’Acadie de nos jours en ces termes, force est de reconnaître à ce niveau le travail du Parti acadien.

Or, au cours de sa brève existence, le Parti acadien n’a jamais été un parti exclusivement néonationaliste, quoi qu’on en pense aujourd’hui. Il embrassera une diversité de causes situées plutôt à gauche du spectre politique, particulièrement durant ses premières années d’existence. C’est ainsi qu’il travaillera tour à tour pour les pauvres, les pêcheurs, les bucherons, les mineurs et les travailleurs de toutes sortes, les incitant à trouver leurs propres solutions à leurs propres problèmes. En dénonçant publiquement les injustices politiques, économiques, sociales et culturelles, ainsi qu’en condamnant le capitalisme et l’exploitation des travailleurs, le Parti acadien cherche à faire éclore une société meilleure et plus équitable (NOTE 2). En ce sens, il participe à la construction de l’identité acadienne contemporaine.

 

Petite histoire du Parti acadien

Gilles Thériault et Jean-Louis Collette, candidats du Parti acadien, 1974

L’histoire du Parti acadien remonte au tournant des années 1970. Des professeurs et des fonctionnaires acadiens, groupe surnommé le « comité des sept », se réunissent en 1971 pour discuter de la formation d’un nouveau parti politique (NOTE 3). En novembre 1972, sous l’initiative du professeur de philosophie Euclide Chiasson et de ses collaborateurs, le parti prend forme (NOTE 4). Les membres fondateurs souhaitent non seulement prendre leurs distances avec la culture politique ambiante, mais également avec l’élite politique et institutionnelle acadienne alors en place à l’époque. Non content de s’engager dans une panoplie de causes et de défendre les enjeux sociaux les plus variés, le Parti acadien souhaite en effet introduire une voie alternative dans la culture politique dominante. Selon le politologue Roger Ouellette, ses fondateurs veulent proposer une alternative aux deux partis traditionnels (libéral et conservateur), « qu’ils considèrent comme étant aux mains des anglophones et de l’establishment » (NOTE 5).

Affiche du Parti acadien, vers 1976

Les premières années d’existence du parti sont caractérisées par une valse idéologique : socialisme ou réformisme, électoralisme ou pédagogisme (NOTE 6) ? Si le Parti s'affirme surtout comme un vecteur d'éducation politique, il hésitera longtemps à se définir comme «nationaliste». Mais en 1976, alors que le Parti québécois est porté au pouvoir pour la première fois au Québec, les membres du Parti acadien reproduisent les mêmes débats : l’option socialiste contre l’autonomisme provincial. On choisira la seconde option, et le projet de province acadienne sera l’enjeu principal au cœur des tractations du parti, jusqu’à la fin de son existence en 1982 (NOTE 7).

Deux évènements de première importance marquent le déclin irréversible du Parti acadien : la Convention d’orientation nationale de 1979 et la loi 88, instaurée par le gouvernement conservateur provincial de Richard Bennett Hatfield (NOTE 8). À ces deux occasions, l’autonomisme provincial et le bilinguisme institutionnel, enjeux défendus par le parti, seront contestés ou réappropriés par d’autres acteurs.

 

Une empreinte multiforme

L’héritage du Parti acadien au sein de la culture acadienne contemporaine touche particulièrement les aspects linguistiques, nationalistes et politiques. La question linguistique est omniprésente dans le discours du Parti acadien, quoique loin d’être l’unique enjeu défendu par la formation.

Caricature tirée du quotidien L’Évangéline, 21 janvier 1972, p. 4.

L’action du parti se situe en continuité des revendications des années 1960 en ce qui concerne la langue et le bilinguisme institutionnel. On sait par exemple que le parti soutenait certains groupes et comités liés à la défense du français et à la promotion du bilinguisme (NOTE 9). La langue était également centrale dans la définition que l’on se faisait à l’époque de l’acadianité. Le géographe Adrien Bérubé parle à cet égard de l’« Acadie prospective », d’une Acadie définie par l’idée d’un projet politique d’avenir. Selon ce dernier, le Parti acadien s’inscrit dans ces balises : il perçoit l’avenir de l’Acadie du Nouveau-Brunswick dans le cadre du projet d’une province acadienne.

L’acadianité est définie, à l’époque, tant par les membres du parti que par les partisans du néonationalisme acadien en général, par la capacité de parler français et le fait d’habiter le territoire néo-brunswickois (NOTE 10). La promotion du français et du bilinguisme n’aura pas été un enjeu de premier ordre pour le parti. Il fut tout de même, en compagnie d’autres acteurs, un important supporteur de cette cause pendant les années 1970. En ce sens, le Parti acadien aura contribué à maintenir vivant, jusqu’à aujourd’hui, l’enjeu linguistique dans la société acadienne.

 

Le patrimoine politique du Parti acadien dans l’Acadie contemporaine

Louis Joseph Robichaud, premier ministre du Nouveau-Brunswick de 1960 à 1970

On peut légitimement se questionner sur cet héritage patrimonial contemporain du Parti acadien. En 2012, le 40e anniversaire de la fondation du Parti acadien sera d’ailleurs l’occasion de mesurer l’évaluation que la collectivité acadienne du Nouveau-Brunswick fait du legs de ce parti. Si le Parti acadien a joué un rôle fondamental à son époque, qu’en reste-t-il de nos jours?

Évoqué à l’occasion dans les médias, ou encore dans des essais, l’héritage du parti gravite autour de l’expérience politique et sociale qu’il a générée. Les commentateurs en parlent souvent avec une pointe de nostalgie, comme d’un moment où l’avenir politique acadien préoccupait véritablement une formation politique. La conscience collective acadienne est toutefois très loin d’être unanime lorsqu’elle évoque le souvenir des années Robichaud. L’impression générale que laisse le parti relève plutôt de l’anecdote historique, voire de la curiosité circonstancielle.

Photo promotionnelle du film Armand Plourde, une idée qui fait son chemin, réalisé par Denis Godin, ONF (1980)

Pourtant, il paraît clair que le Parti acadien aura su, durant sa brève existence, marquer la culture politique acadienne au Nouveau-Brunswick de façon durable, tant par l’influence qu’il a exercé dans la définition du nationalisme politique en Acadie – une définition, civique, éloignée des conceptions généalogiques, axée sur l’appartenance territoriale et linguistique – ainsi que son approche très militante concernant les enjeux sociaux, ayant eu des effets dans les années suivant son déclin jusqu’à aujourd’hui. Le Parti acadien a posé, plus clairement que jamais à l’époque, pour reprendre le titre du livre de l’historien Léon Thériault, la question du pouvoir en Acadie (NOTE 11). Plus clairement même que durant les périodes antérieures – les années Robichaud – et postérieures – des années 1980 à aujourd’hui. Une certitude demeure tout de même : malgré le fait que l’on puisse percevoir l’impact du Parti acadien dans la culture politique acadienne contemporaine, beaucoup de recherche dans ce domaine reste à accomplir pour mieux comprendre le rôle et la portée historiques de ce parti.

 

Julien Massicotte
Professeur d’histoire et de sociologie
Université de Moncton, Campus d’Edmundston 

 

NOTES

1. Julien Massicotte, L’Acadie du progrès et du désenchantement, 1960-1994, thèse de doctorat, Université Laval, Québec, 2011.

2. Centre d’études acadiennes, Fonds Parti acadien, no 719, Réal Gendron, « Qu’est-ce que le Parti acadien », s. d.

3. Parmi ceux-ci, mentionnons la présence d’André Dumont, professeur au Collège de Bathurst.

4. Roger Ouellette, Le Parti acadien : de la fondation à la disparition, 1972-1982, Moncton, Chaire d'études acadiennes, 1992, p. 24. Fait à noter, un groupe de nationalistes dissidents s’opposent en 1971 à la création d’un nouveau parti; ces gens seront à l’origine de la revue L’Acayen, qui commence à paraître en 1972. D’autre part, il existe une grande proximité idéologique entre la revue L’Acayen et le Parti acadien. Là-dessus, voir Monique Gauvin et Lizette Jalbert, « Percées et déboires du Parti acadien », Revue parlementaire canadienne, vol. 10, no 3, 1987. 

5. Roger Ouellette, op. cit., p. 26.

6. Monique Gauvin et Lizette Jalbert, loc. cit. 

7. Ibid. On connaît l’idée d’une province acadienne, incluant la section nord du Nouveau-Brunswick, en partant d’une diagonale allant de Grand-Sault à Moncton. André Dumont, acteur important du Parti acadien, écrivait d’ailleurs : « Sur vos somptueux bureaux d’acajou, dépliez une humble mappe du Nouveau-Brunswick, placez-y une règle en diagonale de Grand-Sault à Moncton. En suivant bien cette direction, tirez une ligne au crayon d’un bout à l’autre et inscrivez de nouveau dans la partie supérieure de ce partage ACADIE en grosses lettres » (André Dumont, « Rendez-nous notre terre », L’Acayen, juin 1972, cité dans Jean-Paul Hautecœur, L’Acadie du discours : pour une sociologie de la culture acadienne, Québec, Presses de l'Université Laval, 1975, p. 257).

8. La CONA de 1979 s’inscrit dans la tradition des conventions nationales acadiennes, où les élites se rencontrent pour discuter des enjeux collectifs les plus importants. À cette occasion, on tente de faire valoir une option proche de celle du Parti acadien, soit celle d’une plus grande forme d’autonomie politique, à la collectivité acadienne du Nouveau-Brunswick. Une position rejetée à l’époque par les grands partis politiques comme par les organisations représentatives de la collectivité acadienne, telle la SANB. Pour ce qui est de la loi 88, la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick, adoptée en 1981, elle confère aux francophones de la province le droit de posséder leurs institutions propres, dans les domaines de la culture et de l’éducation notamment.

9. Julien Massicotte, « Chronique d’un mouvement social acadien : le comité pour le bilinguisme à Moncton, 1972 », communication présentée au 86e Congrès annuel de la Société historique du Canada, Saskatoon, 28-30 mai 2007.

10. Adrien Bérubé, « De l’Acadie historique à la Nouvelle-Acadie : les grandes perceptions contemporaines de l’Acadie », dans Jacques Lapointe et André Leclerc (dir.), Les Acadiens : état de la recherche, Québec, Conseil de la vie française en Amérique, 1987.

11. Léon Thériault, La question du pouvoir en Acadie, Moncton, Éditions d’Acadie, 1982.

 

Bibliographie

Chiasson, Euclide, André Dumont, Jacques Fortin, Arthur William Landry, Donald Poirier, Armand Roy et Lorio Roy, Manifeste du Parti acadien, Petit-Rocher (N.-B.), s. n., 1972.

Doucet, Michel, Le discours confisqué, Moncton, Éditions d’Acadie, 1994.

Gauvin, Monique, et Lizette Jalbert, « Percées et déboires du Parti acadien », Revue parlementaire canadienne, vol. 10, no 3, 1987.

Godin, Rita, Le développement d'un tiers parti : le Parti acadien de son origine à 1982, mémoire de maîtrise, Université Laval, Québec, 1983. 

Ouellette, Roger, Le Parti acadien : de la fondation à la disparition, 1972-1982, Moncton, Chaire d'études acadiennes, 1992.

Thériault, Léon, La question du pouvoir en Acadie, Moncton, Éditions d’Acadie, 1982.

 

Documents complémentairesCertains documents complémentaires nécessitent un plugiciel pour être consultés

Photos

Ailleurs sur le web

Retour vers le haut

© Tous droits réservés, 2007
Encyclopédie du patrimoine culturel
de l'Amérique française.

Gouvernement du Canada