Québec, d'hier à aujourd'hui

Escaliers de Québec

par Guertin, Rémi

Escalier Lépine

Les escaliers publics sont un aspect incontournable de la culture urbaine de Québec. Difficile de se déplacer à pied sans les éviter. Avec leurs centaines de marches et de paliers, ils constituent des lieux de passage à la fois discrets et essentiels dans une ville où la topographie condamne ses résidents à monter et descendre sans cesse. Ils ont accompagné le développement des quartiers centraux, ils participent à la vivacité de leur quotidien, et ils contribuent à leur charme. À une époque où l'on se soucie d’environnement et de revitalisation du centre-ville, ces escaliers continuent de jouer un rôle important, autant pour les résidents que pour les visiteurs. Ils constituent des témoins de l'histoire de la ville, comme ils ont marqué certaines ruptures géographiques et sociales.

 

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Des éléments essentiels du patrimoine urbain

Escalier du Faubourg

Québec compte presque 30 escaliers, dont 11 assurent des liens directs entre les quartiers Saint-Roch, Saint-Jean-Baptiste, Saint-Sauveur et Montcalm. Deux escaliers unissent le Vieux-Québec et le quartier de la Gare et onze autres escaliers, souvent plus modestes, se localisent entre la Citadelle et la côte de la Montagne. Enfin, plusieurs petits escaliers, parfois dissimulés entre deux édifices, permettent de faire le saut entre deux rues, comme c’est le cas de ces quelques marches qui relient la rue du Petit-Champlain au boulevard Champlain. La plupart des escaliers ne sont que de simples structures de bois, comme ils l’ont toujours été, supportés par des ancrages à même le promontoire. Quelques-uns sont en fer, héritage du XIXe siècle. Ils sont aujourd’hui encore utilisés, fréquentés.

De nombreux documents représentent ou évoquent les escaliers de Québec, contribuant à leur reconnaissance et à leur renommée. Parmi ceux-ci, on compte des dizaines de tableaux, de croquis, de photographies et des écrits, parmi lesquels une recension d'anecdotes par Damase Potvin, de courtes monographies historiques de différents auteurs, ainsi qu'un ouvrage de l'historienne de l'art Marie-Ève Bonenfant, spécifiquement dédié aux escaliers en fer. L’escalier des Franciscains se faufile pour sa part dans un roman de Roger Lemelin (Les Plouffe), et l’escalier Casse-Cou a été mis en scène par Alfred Hitchock dans son film I Confess (1953). Sans oublier, évidemment, la place qui leur est réservée dans de nombreux guides touristiques.

 

Barrières et passages

À Québec, la forme urbaine est souvent réduite à la haute et à la basse ville, comme si le paysage avait favorisé l’émergence et le maintien d'un regard simplifié à la topographie du Cap-aux-Diamants: haut/bas, institutions/commerces, quartiers cossus/faubourgs, riches/pauvres, etc. Si la réalité s’avère plus complexe, cette vision demeure bien ancrée dans les mentalités.

Escalier du Cap Blanc

Or, ces deux villes que tout semble opposer dans les discours coexistent malgré tout, entre autres grâce à ces escaliers qui assurent des liens, des passages, pour ne pas dire des métissages. Pensons par exemple aux bourgeois du XIXe siècle, qui descendent faire leurs emplettes sur la prestigieuse rue Saint-Joseph, ou encore aux ouvriers des faubourgs d’en haut qui travaillent dans une manufacture de Saint-Roch. Pensons aussi à ces filles de Place Royale qui, au tournant des année 1950, montent sur la terrasse Dufferin par l’escalier Casse-cou dans l’espoir d’y croiser les beaux jeunes hommes de la haute ville. Quoique ces jeunes hommes n’osaient guère descendre, semble-t-il, craignant la jalousie de ceux d’en bas... Aujourd’hui, se sont plutôt les employés de bureau qui empruntent les escaliers publics ainsi que des sportifs qui profitent de leurs centaines de marches pour s’entraîner, tandis que les touristes découvrent avec bonheur les charmes escarpés de ces « villes dans la ville ».

Ainsi, au-delà de leur fonction première, au-delà de cette obligation à négocier quotidiennement avec un promontoire plutôt unique, les escaliers de Québec seraient porteurs d’une sorte de contradiction : ils contribueraient à incarner l’idée de deux villes séparées, tout en assurant leur réunion.

 

Du Régime français à nos jours

La fréquentation et le développement des escaliers publics de Québec a toujours été en lien avec l’intensité et l’animation des quartiers qu’ils relient. Pendant longtemps, les piétons étaient rois et maîtres : dans une ville qui porte la marque d’une géographie assez unique, les escaliers sont rapidement devenus une obligation. Comme il y avait peu d’endroits propices à l'aménagement de côtes, les escaliers ont représenté une façon simple de faciliter le va-et-vient des citoyens. De fait, leur construction a généralement accompagné l’urbanisation de la ville.

Dès les environs de 1660, un escalier est aménagé au pied du château Saint-Louis, résidence du gouverneur de la Nouvelle-France. À cette époque, la ville de Québec est pour ainsi dire ramassée autour du château et de Place Royale. Ce futur escalier Casse-cou, qui permet d’éviter la côte de la Montagne, demeure longtemps l'un des seuls escaliers publics de Québec.

Escaliers Casse-Cou

Du côté nord, la côte du Palais a longtemps été suffisante pour assurer la liaison avec le faubourg d’en bas. Néanmoins, le prolongement du faubourg du Palais vers le futur quartier Saint-Roch incite les autorités municipales à doubler la Côte-à-Coton d’un escalier en 1818. Dans les faubourgs, avant le milieu du XIXe siècle, les résidents auraient eu l’habitude d’emprunter des sentiers pratiqués à même le promontoire. Il en est ainsi à Sillery, où les ouvriers d’en haut empruntent des charcottes (francisation de l’anglais short cut - raccourci) à travers le cap pour atteindre les chantiers du bord du fleuve.

Durant la seconde moitié du XIXe siècle, l’industrialisation transforme profondément la ville, alors que les chantiers s’effacent rapidement au profil des manufactures et notamment des ateliers de fabrication de chaussures. Les faubourgs témoignent tout particulièrement de ces changements, poursuivant leur développement vers l’Ouest (ils atteignent la limite municipale à partir de 1845). Durant cette période, plusieurs escaliers sont alors construits le long du coteau Sainte-Geneviève.

Ainsi, les escaliers Lépine et du Faubourg datent de la fin de la décennie de 1850, tandis que l’escalier du Cap-Blanc (1868), qui sera pendant un temps surnommé Ross Rifle Stairs, permet aux ouvriers d’en bas d’atteindre l’arsenal des Plaines d’Abraham. Cet escalier est aussi emprunté par les raftmen, les débardeurs et les ouvriers qui montent en haut faire la fête dans les faubourgs Saint-Louis et Saint-Jean. L’annaliste des Sœurs du Bon-Pasteur devait d'ailleurs s’en plaindre:
«On y voyait affluer également des matelots qui montaient de la rade voisine par l’escalier des plaines d’Abraham. On peut se figurer les scènes d’ivrognerie et de désordre qui s’y passaient habituellement. Les gens paisibles ne s’engageaient pas, le soir, sans quelque crainte, dans certaines rues [du faubourg Saint-Louis] où l’on ne rencontrait guère que des passants en habits rouges ou des matelots à moitié ivres».

Charles Baillargé, Montréal, QC, 1891

Vers la fin du dix-neuvième siècle, quatre escaliers sont reconstruits en fer et incorporent des éléments décoratifs de fonte coulée. Il s’agit des escaliers Lépine (1882-83) et du Faubourg (1889) dans le quartier Saint-Roch, et des escaliers Casse-Cou et Charles-Baillargé (1893) dans le Vieux-Québec. Ces escaliers sont l'œuvre de Charles Baillargé, architecte et ingénieur réputé. Par le choix du fer comme matériau principal, ils se veulent alors un symbole de ce vent de modernité qui emporte alors Québec. Les escaliers Lépine et du Faubourg vont incarner à leur façon une discontinuité qui marque alors le paysage de Québec : pendant que la ville fortifiée est transformée en Vieux-Québec (conservation), les faubourgs d’en bas célèbrent cette modernité qui anime la rue Saint-Joseph, alors la place commerciale de toute la région. Ces escaliers de fer (modernes) auraient ainsi souligné la rupture entre une haute ville de plus en plus institutionnelle et un downtown plutôt bigarré et festif.

Si la construction de certains escaliers vise à répondre au développement de la ville, d’autres sont construits dans la foulée d’une demande populaire. C'est le cas, par exemple de l’escalier Colbert qui fait suite à une pétition déposée par des citoyens de Saint-Sauveur en 1892.

Quelques escaliers ont été construits au XXe siècle, dont celui de la rue Joffre, qui permet aux employés du quartier Saint-Sacrement d’atteindre les usines de Saint-Malo. L’escalier de la rue Lavigueur a possiblement été construit un peu après 1929. En 1941, l’escalier du Faubourg est doublé d’un ascenseur qui portera longtemps le nom d’ascenseur Gosselin, du nom de son propriétaire et promoteur Jacques Gosselin. C’est la Ville de Québec qui est aujourd’hui propriétaire de cet ascenseur, au pied duquel se trouve depuis longtemps un petit restaurant.

Malgré l’essor de l’automobile, la popularité des escaliers s’est longtemps maintenue, avant de souffrir pendant quelques décennies du déclin des quartiers centraux. Ce déclin ne devait pas entacher l’attachement des citoyens envers leurs escaliers, comme en fait foi un article paru dans le journal Droit de Parole (1976) qui se faisait l’écho de leurs préoccupations, après la fermeture non annoncée de l’escalier Victoria.


Développements et avenir des escaliers de Québec

Avec le retour en ville qui anime Québec depuis les années 1980, l’ancien centre-ville connaît une nouvelle vitalité. La multiplication des lieux d’emplois dans le quartier Saint-Roch, associée à une certaine gentrification, redonne aux déplacements piétonniers, et donc aux escaliers, une nouvelle importance. Divers projets gravitent autour des escaliers de Québec : ces projets représentent autant de tentatives d’appropriation, même si aucun d’entre eux ne s'est concrétisé, à l'exception notable du Défi escaliers Québec, une « course urbaine » créé en 2009 qui totalise 17 km et près de 3000 marches.

Déjà, au début des années 1960, un projet vise l’aménagement d’un parcours reliant les escaliers du coteau Sainte-Geneviève. Ce projet a refait surface vers la fin des années 1990 sous la forme d’une promenade dans le coteau, comme pour faire écho à la Promenade des gouverneurs sur le côté sud du promontoire. Cette passerelle existe déjà entre les escaliers Colbert et Victoria. Un projet de lien mécanique a aussi été proposé dans les années 1990 pour relier le Vieux-Québec avec la Basse-Ville, à la hauteur du musée de la Civilisation.

Au tournant des années 2000, la Ville de Québec a proposé la construction d’un escalier monumental pour souligner le 400e anniversaire de la fondation de la ville. Cet escalier se serait inscrit dans une Place de France qui aurait été aménagée au pied du promontoire, entre les deux bretelles aériennes de l’autoroute Dufferin. L'escalier monumental et cette Place de France auraient constitué un pivot permettant de réunir le secteur très valorisé du Vieux-Port, la Haute-Ville et le nouveau centre-ville en pleine revitalisation. Le projet a été finalement abandonné.

En 2009, avec le plan d'action Québec Horizon Culture, la Ville de Québec a annoncé officiellement son soutien au projet du Diamant, le centre de production et de diffusion artistiques de Robert Lepage et de sa compagnie Ex Machina. Ce nouveau projet, en lieu et place de l’escalier monumental du 400e, prévoit aussi un lien piétonnier entre la Haute-Ville et la basse ville. L’année suivante, le Sommet Saint-Roch, initiative des commerçants et autres principaux intervenants du quartier, a fait du Diamant l’une de ses priorités et réitéré l'importance que celui-ci comprenne un escalier et un lien mécanique reliant le Vieux-Québec au quartier Saint-Roch.


Un patrimoine urbain du quotidien

En somme, les escaliers représentent un repère patrimonial discret mais essentiel du paysage de Québec. Si la plupart d’entre eux ne sont qu’en bois et sans ornementation, ils sont néanmoins, au quotidien, des lieux de passage importants pour les gens de Québec. Ces passages recèlent d’importantes potentialités de mises en valeur, non seulement pour les points de vue qu’ils peuvent offrir sur la ville et son histoire, mais aussi comme lieu où expériencer un caractère fort de la ville. D'ailleurs, malgré leur discrétion paysagère, ils sont sans cesse réinvestis par les citoyens. C'est là l'une de leur grande force: sous des allures souvent modestes, ils sont les symboles matériels d'une culture locale aussi intangible qu'importante, à laquelle participe un paysage sans pareil, celui du promontoire du Cap-aux-Diamants.



Rémi Guertin Ph.D.


Géographe


BIBLIOGRAPHIE

Bonenfant, Marie-Ève, Les escaliers publics en fer de la ville de Québec : entre fonctionnalité et représentation (1880-1900), Sillery (Qc), Septentrion, 2006, 152 p.

Dion-McKinnon, Danielle, Sillery : au carrefour de l’histoire, Montréal, Boréal, 1987, 197 p.

Guertin, Rémi, Québec : morphogenèse d’une ville, thèse de doctorat, Université de Montréal, Montréal, 2006.

Patri-Arch, Patrimoine du quartier Saint-Jean-Baptiste, partie sud, vol. 3 : Histoire de la forme urbaine, Québec, Ville de Québec, Centre de développement économique et urbain, Design et patrimoine, 1997.

Ville de Québec, Service de l’aménagement du territoire, Centre de documentation (Édifice de la Fabrique), dossiers « Escaliers » et « Autoroute Dufferin-Montmorency ».

Documents complémentairesCertains documents complémentaires nécessitent un plugiciel pour être consultés

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  • Escalier Casse Cou
  • Parc Montmorency
  • Escalier du Faubourg
  • Escalier Lépine
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