Goélette Saint-André, joyau du Musée maritime de Charlevoix

par Bélanger, Diane

 

La Saint-André, chargée de «pitoune» de bois

La goélette Saint-André a été construite à La Malbaie, dans le comté de Charlevoix, en 1956. par un des derniers constructeurs de goélettes du fleuve Saint-Laurent, le maître charpentier Philippe Lavoie. Son propriétaire, le capitaine Fernand Gagnon ,a fait du cabotage sur le fleuve Saint-Laurent jusqu’en 1976 principalement entre Montréal et Sept-Îles. À cette époque, les goélettes de bois ont été remplacées par des navires de métal beaucoup plus gros, plus rentables et adaptés à la navigation hivernale. Un des derniers témoins de la longue tradition maritime propres aux Québécois, la Saint-André, a été classée « bien culturel » en 1978. Nouvellement restaurée, elle est conservée au musée maritime de Charlevoix, tout près des rivages qui l’ont vu naître.

 

Article available in English : The schooner Saint-André, a jewel of the Charlevoix Maritime Museum

La longue tradition maritime de Charlevoix

Le moteur est descendu dans la cale de la goélette

Établis le long du grand fleuve Saint-Laurent, les habitants du Québec ont longtemps eu comme occupation la construction navale et la navigation. En effet, pendant quelque 200 ans, le transport par la voie fluviale a été le seul qui permettait l’établissement et l’approvisionnement des villes et des villages. Cela est particulièrement vrai dans le comté de Charlevoix, alors que les caps élevés des Laurentides isolaient autrefois les gens établis le long des côtes. Les Charlevoisiens ont développé dès les débuts de leur histoire une riche tradition maritime. Les besoins en ravitaillement de la population ont donné naissance au cabotage à l’aide de navires construits localement, en même temps qu’à la multiplication de marins habiles à naviguer sur le fleuve dans des conditions souvent fort difficiles. Le chantier maritime établi dans la baie de Saint-Joseph-de-la-Rive est un des témoins majeurs de ce riche patrimoine. Transformé en musée «in situ», il permet la conservation et l’interprétation de la tradition maritime des Charlevoisiens. On y retrouve deux goélettes très représentatives de cette tradition, la Jean Yvan et la Saint-André, la seconde ayant été classée bien culturel par le gouvernement du Québec en 1978.


Les goélettes sur le fleuve Saint-Laurent

Si l’origine du terme goélette est inconnue (NOTE 1), on sait qu’il y a des goélettes en Nouvelle-France à partir de la fin du XVIIe siècle. Progressivement, ce type de navire va remplacer les canots, les barques et les chaloupes à voile qui sont utilisés au début de la colonisation française. Par définition, la goélette est un voilier à deux mâts. Le mât avant est plus court que le mât arrière alors que la voilure est composée de voiles auriques et triangulaires. Réputée pour sa bonne tenue en mer et sa maniabilité, la goélette devient rapidement le navire le plus utilisé par les marins du territoire québécois qui peuvent en faire construire sur les rivages du fleuve par des charpentiers habiles à la construction navale. L’abondance de bois de qualité pour la construction de petites et moyennes embarcations contribue fortement à la qualité de cette activité.

Dans Charlevoix, on note la présence de goélettes à voile dès le début du XIXe siècle. La goélette des charpentiers de Charlevoix s’apparente à la goélette « américaine » largement utilisée par les pêcheurs de la côte est de l’océan atlantique. Un type de goélette « canadienne française » se distingue rapidement par son fond plat qui permet l’échouement sur les battures du fleuve. Les riverains peuvent alors s’y rendre à marée basse pour charger leurs marchandises. À compter des années 1920, la motorisation de ces goélettes modifie une nouvelle fois leur utilisation en les transformant en un petit caboteur de bois très efficace. À compter de 1935 et jusqu’en 1960, les goélettes du Saint-Laurent vont connaître un âge d’or avec l’industrialisation de la Côte-Nord, la construction des premiers grands barrages d’Hydro-Québec et le développement de l’industrie des pâtes et papiers. Construite en 1956, la goélette Saint-André du capitaine Fernand Gagnon représente le parfait achèvement de cette petite industrie artisanale.


Les Gagnon, navigateurs de père en fils

Le capitaine Fernand Gagnon et l'image du frère André

Le propriétaire et capitaine de la Saint-André, Fernand Gagnon, était issu d’une famille de marins. Son père, le capitaine Joseph Gagnon avait fait bâtir le petit navire Le Charlevoix en 1922, puis la goélette Comté Charlevoix en 1935. C’est à bord de ce navire que Fernand Gagnon avait acquis les rudiments du métier de marin. Comme cette goélette ne permettait pas à deux familles de vivre du cabotage, le jeune capitaine Gagnon souhaitait depuis longtemps construire sa propre goélette. Lors d’un pèlerinage à l’Oratoire Saint-Joseph à Montréal, Fernand Gagnon avait fait un vœu au frère André « Si je réussis à construire mon bateau, je vais l’appeler le Saint André.»

Les défis étaient de taille. D’abord, il fallait réunir un montant de 80 000$, une somme considérable pour l’époque. Puis, il y avait le problème du bois qui commençait à se faire rare dans les montagnes de Charlevoix. L’idée vint alors à Fernand Gagnon de demander à la propriétaire de la seigneurie Cabot de lui permettre de couper le bois sur ses terres riches en arbres énormes dont le pin rouge, le pin blanc et le pin gris. Après bien des démarches, madame Cabot accepta de lui vendre un permis de coupe du bois. Fernand Gagnon et ses deux fils, Claude et Michel, ont ensuite passé un hiver à bûcher le bois nécessaire. La construction de la goélette Saint-André pouvait dès lors commencer.


La construction de la Saint-André

Plan de la goélette Saint-André

La construction de la goélette Saint-André a commencé le 5 juillet 1955, près du quai de la Malbaie. Elle a été confiée au maître charpentier Philippe Lavoie de la Petite-Rivière-Saint-François, l’un des meilleurs mais aussi l’un des derniers maîtres charpentiers de Charlevoix. Le plan de bois sculpté de la goélette était impeccable. Après la pose de la quille, on commença la coupe et l’installation des membres qui allaient constituer l’ossature du navire. Le travail a duré cinq mois et fut effectué par une équipe de 10 ouvriers dont faisaient partie Fernand Gagnon lui-même et ses deux fils. Madame Marguerite Gagnon était responsable de nourrir tous les ouvriers. Après une période de finition intérieure, la goélette a été lancée le 22 mai 1956. La bénédiction de la Saint-André eut lieu à l’aube, à marée haute, par le curé de La Malbaie, le Chanoine Thomas-Louis Imbeau. Fraîchement peinte de bleu, ce navire parfaitement adapté à sa fonction de caboteur sur le fleuve Saint-Laurent était magnifique.

Transport des membres

Lentement, la goélette Saint-André a été touée jusqu’au chantier maritime de Saint-Laurent, île d’Orléans, par la goélette Comté Charlevoix. C’est là que des ouvriers ont installé le puissant moteur Caterpillar de 355 chevaux vapeur, de même que tout l’équipement de navigation. Le 29 juin, elle quittait le chantier de l’île d’Orléans pour se rendre au bassin Louise de Québec afin de prendre sa place parmi la flotte des caboteurs à moteur qui sillonnaient le Saint-Laurent à cette époque.

La goélette Saint-André est un navire de bois à moteur et à fond plat. Son étrave est élancée et la poupe est elliptique. La coque est construite à franc-bord et la cale était originellement cloisonnée à l’avant et à l’arrière, ce qui permettait le chargement de marchandises diverses ou de bois de pulpe, les fameuses « pitounes » de quatre pieds de long, par une large écoutille sur le pont. À l’avant, se trouvait le gaillard où étaient logés divers équipements et sur lequel reposait le treuil de chargement. À l’arrière, se trouvaient le logement de l’équipage et la timonerie.

 

La carrière de la Saint-André

Le maître charpentier Philippe Lavoie

Le premier voyage de la Saint-André a eu lieu le 6 juillet 1956. La goélette a quitté Québec avec 6 500 poches de ciment à destination de Forestville, a`proximité de Labrieville, là où Hydro-Québec construisait un barrage hydroélectrique. Au retour, la goélette prenait un chargement de 185 cordes de bois de pulpe au Cap Colombier à destination de Trois-Rivières. Ce voyage est à l’image du type de transport de marchandises qu’effectuaient la plupart des goélettes. Pour sa part, le capitaine Gagnon a obtenu un contrat régulier de transport de dynamite auprès de la compagnie CIL. Pendant quinze ans, à l’époque du développement des grands barrages, la Saint-André a transporté des milliers de caisses de dynamite entre Beloeil sur la rivière Richelieu et la Côte-Nord sans qu’il n’arrive aucun accident.

Au cours des années 1970, la concurrence du transport routier a forcé la goélette Saint-André à rester le plus souvent à quai, à la Malbaie. Comme le navire était encore en bon état et parfaitement représentatif de la tradition des goélettes du Saint-Laurent, il a été classé « bien culturel » en 1978. Cependant, il a fallu attendre 1998 pour que la goélette entre au musée maritime de Charlevoix où le public peut dorénavant la visiter.

Un chantier devenu musée maritime

Les membres de devant

La construction des goélettes se faisait la plupart du temps sur la grève dans les anses où se trouvaient les villages. C’est le cas de Saint-Joseph-de-la-Rive où près de soixante goélettes ont été construites entre 1860 et 1930. On hivernait aussi les goélettes à cet endroit parce que la baie était protégée du vent du nord-ouest. Par contre, l’hivernement des goélettes présentait toujours des risques à cause des grands vents d’est et des glaces qui s’accumulent sur le fleuve. Dans les années 1940, une grosse tempête d’automne a frappé la région de Charlevoix et causé de graves dommages à plusieurs goélettes, certaines ayant même été brisées par la mer en furie. Le capitaine J.A.Z. Desgagnés avait alors formé le projet de fonder un chantier maritime chez lui à Saint-Joseph-de-le-Rive. Il avait réuni quelques amis du village et proposé la construction d’un chantier. Une vingtaine d’actionnaires contribuèrent à sa réalisation en investissant chacun 1 000$. Le 2 avril 1946, ceux-ci se portaient acquéreur du terrain au fond de l’anse. Ils procédèrent ensuite à la construction d’une cale de halage et d’un quai. Les tins, sur lesquels étaient hissées les goélettes à l’automne à l’aide d’un puissant treuil, complétaient les installations du chantier qui servait surtout à l’entreposage des navires et à leur réparation au cours de l’hiver. On n’a construit qu’une seule goélette sur ce chantier en 1952, la Mont-Sainte-Marie, propriété du capitaine J.A.Z. Desgagnés.

Les goélettes étaient lancées dès les premiers jours d’avril, ce qui obligeait parfois les employés du chantier à casser la glace. Dès lors, une nouvelle saison de navigation pouvait commencer. Au début des années 1970, les goélettes achevaient leur règne. Le cabotage domestique disparaissait peu à peu au profit des navires à plus fort tonnage. C’est alors que le capitaine Desgagnés, désormais impliqué dans la gestion de la compagnie Desgagnés Transport, a décidé de racheter les parts de tous les actionnaires et de conserver le lieu tel qu’on peut encore le voir aujourd’hui.

Le chantier maritime de Charlevoix est donc devenu le musée maritime de Charlevoix grâce à la famille Desgagnés qui est toujours impliquée dans l’administration et l’animation du musée. Outre les installations du chantier, le public peut visiter sur le site une ancienne scierie où une exposition décrit la construction de la goélette Mont-Sainte-Marie de même que l’atelier et le magasin du chantier désaffecté. Les visiteurs peuvent aussi visiter la goélette Jean-Yvan qui présente la vie à bord du navire ainsi que le remorqueur Le Félicia. De plus, dans la cale de la Saint-André, on retrouve une installation sonore qui relate la construction et la carrière de la goélette.

Un important lieu de mémoire

S’il ne se fait presque plus de construction navale sur les rives du Saint-Laurent et que le cabotage domestique a été supplanté par le transport routier, les Québécois en général, et les Charlevoisiens en particulier, demeurent attachés à leur fleuve qu’ils ont toujours plaisir à fréquenter et à raconter. De ce point de vue, le musée maritime de Charlevoix et ses goélettes est un lieu privilégié pour reprendre contact avec notre tradition maritime.

 

Diane Bélanger
Historienne et consultante en patrimoine

 

 

NOTES

1. Le dictionnaire Robert le rapproche du mot « goéland ».

 

BIBLIOGRAPHIE

Enquête ethnographique auprès de M. Claude Gagnon, novembre 2007 et avril 2008. L’auteure tient à remercier M. Gagnon de lui avoir fait partager ses souvenirs personnels de même que l’album familial de photographies.

Archives du Musée maritime de Charlevoix.

Bélanger, Diane, La construction navale à Saint-Laurent, île d’Orléans, Saint-Laurent, île d’Orléans, Bibliothèque David Gosselin, 1984, 149 p.

Bélanger, Diane, Concept d’interprétation et de mise en valeur de la goélette Saint-André, Saint-Joseph-de-la-Rive, Musée maritime de Charlevoix, janvier 2007, 17 p.

Desgagnés, Michel, Les goélettes de Charlevoix, Montréal, Léméac, 1977, 182 p.

Franck, Alain, Les goélettes à voiles du Saint-Laurent : pratiques et coutumes du cabotage, L’Islet-sur-Mer, Musée maritime Bernier, 1984, 166 p.

Gagnon, Hélène, Les chantiers maritimes de Charlevoix ltée, Saint-Joseph-de-la-Rive : synthèse historique et inventaire, septembre 1987, 67 p.

Therrien, Armand, L’historique de la goélette St-André, document inédit, Québec, 1978.

 

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