Louisiane

La Louisiane aujourd’hui : vivre en deux langues (1)

par Piccinin, Helgi

Le logo du projet francolouisiane

On assiste aujourd’hui à un regain d’intérêt pour la culture et le patrimoine francophone en Louisiane, après une longue période de recul causée principalement par l’obligation de s’instruire en anglais. Cette transformation forcée a mené à l’adoption de plusieurs éléments de la culture américaine et de la langue anglaise dans toutes les sphères de la société. De sorte qu’aujourd’hui, la première langue parlée en Louisiane est l’anglais et le nombre de personnes qui déclarent parler français à la maison a beaucoup diminué. Cependant, depuis 1968, il est de nouveau possible de s’instruire en français en Louisiane et la minorité francophone prend son avenir en main pour sauvegarder sa culture particulière. Fait à noter, la diffusion et la valorisation de la langue française par les jeunes se fait beaucoup par le biais de la culture et des arts. Le vidéaste Helgi Piccinin s’est penché avec attention sur ce sujet.

 

Article available in English : Louisiana Today—Living in Two Languages (1)

La longue route du Mississipi vaut la peine d'être filmée

Après avoir pris connaissance de l'histoire de la Louisiane depuis sa fondation européenne jusqu'à la lutte linguistique qui a animé le XXe siècle, il est maintenant temps de revenir à la rencontre du présent. Comme Zachary Richard l'exprimait dès le début de notre voyage, lorsque nous lui demandions son avis sur l'état du français en Louisiane aujourd'hui : « Comment va le combat? C'est difficile. » Pourtant, ce qui est étonnant en Louisiane, c'est que malgré ces difficultés, les gens ne se découragent pas. À cet égard, la nouvelle génération ne fait pas défaut. Les jeunes m'ont donné l'impression de se soucier de leur héritage et, bien loin de réagir comme des victimes, ils sont plongés dans l'action. Après tout, c'est à eux que revient la tâche de relever ces défis dans cet autre contexte, celui du XXIe siècle.

 

La Louisiane aujourd'hui...

Lors de notre première semaine en Louisiane, dans le cadre d'une rencontre organisée par le Centre de la francophonie des Amériques, j'avais rencontré trois acteurs forts intéressants de la relève francophone louisianaise : deux Louisianais et une Acadienne. Chacun à leur manière participe activement à redéfinir l'identité francophone aujourd'hui.

Stephen Juan Ortego

Stephen Juan Ortego au Blue Moon à Lafayette

Stephen est un jeune francophone de la Louisiane à l'esprit entrepreneur. Architecte de métier, spécialisé dans le design écologique, il est aussi cofondateur de la compagnie Infiné Moi, je le parle. Par le biais de services de traductions en français, ainsi qu'en développant un réseau et un portail aux commerces offrant des services dans les deux langues, cette jeune entreprise vise à « faire de la Louisiane un point central dans l'économie culturelle mondiale en attirant les touristes francophones ainsi qu'américains tout en mettant en valeur et en préservant son héritage français. » D'un naturel sympathique, dynamique, avec la tête remplie de projets, Stephen reflète certainement une image moderne du Cadien, à des années lumières de cette étiquette du « Coonass », paysan ou pêcheur pauvre et illettré, longtemps associé aux francophones de Louisiane. J'ai instantanément senti un profond sentiment de fierté en lui. Être Cadien, être francophone, être différent, pour lui c'est une force à mettre à profit plutôt qu'un complexe qu'il faille dissimuler. Mais il explique que s'il est « cool » d'être Cadien aujourd'hui, ça n'a pas toujours été ainsi.

 

De la honte à la fierté d'être francophone

Cette honte, dont parle Stephen Juan Ortego, je l'ai plusieurs fois perçue au cours de mes différentes rencontres. Les gens peuvent s'exprimer en français, mais sont parfois gênés de le parler. Soit parce que c'est encore une langue qu'on doit garder pour la maison, soit parce que le français qu'ils utilisent n'est pas le français « standard ». Sans oublier que pour la plupart des Louisianais, l'anglais est la langue première.

 

Ce sentiment de honte n'est pas difficile à comprendre. On ne peut demander à toute une génération qui s'est autrefois fait taper sur les doigts parce qu'elle s'exprimait en français, de dorénavant parler haut et fort ce français qui l'a autrefois marginalisée! Pas plus qu'on ne peut le demander à celle d'après, la génération perdue, constituée d'enfants auxquels leurs parents n'ont pas appris la langue interdite pour ne pas les gêner, qui ont dû redécouvrir leur identité parfois un peu par eux-mêmes, contre vents et marées. Comment ne pas être dans les eaux troubles d'une certaine ambigüité identitaire? Mais la nouvelle génération, ouverte sur le monde, affirmant aux grands vents ses particularités, quel rapport a-t-elle avec son identité? C'est à ce questionnement que tente de répondre Rocky McKeon.

 

Rocky McKeon, déconstruire les clichés pour construire une véritable identité

Rocky McKeon au Blue Moon à Lafayette

Artiste multidisciplinaire et activiste, Rocky a plus d'une corde à son arc afin de combattre la disparition d'une véritable et authentique culture francophone en Louisiane. À la fois musicien du groupe Isle Dernière, poète et rappeur à ses heures (La brise du Bayou), il est aussi le créateur de la web-émission Le Chausson Show (l'animateur n'est nul autre que la main de Rocky, recouverte d'une chaussette-marionnette!) et du Tabloïd cadien (les nouvelles de célébrités écrites en français de la Louisiane). Très impliqué dans le développement d'une culture louisianaise francophone réactualisée, son point de vue revigore le débat identitaire: «Si ça existe en anglais, ça devrait exister en français louisianais. Une langue devrait pas être limitée par son folklore.» Il a participé activement au premier dictionnaire du français louisianais publié en 2009, le Dictionary of Louisiana French.

Bien que ma rencontre avec Rocky ait été beaucoup trop courte, alors que je ne savais pas encore qui il était vraiment, il m'a laissé une forte impression. S'il a un point de vue critique sur certaines orientations du travail du CODOFIL (voir vidéo de l'article précédent), il n'en est pas moins l'héritier de certains acquis : ainsi, il a pu étudier le français à l'école (high school et université) et profiter d'un échange international avec la Belgique pour se perfectionner. Pourtant, alors qu'il reconnait que ces outils lui ont en partie permis de parler le français, cela ne lui suffit pas : « (...) je parlais comme l'autre bord, je parlais pas comme la Louisiane. »

 

Le travail de Rocky McKeon consiste à mettre de l'avant la culture et le français louisianais afin qu'elles existent et s'intègrent au présent. Esprit quelque peu provocateur, il aime jouer avec les clichés pour les déconstruire afin de dépasser ce qu'il appelle le « folklore », auquel il ne veut pas être restreint.

J'sus ni américain, ni acadien.
Je reste pas dans une cabane sus le bayou
Je joue ni l'accordéon, ni le violon.

Je prend pas une pirogue pour aller tout partout non plus.

(Extrait du poème Mon nom c'est Rocky)

Utilisant des moyens humoristiques pour soulever certains débats, Rocky est bien conscient du danger de folklorisation qui guette sa culture. De la même manière que Rachelle Dugas, il accorde une très grande importance dans la tenue d'un évènement en Louisiane: le congrès mondial Acadien en 2014.

 

Point de vue d'une Acadienne, Rachelle Dugas

Il ne faut pas se tromper : Rachelle n'est pas Louisianaise, mais bien Acadienne. Elle travaille cependant en Louisiane depuis plusieurs années et c'est à elle que revient l'importante responsabilité de défendre la candidature de la ville de Lafayette pour tenir le Congrès mondial acadien en 2014. Ce qui pourrait passer pour une mince affaire ne l'est pas pour Rachelle. Elle m'explique que la tenue de cet évènement à Lafayette est d'une importance cruciale, une opportunité « d'allumer une étincelle » sans laquelle la francophonie en Louisiane pourrait peut-être bien se résumer à quelque chose de pittoresque d'ici quelques années. En faisant référence aux mêmes craintes que Rocky McKeon, elle confie que « Sans le congrès, probablement que ça va probablement être encore qu'une affaire de tourisme. Et le tourisme sera basé sur quelque chose qui est point du tout authentique. »

La lutte se poursuit, mais avec de nouveaux outils

Lors de mes rencontres avec ces jeunes qui travaillent, chacun à leur manière, au développement de la culture francophone en Louisiane, une nouvelle couche s'est ajoutée à ma compréhension de cette Louisiane que j'apprends à découvrir. Le danger que j'entends gronder depuis mon arrivée et qui me fut confirmé par ces jeunes qui y font face, c'est que la lutte se transforme. Les grands-parents et arrière-grands-parents ont désappris le français en se voyant obliger d'aller dans les écoles anglophones. Les parents ont dû se battre pour réintégrer petit à petit l'enseignement du français dans les écoles à partir de 1968, mais de nombreux Louisianais ne le parlaient déjà plus ou très peu. Aujourd'hui, personne ne vous tapera sur les doigts parce que vous parlez français ou que vous êtes d'origine cadienne ou créole, mais qui vous encouragera? Un certain danger concernant la « disneylandisation de la Louisiane » est possible. Cette idée, je l'avais déjà pressentie, mais je n'avais jamais pu la formuler. Chacun à leur façon, chacun avec leurs forces, qu'elle soit entrepreneuriale, artistique ou évènementielle, Steven, Rocky et Rachelle se battent pour que la culture francophone en Louisiane continue à se développer de manière renouvelée et authentique.

On peut maintenant se poser la question: est-il possible de vivre dans les deux langues aux États-Unis, en ce début de XXIe siècle? (LIRE L'ARTICLE 5

 

Helgi Piccinin
Vidéo Eldorado

 

Documents complémentairesCertains documents complémentaires nécessitent un plugiciel pour être consultés

Vidéos
  • La «hontesse» selon Trahan, Michot et Clement (2min47sec) Les années de marginalisation sont encore bien présentes aujourd’hui alors qu’il subsiste un sentiment de honte associé à parler français en public. Mais paradoxalement, la fierté d’être francophone, d’être Cadien ou Créole se fait aussi bien sentir. Horace Trahan chante en français, mais préfère parler anglais. Patrick Michot et Élaine Clement nous expliquent que le français est plutôt parlé en famille que dans la rue. Montage : Helgi Piccinin. Production : Vidéo Eldorado. Équipe Vidéo Eldorado : - Benjamin Gadoury - Nicola Bannatyne - Helgi Piccinin - Erik Ayotte - François Guinaudeau - Mike Taylor - Lucie Zappa - Morgane Stein - Frank Trudel - Céline Jaegler.
    Vidéo haute résolution - Poids : 19689 Ko

    Durée : 2 min 46 sec
  • Rachelle Dugas expliquant l'importance du congrès acadien (4min18sec) C’est à Rachelle Dugas que revient l’importante responsabilité de défendre la candidature de la ville de Lafayette pour tenir le Congrès mondial acadien en 2014. Pour elle, la tenue de cet évènement à Lafayette est d’une importance cruciale, une opportunité « d’allumer une étincelle » sans laquelle la francophonie en Louisiane pourrait peut-être bien se résumer à quelque chose de pittoresque d’ici quelques années. Montage : Helgi Piccinin. Production : Vidéo Eldorado. Équipe Vidéo Eldorado : - Benjamin Gadoury - Nicola Bannatyne - Helgi Piccinin - Erik Ayotte - François Guinaudeau - Mike Taylor - Lucie Zappa - Morgane Stein - Frank Trudel - Céline Jaegler.
    Vidéo haute résolution - Poids : 32023 Ko

    Durée : 4 min 18 sec
  • Rachelle Dugas: identité acadienne et ressemblances avec cadiens (3min23sec) Les Acadiens et les Cadiens : des ressemblances, mais aussi des différences selon le point de vue acadien de Rachelle Dugas. Les ressemblances : être élevé dans un milieu minoritaire, être francophone, la force de détermination, l’importance de la famille. Parmi les différences, une fondamentale : le Canada est légalement bilingue (anglais et français), pas les États-Unis. La loi protège donc les Acadiens, mais pas les Cadiens. Montage : Helgi Piccinin. Production : Vidéo Eldorado. Équipe Vidéo Eldorado : - Benjamin Gadoury - Nicola Bannatyne - Helgi Piccinin - Erik Ayotte - François Guinaudeau - Mike Taylor - Lucie Zappa - Morgane Stein - Frank Trudel - Céline Jaegler.
    Vidéo haute résolution - Poids : 25330 Ko

    Durée : 3 min 5 sec
  • Rocky McKeon: parler le français... mais lequel? (40sec) Comme plusieurs de sa génération, Rocky a étudié le français à l’école (High school et université) et a ensuite décidé de poursuivre son apprentissage en profitant d’un échange international avec la Belgique. Mais, lorsqu’il revient de son voyage, il se rend à l’évidence que s’il a pu perfectionner son français, il ne parle pas pour autant le français louisianais. Montage : Helgi Piccinin. Production : Vidéo Eldorado. Équipe Vidéo Eldorado : - Benjamin Gadoury - Nicola Bannatyne - Helgi Piccinin - Erik Ayotte - François Guinaudeau - Mike Taylor - Lucie Zappa - Morgane Stein - Frank Trudel - Céline Jaegler.
    Vidéo haute résolution - Poids : 4892 Ko
  • Steven Ortego: Honte ou fierté d'être cadien aujourd'hui (1min 25sec) Est-ce qu’aujourd’hui, c’est « cool » d’être Cadien? Sans doute, mais Stephen Juan Ortego nous explique qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Pour ses parents et ses grands-parents, être différent, ça voulait aussi dire avoir honte et être marginalisé. Aujourd’hui, les gens sont fiers d’être Cadiens. Être différent, c’est même un peu à la mode. Montage : Helgi Piccinin. Production : Vidéo Eldorado. Équipe Vidéo Eldorado : - Benjamin Gadoury - Nicola Bannatyne - Helgi Piccinin - Erik Ayotte - François Guinaudeau - Mike Taylor - Lucie Zappa - Morgane Stein - Frank Trudel - Céline Jaegler.
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    Durée : 1 min 25 sec
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