Vieux-Port de Montréal

par Desjardins, Pauline

Vue nocturne du silo 5

Le port de Montréal fut de toutes les époques un maillon important dans l’histoire économique et sociale du Canada. Lieu de transit puis porte d’entrée vers l’Ouest, les ressources patrimoniales qu’il renferme témoignent d’une évolution continue depuis l’arrivée des premiers européens jusqu’à aujourd’hui. Le port a ainsi emprunté plusieurs visages au cours des siècles pour répondre à des besoins économiques et technologiques toujours grandissants. D’un havre naturel utilisé pour l’échouage il devient un port international. Aujourd’hui, il est un lieu patrimonial qui fait partie de l’arrondissement historique du Vieux-Montréal et du lieu historique national du Canada du Canal-de-Lachine.


Article available in English : The Old Port of Montréal

D’un havre naturel à un port international

Vue aérienne du Vieux-Port de Montréal

Pendant les deux premiers siècles de son existence, seule la voie maritime a permis d’accéder à l’Île de Montréal. Le territoire du Vieux-Port a donc inévitablement contribué de façon importante au développement de la Ville. C’est avec la construction du pont Victoria au XIXe siècle que l’accès à Montréal par transport ferroviaire s’ajoute au transport maritime, mais ce n’est vraiment qu’avec l’arrivée des transports routier et aérien que la primauté maritime perd graduellement de son intensité.

Les premiers Européens s'installent sur les basses terres de la pointe à Callière, un lieu d'accès facile aux petites embarcations. Ils ne tardent cependant pas à gagner le coteau Saint-Louis (la colline du Vieux Montréal) pour échapper aux inondations. Celui-ci est protégé d'une bonne partie des fureurs du fleuve par un talus naturel s'élevant de 5 à 6 mètres au-dessus de la plage.

Vue nord-ouest de Montréal

La ville est alors fortifiée, et la porte principale s’ouvre sur la berge à l’embouchure de la Petite Rivière. Cet espace identifié « place de débarquement » et l’îlot Normand, en face, donnera naissance au port. C’est dès le début du XVIIIe siècle que les premiers quais sont construits. Il s’agit tout d’abord d’aménagements rudimentaires régulièrement emportés par les glaces printanières. Les constructions plus permanentes apparaissent vers la fin du XVIIIe siècle. Certains de ces aménagements, comme des murs de soutènement en bois et en pierre, ont d’ailleurs été retrouvés à la fin des années 1980, lors des fouilles archéologiques qui ont précédé la construction de Pointe-à-Callière, musée d’archéologie et d’histoire de Montréal. Cette nouvelle institution, inaugurée en 1992, met d’ailleurs en valeur plusieurs vestiges archéologiques, de même que l’histoire de ce lieu fondateur de Montréal.

Au XIXe siècle, les vocations du port et de la ville évoluent. Les besoins changent avec la diversification de l’économie et une immigration sans précédent. À la fin du XVIIIe siècle, les marchands se sentent à l’étroit dans la ville fortifiée et font pression pour « abattre les vieux murs de la ville ». La démolition de ces ouvrages défensifs, à partir de 1802, crée un axe est-ouest précurseur des rues de la Commune et place D’Youville, le long desquelles des magasins et des entrepôts sont érigés pour tirer avantage du commerce maritime. Une douane pour l’import-export et l’immigration est également construite. Ce front portuaire, bien que modifié, constitue toujours aujourd’hui une longue façade sinueuse peu commune en Amérique.

Le 26 mars 1830, une commission est créée pour travailler à l’amélioration et à l’expansion du Havre de Montréal. Les Commissaires du Port mettent en place les infrastructures qui donnent au port le visage qu’il conservera tout au long du XIXe siècle.

Le port de Montréal en 1889.

Un mur de revêtement en pierre maçonnée est dès lors construit contre le talus afin de maintenir les sols. Son alignement définit la limite de propriété de la Société du Vieux-Port de Montréal, toujours valide aujourd’hui, bien que située dans la rue de la Commune. Les quais construits en contre-bas sont d’abord érigés sur des pilotis de pin, puis de chêne. Dès 1846, ceux-ci sont remplacés par des caissons de bois plus résistants et surtout plus faciles à réparer. La durée de vie de ces quais est cependant évaluée à environ une vingtaine d’années. Pendant cette période, l’entreposage se fait directement sur les quais, puis dans les entrepôts à proximité dans la ville. De plus, l’approfondissement du chenal dans le lac Saint-Pierre et autour des quais ouvre le port à la navigation océanique. L’extension du port se fait surtout vers l’est et le secteur plus ancien conserve la configuration d’antan.

Par contre, la physionomie du port se modifie dans la seconde moitié du XIXe siècle, notamment avec l’arrivée, en 1871, du transport ferroviaire sur les bas quais et les premiers élévateurs à grain au faubourg Québec (1885). Dès 1857, des élévateurs à grain flottants, précurseurs des autodéchargeurs actuels, sont utilisés pour assurer le transbordement du blé du navire fluvial au cargo transatlantique. Des entrepôts temporaires, démontés à chaque automne, s’ajoutent pour accueillir les denrées qui doivent être à l’abri des intempéries ainsi que les passagers. L’éclairage artificiel des lieux est quant à lui introduit sur les quais dès 1851. D’abord alimenté à l’huile, puis au gaz et à l’électricité, il permet de prolonger sensiblement la durée des activités journalières.

Le port tel qu'il apparaissait à son apogée avec son système de transbordement des grains dont l'efficacité à fait sa renommée.

À partir de la fin du XIXe siècle, Montréal devient un important centre des transports et ses infrastructures portuaires permettent d’offrir une continuité entre le transport maritime et le transport ferroviaire. Dans ce nouveau contexte, le port subit une transformation tout aussi radicale que durant les années 1830-1858 et il acquiert graduellement sa configuration actuelle. Les nouvelles jetées sont construites en caissons de bois sur toute leur hauteur, tandis que les quais bordant l’esplanade sont surmontés d’un mur de béton au-dessus de la surface de l’eau. Les caissons de bois situés sous le mur de béton sont parfois visibles à la période des basses eaux. Les caissons sous les jetées existent toujours derrière les caissons de béton cylindriques érigés vers 1950.

Le haussement des quais assure une meilleure protection contre les inondations et les glaces, et les grandes jetées parallèles offrent une plus grande surface de quayage pour accueillir les paquebots transatlantiques. De plus, le haut niveau des quais permet également la construction d’installations permanentes tels que des hangars et des silos. Certains de ceux-ci deviendront d’ailleurs des symboles de l’architecture moderne; la photo du silo 2 se retrouve en bonne place dans les publications internationales non seulement d’ingénierie mais aussi d’art de la première moitié du XXe siècle. Le silo 5 constitue un des principaux témoins de ces machines industrielles appelées à devenir obsolètes suite à l’arrivée de nouvelles technologies de transbordement. En ce qui concerne les hangars, plus de dix-huit seront construits durant cette période.

Le gigantesque silo 2 faisant paraître petit le marché Bonsecours

Toujours pour contrecarrer les effets dévastateurs de la glace et des inondations, un nouveau mur (« flood prevention wall ») sera érigé, un peu plus au sud du précédent, en bordure de la rue de la Commune et complétera la digue érigée en 1891 (Guard pier, jetée MacKay ou Cité du Havre). Avec l’érection de ce mur, le port, gigantesque, est coupé de la ville et devient un quartier à accès restreint. Deux sections de ce mur sont toujours visibles : à l’est, entre les rues Bonsecours et Berri, et à l’ouest, entre la rue McGill et le pont de la rue Mill.

L’ouverture de la voie maritime du Saint-Laurent, en 1959, permet aux transatlantiques d’accéder directement aux Grands Lacs et met ainsi fin au transbordement obligatoire des marchandises à Montréal. La diminution de l’activité céréalière et la diversification des produits transportés favorisent aussi de nouvelles techniques de manutention. Le transbordement direct de bateau à bateau et les conteneurs remplacent les silos et les grands entrepôts qui perdent leur utilité. Le besoin d’espace pour l’entreposage et la manutention des conteneurs amène les autorités du port à remblayer le bassin Jacques-Cartier et l’entrée aval du canal de Lachine en le fermant à la navigation de transit. En 1979, on démolit aussi le silo 2 et plusieurs des hangars en périphérie, principalement sur l’esplanade et sur les quais Jacques-Cartier et de l’Horloge.


Un espace portuaire international devenu espace urbain portuaire à caractère historique

 

La transformation de l'emprise portuaire de havre naturel à port international.

Au cours des années 1960, avec la montée des mouvements de protection du patrimoine, les projets sur l’utilisation du territoire du Vieux-Port se retrouvent à la rencontre de deux perspectives opposées : la réorganisation du secteur par les autorités du Port et le classement de l’ensemble du Vieux-Montréal comme « arrondissement historique » par le ministère des Affaires culturelles.

En novembre 1981, le gouvernement fédéral crée la Société du Vieux-Port de Montréal et lui donne le mandat de procéder à la revitalisation et au réaménagement d’un territoire correspondant essentiellement à la partie la plus ancienne du port. Les premiers travaux permettront l’ouverture sur le fleuve notamment avec la démolition du silo 1.

Pointe-à-Caillères, Musée d'archéologie et d'histoire de Montréal

Entre 1981 et 1984, les aménagements entrepris sont basés sur un concept de parc urbain et c’est dans cette optique qu’est aménagé le bassin dans le secteur centre, à l’emplacement du silo 1. On procédera également à la consolidation des quais, à la réfection de la tour de l’Horloge, aux curetages du poste de police et de l’entrepôt frigorifique. L’excavation des écluses 1 et 2 du canal de Lachine est également amorcée dans le but de les rouvrir à la navigation.

En 1984-1985, une grande consultation publique est commandée afin d’évaluer les attentes du public pour définir les grandes orientations devant guider le réaménagement de ce lieu à la valeur historique indéniable. Le réaménagement résultant du nouveau plan directeur déposé en 1990 a remporté de nombreux prix dans des domaines aussi variés que notamment l’architecture, la conservation historique, la restauration maritime, l’urbanisme, l’architecture du paysage, la muséologie et le tourisme.

Le Vieux-Port de Montréal est aujourd’hui un parc riverain qui correspond à la partie la plus ancienne du Port de Montréal, soit une bande de plus de cinquante hectares. Cet espace animé, qui sert de trame de fond à diverses activités touristiques, a été séparé du port commercial qui, de son côté, continue de s’étendre, de part et d’autre, sur des dizaines de kilomètres en bordure du fleuve.

Le Centre des sciences avec le cinéma IMAX/TELUS

Ce parc, inauguré en 1992 à l’occasion du 350e anniversaire de la fondation de Montréal, reçoit annuellement plus de cinq millions de visiteurs. Ceux-ci proviennent principalement de la grande région de Montréal. Ils viennent profiter des expositions interactives du Centre des Sciences, du cinéma IMAX/TELUS, des croisières, de sa patinoire en hiver, des nombreuses activités culturelles et éducatives ou simplement de la promenade et de la vue du fleuve.

L’espace portuaire est circonscrit par les grandes jetées construites au début du XXe siècle qui s’avancent dans le fleuve et forment, entre chacune d’elles, de grands bassins d’eau. Parmi ceux-ci : le bassin Alexandra, ou s’amarrent toujours les grands navires de croisières internationales; le bassin King-Edward, qui sert de port d’hiver aux grands lacquiers; le bassin Jacques-Cartier, port d’escale pour les croisières locales, les navettes fluviales et les visiteurs maritimes; le bassin Bonsecours, partiellement remblayé ou l’on contourne les vestiges de la jetée 2 en pédalo ou à patin, et finalement le bassin de l’Horloge, enclavé dans cette jetée en « L » où siège le Yacht Club de Montréal.

Certains des grands hangars, qui ont accueilli au fil des ans des marchandises de toutes sortes ainsi que plusieurs générations de passagers, trônent toujours sur les quais. Certains sont dans un état similaire à leur aspect d’origine alors que d’autres ont été entièrement transformés. Quelques bâtiments iconiques se dressent au-dessus des quais : à l’est, la tour de l’Horloge restaurée et désignée en 1996 « édifice fédéral classé du patrimoine »; à l’ouest, le célèbre silo 5 désigné en 1996 « édifice fédéral reconnu du patrimoine » en attente de conversion et, au centre, la tour des convoyeurs en attente de restauration.

Un territoire à forte valeur historique

Depuis son ouverture en 1992, à la même époque que le musée Pointe-à-Callières, la fréquentation du lieu n’a cessé de croître. Le Centre des sciences de Montréal, inauguré en 2000, dans les hangars réaménagés du quai King-Edward, est pour sa part une autre institution majeure implantée dans ce lieu phare de l’histoire de Montréal.


Pauline Desjardins
Ph.D, anthropologue-archéologue
Spécialiste en patrimoine industriel


Bibliographie

Collectif, « Dossier : Patrimoine Industriel », Continuité, no 96, printemps 2003, pp.20-50.

Desjardins, Pauline, Le Vieux-Port de Montréal, Montréal, Éditions de l’Homme, 2007, 224 p.

« Histoire », Quais du Vieux-Port de Montréal, [En ligne], http://www.quaisduvieuxport.com/fr/histoire

Le port de Montréal, documentaire de Gilles Blais, Québec, Office National du film du Canada, 1975. [En ligne] http://onf-nfb.gc.ca/fra/collection/film/?id=4823

« Le port au fil de son histoire », Port de Montréal, [En ligne], http://www.port-montreal.com/site/1_0/1_7.jsp?lang=fr

« Secteur du port, Le patrimoine du Vieux-Montréal en détail », Ville de Montréal, [En ligne], http://www.vieux.montreal.qc.ca/inventaire/fiches/secteur.php?sec=h

Documents complémentairesCertains documents complémentaires nécessitent un plugiciel pour être consultés

Photos

Ailleurs sur le web

Retour vers le haut

© Tous droits réservés, 2007
Encyclopédie du patrimoine culturel
de l'Amérique française.

Gouvernement du Canada