Collections du Séminaire de Québec : un patrimoine pour l’histoire de l’Amérique française

par Bergeron, Yves

Quelques objets des collections du Séminaire de Québec. © Musée de la civilisation, collection du Séminaire de Québec.

Les collections du Séminaire de Québec constituent l’une des collections muséologiques québécoises les plus significatives en raison de la qualité des objets, des œuvres et des documents qu’on y trouve. Le fait que ces collections aient été conservées et développées par une même institution pendant plus de trois siècles dans un même lieu, afin de servir d’outils de développement pour la formation d’une élite francophone, confère à l’ensemble une valeur d’unicité. Confiés depuis 1995 au Musée de la civilisation du Québec, ces œuvres, ces objets et ces documents témoignent de l’histoire et de l’évolution de la culture française en Amérique. Le patrimoine du Séminaire de Québec permet donc de porter un regard unique sur l’histoire de l’Amérique française. C’est pourquoi les archives du Séminaire de Québec sont inscrites depuis 2007 au prestigieux registre du programme Mémoire du monde de l’UNESCO.


Article available in English : The Legacy of the Séminaire de Québec Collections: an Account of the History of French Speaking North America

Un nouvel éclairage sur les collections du Séminaire de Québec

Longtemps restées dans l’ombre, les collections du Séminaire de Québec ont reçu un nouvel éclairage grâce au chantier de recherche amorcé en 1991. Au-delà de la valeur scientifique et muséologique de ces collections, l’analyse du projet de collectionnement a permis de constater que cet ensemble d’objets, d’œuvres, d’archives historiques et de livres rares et anciens témoignent de l’enracinement de la culture française en Amérique. Suivre le cheminement de ces collections depuis les premiers jours de la Nouvelle-France, c’est aussi découvrir l’aventure de la culture française en Amérique du Nord.

Les origines du Séminaire de Québec

François de Montmorency Laval. Archives de l'Université de Montréal.

Au milieu du XVIIe siècle, la Nouvelle-France compte 2 500 habitants dont 300 sont établis en Acadie. En comparaison, la colonie de la Nouvelle-Angleterre rassemble plus de 80 000 colons anglais. C'est dans ce contexte que l’évêque de la Nouvelle-France, monseigneur de Laval, fonde en 1663 le Séminaire de Québec afin de regrouper une communauté de prêtres diocésains. Les prêtres séculiers sont alors invités à mettre en commun leurs revenus et à joindre le Séminaire qui, pour sa part, s'engage à subvenir à leurs besoins « en santé comme en maladie ». Leur principale mission est de préparer les jeunes gens au sacerdoce et d'assurer le ministère paroissial de la colonie.

En tant qu'évêque, monseigneur de Laval dispose d'une juridiction exclusive concernant les questions religieuses. Son pouvoir, comme celui du Séminaire de Québec, s'étend sur l'ensemble de l'Amérique française. Il est à la fois d'ordre religieux et d’ordre administratif puisque l'évêque siège au Conseil souverain. Afin de consolider le développement du Séminaire, monseigneur de Laval rattache en 1665 son institution au Séminaire des Missions étrangères récemment formé à Paris. Dès lors, et pendant tout le Régime français, le Séminaire des Missions étrangères de Québec met tout en œuvre pour envoyer et maintenir des prêtres aux avant-postes des missions en Acadie, dans la région des Grands Lacs et dans la vallée du Mississippi jusqu'en Louisiane.

La constitution d'un patrimoine historique

Au-delà de sa mission éducative, le Séminaire de Québec rassemble peu à peu un patrimoine unique et précieux. Dès 1663, les prêtres mettent en commun leurs livres et constituent ainsi le noyau d'une des premières bibliothèques au pays. La dévotion du Séminaire à la Sainte Famille entraîne l'achat de gravures et œuvres sur papier propres à propager ce culte dans la colonie. De même, les gravures qui décorent les corridors et salles du Séminaire composent peu à peu une collection originale d'œuvres sur papier.

Fidèles aux traditions des communautés religieuses européennes, les prêtres du Séminaire constituent des archives afin de conserver la mémoire historique de la communauté. Puisque monseigneur de Laval siège au Conseil souverain, les archives du Séminaire contiennent de la correspondance et des documents relatifs à l'implantation de la colonie française en Amérique du Nord. Les archives historiques du Séminaire de Québec sont d’ailleurs reconnues depuis longtemps par les chercheurs et les historiens. Elles demeurent incontournables pour comprendre l’histoire de la Nouvelle-France et l’enracinement de la culture française en Amérique du Nord.

Le XIXe siècle et l'enseignement des sciences

Musée de physique. BAnQ.

Le XIXe siècle annonce un tournant majeur dans le développement des collections du Séminaire de Québec. C'est par l'enseignement des sciences qu'apparaissent les premières collections scientifiques. Jérôme Demers (1774-1853), considéré par ses contemporains comme « le plus grand éducateur de son époque », est probablement celui qui a marqué le plus fortement l'enseignement des sciences au Séminaire de Québec(NOTE 1). Demers croit profondément que l'enseignement doit suivre la pratique. Il met donc en place un cabinet de physique au début du XIXe siècle. Le projet se concrétise rapidement, de sorte que le Musée scientifique est inauguré le 22 octobre 1806. Il s’agit du premier musée au Canada.

Le Séminaire et l'Université Laval

Université Laval. BAnQ.

Dès le XVIIIe siècle, l'idée d'une université française fait surface. Les élites voient dans le système scolaire la possibilité de mener un double combat contre les conquérants anglais, dont l'enjeu est la domination et le triomphe de l'une des deux cultures(NOTE 2). En fait, ne disposant que de peu de ressources, l'instruction française vivote plus qu'elle ne lutte.

Au début du XIXe siècle, l'idée de créer une université se précise peu à peu. Anglophones et francophones se disputent le projet. Le clergé catholique et le clergé anglican mènent le débat. Les clercs comme les laïcs voient dans ce projet d'université le fer de lance d'une stratégie permettant de sauvegarder les institutions « façonnées par l'histoire, la foi, la langue et les mœurs(NOTE 3) ».


Bien que le projet refasse surface à la suite des troubles de 1837-1838, il faut attendre 1849 pour que le Séminaire de Québec entreprenne des actions pour jouir des privilèges des collèges universitaires. Le Séminaire dispose alors d'avantages indéniables. La bibliothèque comporte plus de 10 000 livres consacrés à la théologie, à la littérature, à la philosophie, aux sciences et à la médecine. S’y trouvent également un cabinet de physique et des collections de sciences naturelles propres à l'enseignement. Les luttes entre les évêchés de Montréal et de Québec donneront finalement raison au Séminaire de Québec. À l'automne 1852, le supérieur du Séminaire, l'abbé Louis-Jacques Casault, rédige les règlements de la première université française en Amérique du Nord.

Des collections au service du savoir

Musées de botanique, de numismatique et de minéralogie. BAC.

Grâce à l’action de professeurs comme Jérôme Demers, le musée scientifique du Séminaire s’est rapidement développé pour donner naissance, dans la première moitié du XIXe siècle, à un cabinet de physique, un musée de zoologie et un musée de minéralogie et de géologie. Ce mouvement est si vivant qu’au moment de la création de l’Université Laval en 1852, la charte reconnaît la valeur scientifique du Séminaire et signale la présence de collections et de musées destinés à l’enseignement. Quelques années plus tard, l’institution compte près de huit musées : le Cabinet de physique, le Musée de minéralogie et de géologie, le Musée de zoologie, le Musée de botanique, le Musée de numismatique, le Musée religieux, le Musée ethnologique et le Musée médical.

L'émergence de la collection beaux-arts

Le Séminaire collectionne des œuvres d'art depuis l'époque de monseigneur de Laval, mais ce n'est que dans la seconde moitié du XIXe siècle qu'apparaît un véritable musée de beaux-arts(NOTE 4). Au cours des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, le Séminaire acquiert des gravures et des tableaux qui contribuent à l'édification, à l'instruction et aux dévotions de la communauté ainsi qu'à son œuvre missionnaire. L'arrivée au pays, entre 1817 et 1820, de tableaux européens par l’entremise des abbés Desjardins permet de constituer une première collection de tableaux qui aura un effet marquant chez les artistes(NOTE 5). Cet ensemble sera augmenté lors de la vente à l'encan de la collection du peintre Joseph Légaré en 1874. C'est alors l'occasion rêvée d'inaugurer, en 1875, une galerie de peintures dans le pavillon principal de l'Université Laval. Ce musée s'impose rapidement en raison du prestige que lui confèrent les œuvres européennes.

Musée de peintures. BAC

Cet intérêt pour la collection de peintures européennes connaît son apogée avec l'entrée en scène de J. Purves Carter en 1908. Carter propose aux autorités du Séminaire de restaurer le tableau de la Sainte Famille, endommagé lors de l'incendie de la chapelle extérieure en 1888. Le résultat s'avère exceptionnel et on lui confie bientôt la restauration de la collection de tableaux. En 1909, le public peut admirer les toiles « rafraîchies » par Carter. L'intérêt est tel que plusieurs militent en faveur de la construction d'un musée national au parc Montmorency à partir des collections du Séminaire et de l'Université. Un projet est présenté au premier ministre, sir Wilfrid Laurier.

Au moment où on fait l’éloge de la collection du Musée de peinture, un incident vient assombrir les espoirs de voir émerger un musée national. En effet, un critique d'art du nom de Louis Gillet visite rapidement le Musée en 1910 et il publie un texte incendiaire dans le journal La Canadienne : « Le Canada n'a pas de musée. [...] Il vaut mieux ne rien dire du Musée de Québec, conservé dans des bâtiments de l'Université Laval; c'est une cargaison sans valeur apportée là en 1826 par un chanoine émigré, du nom de Desjardins, un amas de toiles où on n'en rencontre pas deux ou trois qui vaillent un regard(NOTE 6). » Ce texte porte un dur coup à la reconnaissance de la collection. Quoi qu'il en soit, en juillet 1912, les 418 tableaux sont présentés dans différentes salles de l'Université, constituant en quelque sorte un musée de peinture.

Salon de réception, Université Laval, vers 1900. BAnQ.

Les musées scientifiques disposent de conservateurs depuis la création de l'Université en 1852. Toutefois, ce n’est qu’en 1933 que l'administration du Séminaire et de l'Université nomment le doyen de la Faculté des arts, monseigneur François Pelletier, comme conservateur du Musée de peinture. Dès lors, celui-ci révise et réimprime le catalogue de la collection. Le Musée entre dans une phase de transformation au moment même où l'Université déménage vers la cité universitaire à Sainte-Foy. Lorsque l'abbé André Jobin prend charge de la collection de tableaux en 1950, il expose une cinquantaine d'œuvres jugées les plus belles dans une salle ouverte du lundi au vendredi.

Depuis le XIXe siècle, le Séminaire achetait des œuvres de peintres canadiens, mais ces tableaux ne figurent pas dans les salles du Musée. Certes, au détour d'un corridor ou d'une salle du Séminaire, le visiteur peut découvrir des tableaux d'Antoine Plamondon, de Théophile Hamel et de Joseph Légaré. Mais les œuvres canadiennes ne font leur apparition au Musée qu’au milieu des années 1950.

L'abandon des musées scientifiques et des collections ethnographiques

Tout au long du XIXe siècle, les collections de sciences naturelles destinées à l’enseignement et à la recherche se développent(NOTE 7). Puis les autorités de l’Université considèrent que les musées apparus au siècle dernier ne répondent plus aux orientations du développement scientifique. Les collections d'entomologie, de zoologie et de botanique qui servaient de support à l'enseignement et à la recherche sont en voie de devenir de simples témoins de pratiques pédagogiques du passé et d'une vision du monde qui s'éteint au XXe siècle.

De 1920 à 1940, on assiste également à l'abandon et au démantèlement du Musée d'ethnologie apparu quelques années après la création de l'Université Laval. Les objets de la collection amérindienne de Joseph-Charles Taché, les œuvres d'art de la collection chinoise, les objets de la collection africaine, les artefacts de la collection égyptienne ainsi que les objets anciens reliés à l'histoire du Séminaire sont bientôt remisés dans les greniers.

Des collections pour l’histoire

Document présentant le concept du Musée de l'Amérique française

L’intérêt pour les collections du Séminaire ne sera ravivé qu’au début des années 1980 alors que le ministère de la Culture finance le projet de construction du Musée du Séminaire de Québec. Celui-ci ouvre ses portes en 1983 en concentrant ses expositions autour des collections d’œuvres d’art (peintures, sculptures, œuvres sur papier). Après quelques années, une nouvelle réflexion sur la mission de l’établissement est amorcée. Un comité d’experts propose une relecture des collections en tenant compte des collections ethnographiques, des collections scientifiques, des archives et du fonds des livres rares et anciens. Le rapport souligne l’unicité de l’ensemble et dégage le fil qui relie ces objets patrimoniaux. Le comité conclut que ces collections témoignent « de façon éloquente des racines du fait français en Amérique du Nord(NOTE 8) ». Ce bilan déclenche un vaste chantier de recherche. Entrepris en 1991, l’inventaire révèle en 1995 la richesse exceptionnelle des collections et contribue à la reconnaissance de ce patrimoine d’intérêt national. C’est ainsi que l’on redécouvre l’origine du premier musée au Canada (1806) et que l’on retrouve une partie de la collection Taché d’objets amérindiens présentée à l’Exposition universelle de Londres en 1851. Dès lors, le Musée du Séminaire se transforme en musée d’histoire de l’Amérique française. Les expositions replacent désormais les objets dans la trame plus large de l’histoire des francophones en Amérique du Nord.

Une ultime reconnaissance

À la suite de problèmes de financement, le gouvernement du Québec décide en 1995 d’intégrer le Musée du Séminaire et ses collections au Musée de la civilisation du Québec. Le gouvernement reconnaît ainsi les collections du Séminaire en tant que patrimoine national.

Acquises dans une perspective institutionnelle, ces collections demeurent le reflet des vocations du Séminaire de Québec et de l’Université Laval. D’un point de vue historique et muséologique, le projet était simple : constituer des collections au service du savoir et de l’éducation. Les objets ainsi rassemblés constituent autant d’outils de développement essentiels à la formation d’une élite francophone.

Au-delà des collections et du patrimoine architectural, le Séminaire de Québec demeure un lieu vivant, où une communauté de prêtres œuvre depuis le XVIIe siècle. Par leur vision, ceux-ci ont formé des collections cohérentes qui sont devenues au fil des siècles des témoins du développement de la société française en Amérique du Nord.

 

Yves Bergeron

Professeur, muséologie et patrimoine
UQAM

 

NOTES

1. Voir, à ce propos, Claude Galarneau, « L'enseignement des sciences au Québec et Jérôme Demers (1765-1835) », Revue de l'Université d'Ottawa, vol. 47, nos 1-2, janvier-avril 1977, p. 84-94.

2. Jean Hamelin, Histoire de l'Université Laval : les péripéties d'une idée, Québec, Presses de l'Université Laval, 1995, p. 10-11.

3. Ibid., p. 14.

4. David Karel, Univers cité : collections pour voir, collections pour savoir, Québec, Musée de l'Amérique française, 1993, 48 p.

5. Il s’agit de la collection Desjardins. Voir Laurier Lacroix, Le fonds de tableaux Desjardins : nature et influence, thèse de doctorat, Université Laval, Québec, 1998, 4 vol.

6. Louis Gillet, « Un projet de musée à Montréal », La Canadienne, janvier 1911, p. 4-7.

7. Pascale Gagnon, Les musées de sciences naturelles de l'Université Laval au Séminaire de Québec, Québec, Musée de l'Amérique française, 1995, p. 111-115.

8. Rapport du comité du concept au conseil d’administration de la Société du Musée du Séminaire de Québec, 27 mars 1990, p. 5.

 

BIBLIOGRAPHIE

Bergeron, Yves, Un patrimoine commun : les musées du Séminaire de Québec et de l'Université Laval, Québec, Musée de la civilisation, 2002, 214 p.

 





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Vidéo
  • Petit séminaire (Film muet) Montage d'extraits de films montrant des vues d'ensemble et des événements ayant eu lieu au Petit Séminaire de Québec. Journée Portes ouvertes de la Faculté des sciences en 1944. Congrès de la langue française au Canada en 1952 (au cours duquel le Premier ministre Maurice Duplessis reçoit un diplôme honorifique de l'Université Laval). Célébration du centenaire de l'Université Laval en 1952.
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