Mémoire de Catherine de Saint-Augustin, du Québec à la Normandie

par Thierry, Éric

Catherine de Saint-Augustin par l’abbé Pommier (1668). Centre Catherine-de-Saint-Augustin de Québec.

Placée au nombre des fondateurs de l’Église canadienne, Catherine de Saint-Augustin a été béatifiée par le pape Jean-Paul II en 1989. Née en 1632 à Saint-Sauveur-le-Vicomte, en Normandie, sous le nom de Catherine de Longpré, elle est entrée en 1644 chez les hospitalières de Bayeux. Elle n’a pas tardé à se porter volontaire pour seconder les religieuses ayant la charge de l’Hôtel-Dieu de Québec et elle a débarqué en Nouvelle-France en 1648. Elle y a mené une vie exemplaire puis elle y est morte toute jeune encore, de maladie, en 1668. Sa renommée grandissante au Québec, à compter de la fin du XIXe siècle, a permis à son pays natal de la redécouvrir.


Article available in English : Catherine de Saint-Augustin, Remembered from Quebec to Normandy

Succès et discrédit de la Vie écrite par le père Ragueneau

Gravure publiée dans le livre du père Ragueneau.

L’ancien confesseur de Catherine de Saint-Augustin, le jésuite Paul Ragueneau, publie en 1671 une Vie de la mère Catherine de Saint-Augustin. L’ouvrage révèle les combats que la religieuse a dû livrer contre des démons, les apparitions du Christ, de la Vierge et de plusieurs saints dont elle a été témoin et le rôle de victime qu’elle a assumé pour le salut de la colonie. Dès sa publication, le livre connaît un grand succès dans les milieux dévots, tant en Normandie que dans le reste de la France. Il raffermit la ferveur de communautés religieuses, comme celle des visitandines de Caen, suscite la dévotion de prélats, comme Maupas du Tour, évêque d’Evreux, et sert même à l’édification de laïcs, comme ce jeune Parisien oisif qui, selon l’annaliste de l’Hôtel-Dieu de Québec, se résout à devenir missionnaire jésuite au Canada en le lisant (NOTE 1).

La Vie de la mère Catherine de Saint-Augustin paraît toutefois alors que la mystique commence à susciter beaucoup de méfiance et que la condamnation du quiétisme(NOTE 2) va finir par la discréditer. Dès 1691, le récollet Chrestien Le Clercq se moque du père Ragueneau qui a placé le diable dans une dent de Catherine de Saint-Augustin, « pour faire paraître sa sainteté », et qui a évoqué la vision de Catherine de Saint-Augustin de quatre démons secouant la ville de Québec, « par les quatre coins », lors du tremblement de terre de 1663 (NOTE 3). Dans son Histoire et description générale de la Nouvelle-France publiées en 1744, le père de Charlevoix a beau tenter de défendre son confrère de la compagnie de Jésus, en écrivant que « dans la conduite de Dieu à l’égard des Ames, à qui il fait part de ses communications les plus intimes, il y a des Mysteres cachés, qu’il est inutile, et quelquefois dangereux de dévoiler aux yeux du Public »(NOTE 4) les « choses extraordinaires »(NOTE 5), et plus précisément les interventions de diables tourmenteurs, ne sont plus communément admises dans la littérature hagiographique.

Le discrédit, dans lequel se trouve le livre du père Ragueneau au XVIIIe siècle, se prolonge au siècle suivant. Au Canada, en 1845, l’historien François-Xavier Garneau n’hésite pas à faire de Catherine de Saint-Augustin une adepte du quiétisme (NOTE 6), et en Normandie, trois ans plus tard, l’éditeur de l’Annuaire du département de la Manche, dans lequel l’érudit cherbourgeois Victor Le Sens vient de publier un article sur la religieuse, se sent obligé de préciser en note que « le jésuite Ragueneau, son biographe, a inséré dans l’histoire de cette sainte fille des mensonges pieux, comme en ont inventés tant d’écrivains de son ordre »(NOTE 7).

Catherine de Saint-Augustin réhabilitée

Il faut attendre la publication au Canada, en 1878, de l’Histoire de l’Hôtel-Dieu de Québec de l’abbé Henri-Raymond Casgrain pour voir réhabilitée Catherine de Saint-Augustin. Victime immolée pour sauver la Nouvelle-France des « désordres »(NOTE 8) des années 1660, selon le point de vue hagiographique de l’abbé Casgrain, la sainte hospitalière de Québec ne pourrait-elle pas assurer le salut de l’ancienne France déchristianisée des années 1870 ? Le chanoine normand Le Cacheux est encouragé par l’historien canadien-français à trouver dans l’ouvrage du père Ragueneau la matière d’un article sur « une famille chrétienne au XVIIe siècle à Saint-Sauveur-le-Vicomte », celle de Catherine de Longpré. Il le publie, de janvier à mars 1878, dans la Semaine religieuse du diocèse de Coutances et Avranches et, en 1891, un autre curé de Normandie lecteur de Casgrain, Eugène Viel, fait de Catherine de Saint-Augustin une des « gloires du Cotentin » et espère « contribuer à la solennelle glorification par le Saint-Siège de cette fidèle Amante de Jésus-Christ »(NOTE 9).

James Pattison Cockburn, L'Hôpital général à Québec, Bas-Canada. BAC

Cette étude publiée à compte d’auteur a peu de succès en France, mais la renommée de Catherine de Saint-Augustin ne cesse de grandir au Québec. Comme on sait désormais qu’elle a eu pour directeur secret le père Jean de Brébeuf tué en 1649, sa cause profite de celle des « saints Martyrs canadiens ». Depuis sa fondation en 1892, un mensuel de Montréal, le Messager canadien du Sacré-Cœur de Jésus, relaie les efforts de l’Eglise canadienne pour faire canoniser les missionnaires jésuites victimes de la fureur iroquoise et, en 1907, son directeur, le père Léonidas Hudon, publie une Vie de la mère Marie-Catherine de Saint-Augustin. Le livre doit beaucoup à l’ouvrage du père Ragueneau et parvient à susciter à l’hospitalière « de nombreux imitateurs dans l’esprit d’apostolat et l’amour de la croix »(NOTE 10).

Les lents progrès de la cause

Le dossier du procès apostolique des « saints Martyrs canadiens » est remis à la sacrée congrégation des rites en 1923 et le procès informatif de Catherine de Saint-Augustin commence la même année à Québec, puis un an plus tard à Bayeux. Là témoigne l’académicien français Georges Goyau qui vient de publier ses Origines religieuses du Canada. Son ouvrage met en relief « l’âge des Martyrs » et rend hommage à Catherine de Saint-Augustin(NOTE 11). Georges Goyau a lu le livre du père Hudon et favorise sa réédition à Paris en 1925.

Cathédrale de Bayeux. BAnQ

Une fleur mystique de la Nouvelle France connaît un réel succès auprès des catholiques de France et revivifie la dévotion des hospitalières de Bayeux, mais la cause de Catherine de Saint-Augustin suit son cours avec lenteur, alors que les « saints Martyrs canadiens » sont canonisés dès 1930. Un regain d’intérêt est suscité au Québec par la création du comité des fondateurs de l’Eglise du Canada en 1941 et par la campagne de prières que celui-ci organise l’année suivante pour la béatification et la canonisation de François de Laval, Marguerite Bourgeoys, Marie de l’Incarnation et Catherine de Saint-Augustin.

En Normandie, malgré l’occupation allemande, le clergé est tenu informé et l’abbé Léon Blouet fait paraître, en 1942, une étude intitulée Une Normande héroïque. Toutefois, les ravages de la bataille qui suit le débarquement du 6 juin 1944 occultent ses efforts et il faut finalement attendre l’ouvrage de Marthe Ponet-Bordeaux, publié en 1957 par les prestigieuses éditions Grasset de Paris, pour entendre de nouveau parler de Catherine de Saint-Augustin dans son pays natal(NOTE 12).

L’hospitalière de Québec apparaît alors d’actualité, comme le rappelle le père de Parvillez dans son avant-propos : « Nous sommes à l’heure des Mouvements de jeunesse, et Catherine, si Dieu lui fait escalader nos autels, sera la plus précoce de nos saintes. Nous sommes au siècle des missions, et nos jeunes filles écoutent l’appel des terres lointaines : Catherine fut l’une des premières à comprendre qu’une religieuse pouvait être missionnaire. Nous assistons à la promotion de la femme, et celle-ci cherche son équilibre entre les tâches grandioses qui lui deviennent accessibles et les besognes familiales, maternelles, auxquelles sa nature la prépare. Et Catherine, que nulle initiative n’effrayait, s’est bornée pourtant à son emploi d’infirmière : destinée à la fois héroïque et féminine »(NOTE 13).

Vue de deux chapelles du chœur de la cathédrale de Bayeux.  E. Thierry,  2007.

À l’approche du troisième centenaire de la mort de la religieuse, les Normands et les Québécois finissent par se mobiliser ensemble, et c’est Saint-Sauveur-le-Vicomte qui est choisi comme cadre pour une importante cérémonie organisée le 8 mai 1968 par les associations Normandie-Canada et Canada-Normandie, le comité d’expansion économique Québec-Normandie, la ville et l’archevêché de Québec, et la commune natale de Catherine de Saint-Augustin. Ce jour-là, Gilles Lamontagne, maire de Québec, inaugure une rue Catherine- de-Longpré et Mgr Bélanger, représentant du cardinal Roy, archevêque de Québec, bénit une plaque scellée dans l’église à proximité des fonts baptismaux datant du début du XVIIe siècle.

La béatification

Malgré la mobilisation des fidèles, la cause poursuit lentement son chemin puisque c’est seulement en 1980 qu’elle est portée à Rome. Encore faut-il, à partir du dossier constitué, bien mettre en évidence la sainteté de Catherine de Saint-Augustin. À la demande des augustines de Québec, le moine bénédictin Guy-Marie Oury se met au travail et sa démonstration semble convaincre : le 9 juin 1984, l’Église proclame l’héroïcité des vertus de Catherine de Saint-Augustin et, le 23 avril 1989, le pape Jean-Paul II béatifie cette amoureuse de Dieu qui s’est sacrifiée par charité. A cette occasion, sur la place Saint-Pierre de Rome, des hospitalières de Bayeux retrouvent une importante délégation d’augustines et d’ursulines québécoises dirigée par l’archevêque de Québec, le cardinal Vachon, mais les fidèles normands sont très peu nombreux à leurs côtés. Il faut les visites des Québécois, de retour de Rome, pour susciter leur intérêt.

Alors que la cérémonie romaine n’a même pas été couverte par la presse régionale, des articles relatent la messe d’action de grâce concélébrée le 30 avril dans la cathédrale de Bayeux et l’inauguration par le cardinal Vachon, le 2 mai, à Saint-Sauveur-le-Vicomte, d’une résidence pour personnes âgées portant le nom de Catherine de Longpré. Deux ouvrages paraissent au même moment : l’un, écrit par le journaliste local Pierre Leberruyer, est une nouvelle biographie très inspirée de celle du père Ragueneau, et l’autre est une histoire du monastère des hospitalières de Bayeux due à François Petit, un père de l’abbaye prémontrée de Juaye-Mondaye.

Statue de Catherine de Saint-Augustin à Bayeux. E. Thierry, 2007

Les augustines de Bayeux croient en un avenir radieux pour la dévotion à leur bienheureuse sœur, car elles ont reçu, le 18 avril 1989, une relique offerte par la communauté de l’Hôtel-Dieu de Québec et, le 27 septembre 1990, elles participent à l’inauguration d’une statue en bronze due au sculpteur montréalais Jules Lasalle et offerte par l’association des amis québécois de Catherine de Saint-Augustin(NOTE 14). Le 8 mai 1991, tout près de la place du Québec sur laquelle se dresse la représentation de la bienheureuse, elles ouvrent un centre Catherine-de-Saint-Augustin destiné à informer les pèlerins et les simples curieux.

Malheureusement, durant l’automne 2004, ce centre doit fermer, à cause du départ pour Pont-L’Evêque de la communauté vieillissante. Depuis, la précieuse relique venue de Québec est exposée dans la cathédrale de Bayeux, dans une chapelle qui jouxte celle consacrée à sainte Thérèse de Lisieux. Comme l’a rappelé la Québécoise Denise Pepin, ce voisinage n’est pas fortuit : « Toutes deux sont nées "filles de Normandie". Toutes deux sont jeunes, ardentes, éprises de Dieu. Toutes deux sont issues de milieux profondément chrétiens. Toutes deux sont missionnaires. Toutes deux s’offrent à l’Amour divin comme victimes d’Holocauste. Toutes deux, atteintes du même mal, meurent dans une extase d’amour »(NOTE 15).

Cependant, sainte Thérèse de Lisieux éclipse la bienheureuse Catherine de Saint-Augustin. Privée du soutien de la communauté des hospitalières de Bayeux, la mémoire de la religieuse québécoise s’étiole en Normandie.


Éric Thierry

Historien, Ph. D.
Professeur au Lycée Paul Claudel de Laon
Secrétaire général de la Fédération des Sociétés d'histoire et d'archéologie de l'Aisne

 

NOTES

1. Sur les visitandines de Caen et le jeune Parisien, voir Jeanne-Françoise Juchereau de Saint-Ignace et Marie-Andrée Duplessis de Sainte-Hélène, Les Annales de l’Hôtel-Dieu de Québec, 1636-1716, éd. par dom Albert Jamet, Québec, Hôtel-Dieu de Québec, 1939, rééd. 1984, respectivement p. 242-243 et 237-238. Sur Maupas du Tour, voir Denise Pepin, Chroniques... pour une meilleure connaissance de Catherine de Saint-Augustin, d’après les témoins de son temps, Montréal, Éditions du Long-Sault, 2001, p. 31-32, d’après une relation manuscrite de Marie-Madeleine de la Hennaudière de Saint-Augustin, fondatrice du monastère des augustines de Bayeux.

2. Le quiétisme est une forme de vie spirituelle qui tend à la communion totale avec Dieu par l’oraison, sans avoir à se soucier des rites ni des œuvres de charité. Représenté en France par Mme Guyon, il est condamné par le pape Innocent XII en 1699.

3. Chrestien Le Clercq, Premier établissement de la foy dans la Nouvelle France, Paris, Amable Auroy, 1691, t. II, p. 26-27. Sur le diable dans une dent de Catherine de Saint-Augustin et sur sa vision des quatre démons secouant la ville de Québec, voir Paul Ragueneau, La vie de la mère Catherine de Saint Augustin, Québec, Hôtel-Dieu de Québec, 1977, respectivement p. 49-50 et 146-147. Réimpr. de l'éd. de Paris, Florentin Lambert, 1671.

4. Pierre-François-Xavier de Charlevoix, Histoire et description générale de la Nouvelle France, avec le Journal historique d'un voyage fait par ordre du Roi dans l'Amérique septentrionale, Paris, Pierre-François Giffart, 1744, t. I, p. 402.

5. Chrestien Le Clercq, op. cit., p. 27.

6. François-Xavier Garneau, Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours, Québec, Imprimerie de N. Aubin, t. I, 1845, p. 369-370.

7. Victor Le Sens, « Catherine de Saint-Augustin », Annuaire du département de la Manche, 1848, p. 330-336 et note 1, p. 334. L’auteur reprend les récits faits par le père Ragueneau des apparitions dont Catherine de Saint-Augustin a été témoin.

8. Henri-Raymond Casgrain, Histoire de l’Hôtel-Dieu de Québec, Québec, Léger Brousseau, 1878, p. 239.

9. Lettre d’Eugène Viel à Mgr Germain, évêque de Coutances et Avranches, Colomby, 10 juin 1891, dans Eugène Viel, Les gloires du Cotentin, t. I : La révérende mère Catherine de Saint-Augustin, Colomby (France), E. Viel, 1891.

10. Léonidas Hudon, Une fleur mystique de la Nouvelle-France : vie de la mère Marie-Catherine de Saint-Augustin, Montréal, Bureaux du Messager canadien, 1907, p. xxiii.

11. Georges Goyau, Une épopée mystique : les origines religieuses du Canada, Paris, Bernard Grasset, 1924, p. 181-244, et sur Catherine de Saint-Augustin, p. 203-204.

12. Ce livre, rédigé à la demande des hospitalières de Québec, est le pendant français de l’étude du chanoine Lionel Groulx parue dans le no 5 des Cahiers d’histoire de la Société historique de Québec en 1953 et intitulée Une petite Québécoise devant l’histoire (Mère Catherine de Saint-Augustin).

13. A. de Parvillez, « Avant-propos », dans Marthe Ponet-Bordeaux (Jeanne Danemarie), Catherine de Longpré, mère Catherine de Saint-Augustin, Paris, Bernard Grasset, 1957, p. 8-9.

14. Il s’agit d’une copie de la statue érigée rue Charlevoix à Québec.

15. Denise Pepin, Deux héroïnes de Normandie : Catherine de Bayeux et Thérèse de Lisieux, Montréal, Éditions du Long-Sault, 2001, p. 5.

BIBLIOGRAPHIE

Gagnon, Serge, Le Québec et ses historiens de 1840 à 1920 : la Nouvelle-France de Garneau à Groulx, Québec, Presses de l’Université Laval, 1978.

Leberruyer, Pierre, Hospitalière, missionnaire, mystique : la bienheureuse Catherine de Saint-Augustin, Caen, Éditions Don Bosco, 1989.

Oury, Guy-Marie, L’itinéraire mystique de Catherine de Saint-Augustin, Chambray-lès-Tours (France), CLD, 1985.

Pepin, Denise, Catherine de Saint-Augustin sur la place de Québec à Bayeux, Montréal, Éditions du Long-Sault, 2002.

Petit, François, Les augustines hospitalières de Bayeux : la communauté de la bienheureuse Marie Catherine de Saint-Augustin, Caen, Éditions Don Bosco, 1989.

 

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