Musée des Ursulines de Trois-Rivières

par Grandmont, Josée

Monastère des Ursulines de Trois-Rivières, 2010

Avec les années 2000, un nouveau phénomène est apparu, que quelques-uns avaient anticipé mais que plusieurs ne pouvaient imaginer quelques décennies auparavant, soit le vieillissement et la disparition graduelle des communautés religieuses, faute de relève. Les religieux et religieuses encore vivants détiennent une mémoire et des connaissances fort précieuses qui risquent d’échapper aux générations futures si on ne prend garde de les consigner de façon efficace. Chez les Ursulines de Trois-Rivières, des moyens ont été mis de l’avant pour sauvegarder et surtout diffuser ces connaissances sur le point de disparaître avec les personnes qui en sont porteuses. Le Musée des Ursulines de Trois-Rivières est maintenant le dépositaire de cette précieuse mémoire.

 

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Les Ursulines, de l'Europe à la Nouvelle-France

Portrait de la Vénérable Mère Marie de l'Incarnation, fondatrice des Ursulines au Canada

Les Ursulines de Trois-Rivières sont un rameau d’un grand arbre, la Compagnie de Sainte-Ursule, née en 1535, au nord de l’Italie. La fondatrice, Angèle Mérici, rassemble alors des jeunes filles désireuses de consacrer leur vie au Seigneur tout en demeurant dans leur milieu de vie. Elle ne leur indique aucun but social ni apostolique, si ce n’est «d’évangéliser, par le témoignage de leur vie et leur parole, où qu’elles soient et quoi qu’elles fassent». Ainsi se trouve situé, dans toute sa profondeur, le sens de l’éducation à laquelle se voueront les Ursulines, sous toutes ses formes.

La Compagnie fondée par Angèle Mérici connaît une expansion rapide. De l’Italie, elle envahit le reste de l’Europe, particulièrement la France où ce regroupement qui était en quelque sorte un institut séculier devient, en 1612, suite au Concile de Trente, un Ordre de religieuses cloîtrées œuvrant à l’éducation de jeunes filles dans des pensionnats et des écoles où les élèves externes sont admises gratuitement.

Monastère des Ursulines de Trois-Rivières vers 1700

En 1639, trois Ursulines françaises arrivent à Québec, avec une bienfaitrice, madame de la Peltrie. Sous la direction de Mère Marie de l’Incarnation et grâce aux dons généreux de madame de la Peltrie, on érige le premier monastère de Québec destiné à l’éducation des jeunes filles françaises et amérindiennes.

Les 10 et 23 octobre 1697, investies de la double mission d’éducatrices et d’hospitalières, cinq Ursulines de Québec se déplacent à Trois-Rivières. Trois ans après leur arrivée, ces Ursulines emménagent leur cloître, leur école et leur hôpital dans une maison située en dehors des limites de la place fortifiée, un endroit qu’elles habitent encore aujourd’hui.

 

Le patrimoine immobilier

Fresque de la coupole réalisée en 1897 par Luigi Capello, Le combat entre le bien et le mal, 2010

L’œuvre des Ursulines à Trois-Rivières ne se limitera pas à l’éducation et aux soins des malades, elle s’inscrira également dans la sauvegarde du patrimoine. Au fil des ans, elles se sont préoccupé du patrimoine architectural, dont le vieux monastère est un bel exemple. Malgré les deux incendies de 1752 et de 1806 qui l’ont ravagé, les Ursulines ont su préserver les murs originaux. Encore aujourd’hui, elles cherchent à respecter le style original de l’édifice. Avec le temps, les religieuses ont acquis et protégé certaines maisons ancestrales du quartier historique. Par leurs actions, elles ont contribué à la conservation du Vieux-Trois-Rivières. Les Ursulines veillent aussi la conservation du patrimoine archivistique et ont ouvert leurs archives aux chercheurs depuis 1980.

 

Le musée

Monastère des ursulines, Trois-Rivières, Canada

Dès la fin du XVIIIe siècle, les religieuses commencent à conserver des objets pour un éventuel musée. L’idée d’exposer ces objets apparaît dès 1897. Pour le deuxième centenaire de leur arrivée, les religieuses ont le projet de regrouper dans une salle du pensionnat divers objets illustrant l’histoire de l’enseignement. Ainsi, des artéfacts reliés à la biologie, aux sciences naturelles, à l’histoire, entre autres, sont peu à peu exposés dans une salle où les élèves prennent l’habitude de se retrouver afin de renouer avec le passé. L’augmentation du nombre d’élèves oblige les religieuses à déplacer ces artéfacts dans de grandes armoires vitrées. Puis, à la fin des années 1970, en prévision des fêtes du 350e anniversaire de Trois-Rivières, les Ursulines procèdent à un inventaire de tous les objets que l’on retrouve dans le monastère, à l’école, au grenier, dans la cave, etc. Le 14 mai 1982, elles ouvrent au public leur Musée aménagé dans l’ancien hôpital, situé dans la partie la plus ancienne du monastère qui date du XVIIIe siècle.

 

Plus de 300 ans de mémoire vive

Cloître des Ursulines de Trois-Rivières, première moitié du XXe siècle

L’exposition permanente Plus de 300 ans de mémoire vive se situe dans cette continuité. Née d’une réflexion sur l’utilisation de l’ancien réfectoire des pensionnaires, salle adjacente au Musée construite en 1806, cette exposition présente le patrimoine immobilier, mobilier, archivistique, mais surtout immatériel de la communauté.

Pendant plusieurs décennies, les savoir-faire se transmettaient oralement ou par apprentissage de génération en génération, d’une religieuse à l’autre. Mais aujourd’hui, avec le vieillissement des communautés et le manque de relève, cette chaîne de transmission s’éteint tout doucement. Il fallait donc trouver une nouvelle façon de poursuivre le partage des savoirs afin de sauvegarder la mémoire vivante de celles qui détiennent des connaissances particulièrement riches sur le patrimoine immatériel des Ursulines de Trois-Rivières.

Timbre commémorant le tricentenaire des Ursulines de Trois- Rivières, 1697-1997

La première collecte d’informations a eu lieu en 1997, lors du tricentenaire de l’arrivée des Ursulines à Trois-Rivières. La deuxième collecte, en lien avec l’exposition permanente, a eu lieu en février 2008 auprès de cinq religieuses âgées entre 88 et 96 ans. Le but était d’en apprendre davantage sur leur expérience de vie professionnelle pendant la période où elles étaient cloîtrées, puis telle qu’elles ont dû l’adapter à la suite des changements prescrits par le concile Vatican II. Découlant du concept même de la future exposition permanente du Musée, cinq sujets ont été préalablement ciblés. Ce sont l’enseignement des arts, l’enseignement de la musique, la fonction de directrice d’école, les sœurs angélines et, enfin, le parcours d’une sœur converse devenue podiatre.

La réalisation de ces entrevues vidéos a été confié à madame Diane Audy, ethnologue de Québec. L’élaboration d’un plan d’enquête, ciblant les thèmes et sous-thèmes abordés lors des entretiens, a permis de réaliser des entrevues plus souples, non-directives, laissant une place plus large à la spontanéité. S’il sous-tend des grands thèmes de base tels l’histoire, le contexte d’origine, l’évolution, la mission et le charisme de la communauté, ou encore le sens de la vie pour la religieuse, chaque plan d’enquête a été adapté au parcours de chacune de ces personnes. Tout en structurant l’entretien, il a permis des modifications, pendant le déroulement des entrevues, afin de tenir compte de l’âge, de l’état de santé ou encore de la loquacité de l’informatrice, notamment.

Le choix des informatrices a été fait par le conseil d’administration du Musée et différents critères ont justifié ces choix : notamment la sélection d’une représentante de chaque catégorie de religieuses (sœur de chœur, sœur converse et sœur angéline), la volubilité, le sens de l’humour, et autres.

Soeur Adrienne Guimond, photographiée devant l’une de ses œuvres lors de l’entrevue, 2008

Une liste de nom avait été dressée et cinq religieuses avaient été privilégiées. La première approche a été faite par la répondante de chacune d’elles. Dès cette étape, les personnes ciblées ont été avisées que leur témoignage ferait partie intégrante de l’exposition permanente du Musée. Elles ont toutes, fort heureusement, accepté ce défi et formulé le désir d’en connaître un plus sur le projet. Un mois avant le tournage, une rencontre fut organisée entre elles, l’ethnologue et la vidéaste. Lors de cette rencontre, on leur a présenté le déroulement et les grandes lignes des entretiens.

À l’exception d’une entrevue tenue dans l’ancienne maison des employés, les entrevues ont toutes été effectuées dans le monastère, soit au réfectoire, à la chapelle et à l’atelier de couture. Chacune des rencontres a duré environ deux heures incluant le temps requis pour accueillir l’informatrice, la mise au point des derniers détails et la réalisation de l’entrevue proprement dite. C’est toujours avec regret que l’ethnologue mettait un terme aux entretiens, ne voulant pas épuiser les informatrices fort loquaces, même si elles prétendaient ne ressentir aucune fatigue. Toutes ont avoué, une fois l’entrevue terminée, avoir trouvé l’expérience très agréable, ajoutant que le temps de l’entrevue leur avait paru finalement très court.

 

La diffusion du patrimoine immatériel

Pour le conseil d’administration du Musée, il était très important que ces entretiens soient diffusés et accessibles au grand public. En aucun moment, lors des réflexions sur la sauvegarde du patrimoine immatériel ainsi récolté, il a été envisagé que ces entrevues soient conservées uniquement dans les archives du monastère et disponibles exclusivement pour les chercheurs. Une attention spéciale a donc été portée aux thèmes abordés et au choix des informatrices, tout autant qu’à la qualité des images.

Les cinq informatrices, de gauche à droite, sœurs Simone Adams, Aline Tessier, Alexandra Proulx, Monique Beaudet et Adrienne Guimond, 2009

Pour ce faire, la vidéaste trifluvienne Carolane St-Pierre a été approchée, réputée pour la qualité, la sensibilité et l’originalité de ses œuvres. La réputation de madame St-Pierre n’était pas surfaite. Elle a réussi à livrer à fois la fragilité, la force, la sensibilité et l’humour des informatrices à travers ses images. L’ajout d’extraits du film réalisé à l’occasion du 250e de leur arrivée à Trois-Rivières en 1947, d’ambiances sonores et de photographies d’époque ont ajouté de l’intérêt aux témoignages déjà très significatifs. Soulignons qu’aucune directive n’avait été formulée à madame St-Pierre pour le montage. Avant le montage final, un visionnement a été organisé pour la présidente et la directrice du Musée et aucune modification n’a été demandée. Elle avait parfaitement compris l’essence même de l’exposition permanente.

L’information contenue dans chacune de ces entrevues est considérable et la question était de savoir comment concilier l’importance historique de celles-ci et l’adaptation nécessairement plus succincte destinée à un auditoire touristique. La solution la plus simple fut d’intégrer deux versions de chaque entrevue à l’exposition, l’une de quinze minutes et l’autre de deux minutes. La version courte est, bien entendu, la plus populaire, mais il arrive que des Trifluviens viennent plus d’une fois afin de visionner les cinq entrevues de quinze minutes.

 

L’impact des témoignages recueillis

Monastère des Ursulines, Trois-Rivières, P.Q.

Une projection spéciale a été organisée pour les cinq religieuses en présence de mesdames Audy et St-Pierre, lors de laquelle les versions de quinze minutes ont été présentées. Les religieuses ont été agréablement surprises du résultat. Elles se sont trouvées intéressantes et elles ont apprécié l’ajout de photographies, de sons d’ambiance et d’extraits du film de 1947 qui complétaient bien leur propos. Elles ont également avoué avoir appris des choses en visionnant les entrevues des autres. Une copie des enregistrements a été remise à chacune d’elles et d’autres projections ont été organisés dans le monastère pour toutes les religieuses. Après ces visionnements, plusieurs doutaient de l’importance et de l’impact que ces entrevues auraient sur nos visiteurs. Malgré l’obtention du prix Excellence de la Société des musées québécois en 2009 et du prix Coup de cœur de Tourisme Mauricie, en 2010, les religieuses interrogées ne réalisent pas la portée de leurs témoignages.

Page d'accueil du site du Musée des Ursulines de Trois-Rivières, 2012

Pourtant, nous constatons l’impact de ceux-ci après chacune des présentations, que les visiteurs soient de jeunes adultes ou des personnes ayant connu les écoles dirigées par les religieuses avant Vatican II. Il est parfois surprenant de voir des visiteurs aussi émus par leur propos. Leur aplomb, leur philosophie de vie et leur vitalité étonnent et fascinent tout à la fois. Les entrevues suscitent plusieurs questions sur les Ursulines, la vie des religieuses et, surtout, celle-ci : «Qu’est-ce qui va arriver quand elles ne seront plus là?». Les décès de sœur Monique Beaudet (sœur angéline), à l’été 2010, et de sœur Simone Adams (sœur converse devenue podiatre), au printemps 2011, remettent encore plus à l’avant-plan ce questionnement. Toutes les deux avaient été interviewées en 2008. Sans ces entrevues, ce sont de grands pans de l’histoire des Ursulines de Trois-Rivières qui auraient disparu. Sœur Simone avait un savoir-faire qu’aucune autre ursuline ne possède aujourd’hui. Avec elle, ce sont les débuts de la podiatrie à Trois-Rivières qui nous sont maintenant connus. Grâce à la vidéo, nous avons sauvegardé des connaissances insoupçonnées.

 

Depuis près de 30 ans, le Musée des Ursulines de Trois-Rivières reçoit des milliers de visiteurs à chaque année. L’animation de ces visites est faite par des jeunes adultes qui ont bien appris l’histoire des Ursulines d’ici et d’ailleurs et qui savent répondre avec précision aux nombreuses questions qui leur sont posées. Par contre, aucun d’entre eux ne pourrait témoigner de la vie des religieuses comme l’ont si bien fait les cinq informatrices, puisqu’ils n’ont pas vécu le cloître et n’ont pas été sœurs de chœur, converse ou angéline. Finalement, plus que la sauvegarde de savoirs, ces entrevues auront permis aux religieuses de partager avec différentes générations leur histoire et, surtout, l’essence de la vie qu’elles ont menée chez les Ursulines de Trois-Rivières.

 

Josée Grandmont, directrice
Musée des Ursulines de Trois-Rivières

 

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Ailleurs sur le web

Bibliographie

Albert, Louise-Hélène, o.s.u., Les Ursulines de Trois-Rivières, juillet 2009, 5 p.

Albert, Louise-Hélène, o.s.u., L’œuvre des Ursulines de Trois-Rivières, 26 septembre 1997, 7 p.

Audy, Diane, Musée des Ursulines de Trois-Rivières. Réalisation de cinq entrevues vidéo, avril 2008, 118 p.

Germain, Thérèse, o.s.u. Autrefois, les Ursulines de Trois-Rivières une école, un hôpital, un cloître, Québec, Éditions Anne Sigier, 1997, 343 p.

 Germain, Thérèse, o.s.u., Les Ursulines de Trois-Rivières au XXe siècle, Québec, Éditions Anne Sigier, 2000, 337 p.

Ursuline de Trois-Rivières, Les Ursulines des Trois-Rivières depuis leur établissement jusqu’à nos jours, tome premier, Trois-Rivières, P.V. Ayotte, Libraire-Éditeur, 1888, 567 p.

 

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