Centre franco-ontarien de folklore (CFOF)

par Philippe-Shillington, Julie

Sculpture de Maurice Gaudreault, «le four à pain», mettant en vedette le père Lemieux

Créé en 1972, le Centre franco-ontarien de folklore célèbre son 40e anniversaire en 2012. On y conserve les travaux de son fondateur, Germain Lemieux s.j, qui constituent une œuvre fondatrice incomparable dans le domaine du patrimoine franco-ontarien.  Reconnu en 1991 comme un organisme provincial, le CFOF est aussi pour les communautés francophones de la province un espace culturel important où, encore de nos jours, on s’affaire à recueillir, sauvegarder, diffuser, développer et mettre en valeur le patrimoine de l’Ontario français, notamment le répertoire de la tradition orale. 

 

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Héritage culturel et préservation du patrimoine

La présence française en Ontario remonte à 1610. Si des explorateurs, coureurs de bois, missionnaires, marchands, voyageurs, parcoururent ce vaste territoire dès le XVIIe siècle, ce n’est pourtant pas avant la fin du XIXe siècle que la population française s’implante de façon permanente dans le nord de la province. C’est l’époque de grandes migrations. Les élites canadiennes-françaises encouragent la colonisation des terres  nord-ontariennes et les chemins de fers qui traversent désormais la province amènent ça et là les Canadiens français avec leur bagage culturel. Politiciens et chefs religieux exercent alors une grande influence et rappellent à la population migrante l’importance de conserver l’ensemble de son héritage culturel.

Le Collège Sacré-Coeur

Comme les Canadiens français se retrouvent en territoire anglophone, ils éprouvent très tôt le besoin de protéger leur foi et leur langue. Les jésuites ouvrent en 1913 les portes d’un collège d’enseignement classique à Sudbury, le Collège du Sacré-Cœur, et un professeur de rhétorique de ce collège, le père Lorenzo Cadieux, met sur pied en 1942 la Société historique du Nouvel-Ontario (SHNO), un organisme important qui se donne comme mandat de faire connaître l’histoire de l’Ontario et celle des Franco-Ontariens. Quelques années après sa fondation, la Société s’engage dans un grand projet piloté par un père jésuite qui porte un grand intérêt au patrimoine oral : le père Germain Lemieux.    

 

D’Hercule et du cyclope de l’Odyssée à Poil et plume et au géant Brigandin

Venu du Québec, ce jeune prêtre arrive au Collège du Sacré-Cœur en 1941. Le père Germain Lemieux, membre de la Compagnie de Jésus depuis 1935, est chargé d’un cours portant sur les institutions latines et grecques parmi lesquels figurent divers passages de l’Iliade et de l’Odyssée.  Par cet enseignement, les étudiants sont appelés à connaître les héros légendaires et rencontrent par la même occasion les dieux et les déesses grecs.  Les exploits d’Hercule et les légendes de créatures mystérieuses et fantastiques sont donc à l’étude.

Father Germain Lemieux, S.J.

Le père Lemieux se donne comme mandat d’agrémenter ses cours. Il note plusieurs ressemblances entre la mythologie grecque et les contes et  légendes de son enfance qui circulaient couramment au Canada français et il se met à utiliser ses souvenirs pour préparer ses leçons. Il renouvelle ainsi à sa façon les cours de rhétorique qui suscitent de plus en plus d’intérêt chez les étudiants franco-ontariens du Collège Sacré-Cœur.

Lors de son second stage d’enseignement, en 1948, le père Lemieux dépose une demande auprès de la Société historique du Nouvel-Ontario (SHNO) afin d’entreprendre une enquête dans le domaine du folklore régional. En rencontrant les gens de la région, le père Lemieux recueille des contes et des chansons.  Puis, avec ses élèves, il les décortique et en tire des renseignements précieux dont il retrace la source jusqu’au Moyen-Âge. Il avait lu dans une revue européenne que les jeunes reprochaient à leurs aînés de ne pas avoir recueilli le patrimoine oral des ancêtres; aussi le père Lemieux propose-t-il un projet plus ambitieux à ses supérieurs, affirmant qu’il est du devoir des jésuites de protéger le patrimoine oral. C’est ainsi que naît un projet d’envergure, le projet d’une vie!  

 

Devancer le rythme du violon

Le père Lemieux qui enregistre Aldéric Perreault

Le père Lemieux a de grands projets. Entre autres, il veut entreprendre des enquêtes pour mesurer jusqu’à quel point les Franco-Ontariens ont « conservé l’esprit français » (NOTE 1). On lui a dit que ses supérieurs ne s’opposeraient pas à ses projets s’il a « le courage de devancer le rythme du violon » (NOTE 2). La SHNO appuie donc la demande du père Lemieux et le parraine. Entre 1948 et 1972, le rythme du violon se fait de plus en plus énergique, de sorte que les enquêtes du père jésuite auprès des communautés francophones du Nord de l’Ontario lui procurent un volumineux corpus de traditions orales : chansons, contes et légendes. D’ailleurs, après plus d’un quart de siècle d’enquête, on évalue le fonds Germain Lemieux à  3118 chansons folkloriques et 680 contes et légendes (NOTE 3).

Le Centre de recherche folklorique est fondé en 1948 et devient en 1961 l’Institut franco-ontarien. En 1972, l’Institut de folklore obtient une charte et prend le nom de Centre franco-ontarien de folklore. D’abord logé à l’Université de Sudbury (1972-1981), il se transporte au Centre des jeunes (Carrefour francophone, 1981-1985), puis emménage à la Maison d’Youville (école séparée et par la suite orphelinat ; 1985-2002), il achète ensuite une ancienne école rue Dollard (2002-2011) et retourne enfin à l’Université de Sudbury en 2011. Notons au passage que c’est en 1981 que l’on créé le département de folklore de l’Université de Sudbury qui assure une succession universitaire au CFOF. C’est donc par cet organisme que le père Lemieux contribue dès lors à « diffuser le patrimoine oral des Canadiens français de l’Ontario » (NOTE 4).

 

1991 : un point tournant

Quelques-uns des objets de la collection du CFOF

En 1991, le CFOF est finalement reconnu comme organisme provincial de patrimoine. Cette désignation facilite la mise sur pied d’un autre grand projet qui  l’amène à collaborer avec d’autres organismes du pays intéressés à l’héritage de la francophonie canadienne. Il devient ainsi très rapidement un important chef de file qui participe à la diffusion des richesses du patrimoine francophone, faisant revivre contes, légendes et chansons déjà presqu’oubliés.

D’autre part, en obtenant le statut d’organisme provincial, le CFOF a accès à des subventions  gouvernementales pour son fonctionnement. Avant cette reconnaissance, la mission du Centre avait été révisée comme suit : « Le Centre franco-ontarien de folklore doit […] mettre en valeur, pour le bénéfice de la population ontarienne, la tradition orale par le biais de l’exploitation du fonds franco-ontarien de folklore » (NOTE 5).

Dans cette foulée, le CFOF élabore un grand projet de recherche et se voit confier le mandat de le réaliser. À cette fin, le ministère de la Culture et des communications de l’Ontario, avec l’appui de l’Office des affaires francophones et du ministère du Nord et des mines, lui confère la tâche de mener l’Inventaire du patrimoine franco-ontarien (IPFO) et lui accorde des fonds suffisants pour ce faire. Ce projet, qui vise à dresser l’état du patrimoine franco-ontarien dans toutes les régions de la province, doit s’attarder à quatre thématiques bien ciblées : l’histoire locale (pour repérer les communautés où se sont enracinés les Franco-Ontariens), le champ coutumier (qui englobe les coutumes qui rythme la vie, celles du calendrier religieux et celles du calendrier saisonnier), la culture matérielle (le patrimoine bâti et les objets mobiliers) et la littérature orale (chansons, contes, légendes, proverbes, dictons…). Il en résulte une documentation d’une valeur incomparable : plus de 10 000 entrées, 300 dossiers ethnohistoriques correspondant à 514 lieux visités, 4 618 sites catalogués ainsi qu’une impressionnante collection de 24 325 photographies (NOTE 6). Un bon nombre de ces  richesses est publié dans Habiter le pays.

 

Consolidation des liens

Fe?te des rois, 2004

Aujourd’hui, le CFOF a toujours pour mission de recueillir, de sauvegarder, de développer, de transmettre et de mettre en valeur le patrimoine oral franco-ontarien par le biais d’une programmation variée, axée sur la diffusion et la promotion. Parallèlement, le CFOF s’assure de l’épanouissement de la culture des communautés franco-ontariennes en encourageant la participation des Franco-Ontariens à la vie culturelle. Il engendre des phénomènes culturels dynamiques en permettant aux francophones de l’Ontario de célébrer des pratiques traditionnelles telles que la Saint-Jean-Baptiste, la fête des Rois, les soirées de contes, les cafés chantants, et autres. De plus, depuis 2003, il remet annuellement Le Billochet du jongleur, un prix qui reconnaît la contribution exceptionnelle d’un individu ou d’un organisme à la mise en valeur du patrimoine de l’Ontario français. Ces diverses activités permettent au CFOF de consolider les liens qui unissent les Franco-Ontariens et de leur procurer un sentiment d’appartenance. Afin de souligner la contribution propre du CFOF au patrimoine franco-ontarien, le ministre du Patrimoine lui décerne le prix national de Parcs Canada en 1996 et, en 2002, le Regroupement des organismes du patrimoine franco-ontarien lui remet le prix Roger-Bernard.

 

Un billochet et un jongleur

Logo du CFOF

Le CFOF est identifiable par son logo : un homme assis sur une bûche, le billochet, vêtu comme un bûcheron. Le conteur représenté communique de façon gestuelle pour souligner que son propos est digne d’une oreille attentive. Récemment actualisé, ce logo est désormais en couleur et la pipe du bûcheron a été remplacée par une ceinture fléchée.

Dans son ouvrage Les Jongleurs du billochet, le père Lemieux donnait une explication qui montre l’à-propos du logo : « Le terme jongleur a passablement évolué au cours des siècles ; nous le prenons ici dans son sens médiéval d’amuseur ou de diseur de fabliaux ou de contes. […] Quant au billochet […] l’expression “être sur le billochet” nous a été servie spontanément par M. Émile Roy, vieux conteur de Cache-Bay, Ontario, dans le sens d’être conteur officiel dans un chantier » (NOTE 7). Le billochet était donc un tronçon de billot utilisé comme genre de tabouret dans un camp de bûcherons où s’assoyait le conteur.

 

Le XXIe siècle pour traduire le riche patrimoine légué

Matériel utilisé par le père Lemieux pour capter ses documents sonores et vidéos

Le Centre franco-ontarien de folklore doit son existence au père Germain Lemieux, s.j., communément reconnu comme « passeur de mémoire ». Depuis maintenant 40 ans, le CFOF qu’il a fondé recueille et diffuse le patrimoine franco-ontarien. À titre d’exemple, il suffit de mentionner les 33 tomes de la série Les vieux m’ont conté qui regroupe les contes et les légendes recueillis par le père Lemieux, qui inspirent encore aujourd’hui les conteurs de l’Amérique française. Aussi, le centre possède une bibliothèque de plus de 5 000 ouvrages qui traitent de l’histoire et du patrimoine franco-ontarien, dont les écrits du père Lemieux tels Le Four de glaise, La vie paysanne, Les Jongleurs du billochet, Chansonnier franco-ontarien. Avec la documentation de l’Inventaire du patrimoine franco-ontarien (IPFO) et des archives sonores, les œuvres de certains artistes – notamment des sculptures d’argile de Maurice Gaudreault, des maquettes de contes d’Ange-Émile Maheu, des dessins de Luc Robert, qui font l’objet d’expositions – les collections du CFOF sont certainement les plus riches en patrimoine français de l’Ontario. 

Toujours voué à la mise en valeur du patrimoine, le CFOF s’actualise. En 2008, il se donne un nouvel élan en élaborant un plan stratégique. Par exemple, il travaille à développer son volet de recherche et de promotion auprès des institutions d’enseignement, et il s’engage à développer de nouveaux partenariats tout en maintenant ceux qu’il entretient déjà. La production récente du documentaire Le Fondateur : la vie et l’œuvre du père Germain Lemieux s.j., réalisé par Rachel Desaulniers, va dans ce sens, car il met en perspective l’influence que ce « passeur de mémoire » a eu auprès de la collectivité. En outre, le resserrement du partenariat avec l’Université de Sudbury lui permet de retourner à ses sources et de mettre en œuvre divers projets qui seront réciproquement bénéfiques. En définitive, le CFOF s’engage dans le xxie siècle en se renouvelant et entreprenant des projets de grande envergure. 

 

Julie Philippe-Shillington B.A., B.Ed, EAO

Enseignante, école secondaire Algonquin, North Bay

 

 

NOTES

1. Germain LEMIEUX, « Mon projet folklorique cinquante ans plus tard » dans Jean-Pierre PICHETTE (dir.), L’œuvre de Germain Lemieux, bilan de l’ethnologie en Ontario français, Sudbury, Centre franco-ontarien de folklore et Prise de parole, 1993, p. 29.

2. Ibid., p. 25.

3. Jean-Pierre PICHETTE, L’Ethnologie dans le Nouvel-Ontario, Le Centre franco-ontarien de folklore et le Département de folklore de l’Université de Sudbury , Bellarmin, 1983, p. 124 ; Le Répertoire ethnologique de l’Ontario français, p. 185-186.

4. Jean-Pierre PICHETTE, L’œuvre de Germain Lemieux, bilan de l’ethnologie en Ontario français, p. 7.

5. Donald DESCHÊNES, « Perspectives du Centre franco-ontarien de folklore » dans Yolande GRISÉ, États généraux de la recherche sur la francophonie à l’extérieur du Québec, Centre de recherche en civilisation canadienne-française, Ottawa, 1994 , p. 164.

6. Le Centre franco-ontarien de folklore, Le plan stratégique, nouvel élan 2008-2011, p. 2.

7. Germain Lemieux, Les jongleurs du billochet, Contes et conteurs franco-ontariens, Bellarmin, 1972, p. 12.

Bibliographie

DESCHÊNES, Donald, « Perspectives du Centre franco-ontarien de folklore » dans Yolande

GRISÉE, États généraux de la recherche sur la francophonie à l’extérieur du Québec, Centre de recherche en civilisation canadienne-française, Ottawa, 1994, 283 p.

DUPONT,  Jean-Claude et Jacques MATHIEU, L’Héritage de la francophonie canadienne, Les Presses de l’Université Laval, 1986, 267 p.

GERVAIS,  Gaétan, Des gens de résolution, Prise de Parole, 2003, 230 p.

JAENEN, Cornelius (dir.). Les Franco-Ontariens, Ottawa, Presses de l'Université d'Ottawa, 1993, 443 p.

LEMIEUX, Germain, Les jongleurs du billochet, Contes et conteurs franco-ontariens, Bellarmin, 1972, 130p.

PICHETTE,  Jean-Pierre, L’Ethnologie dans le Nouvel-Ontario, Le Centre franco-ontarien de folklore et le Département de folklore de l’Université de Sudbury , Bellarmin, 1983, p.114-128.

PICHETTE, Jean-Pierre (dir.), L’Œuvre de Germain Lemieux, s.j. Bilan de l’ethnologie en Ontario français, Sudbury, Centre franco-ontarien de folklore et Prise de parole, 1993, 529p.

SAINT-PIERRE, Serge, L’Inventaire du patrimoine franco-ontarien, dans « Aux origines de l’Ontario français », Rapport du Colloque 1993, Windsor (Ontario), Regroupement des organismes du patrimoine franco-ontarien, 1993 p.24-36, http://www.ropfo.ca/IMG/pdf/auxoriginesdelontariofrancais.pdf, page consultée le 18 juin 2011.

Le Centre franco-ontarien de folklore, Le plan stratégique, nouvel élan 2008-2011, 27 p.

Le Centre franco-ontarien de folklore, http://www.cfof.on.ca/content.asp?secp=organisme, page consultée le 20 mai 2011.

 

Documents complémentairesCertains documents complémentaires nécessitent un plugiciel pour être consultés

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