Charrette de la rivière Rouge

par Barkwell, Lawrence J.

Campement métis, une charette et un boeuf. BAC

Les négociants canadiens-français et les Métis ont établi un vaste réseau de routes commerciales à travers les Prairies en se servant des sentiers indiens qui, souvent, suivaient les pistes empruntées par les bisons. Les artisans métis des colonies de la rivière Rouge ont créé une charrette unique qui a joué un rôle crucial dans l’expansion de ces routes commerciales : la charrette de la rivière Rouge, l'un des symboles les plus connus de la culture métisse. Elle symbolise l’ingéniosité des Métis, leur mode de vie nomade et leur habileté commerciale qui ont contribué au développement de l’économie des Prairies. Le Red River Metis Heritage Group fabrique encore cette charrette aujourd’hui à St. Norbert, au Manitoba.

Article available in English : Red River Cart

Caractéristiques de la charrette de la rivière Rouge

Avenue du Portage, Winnipeg. BAC

Ce sont les Métis qui ont conçu la charrette de la rivière Rouge, une charrette à usages multiples dont ils se servaient pour transporter des marchandises dans les prairies. En fait, en inventant la charrette de la rivière Rouge, les Métis ont commercialisé la chasse au bison. De nos jours, la charrette de la rivière Rouge est l’un des symboles les mieux connus de la culture métisse. S’il y a des chaussées très larges à Winnipeg, c’est à cause de cette charrette. L’avenue Portage, par exemple, était à l’origine la route qu’empruntaient les charrettes pour aller vers l’ouest. Or, de trois à vingt charrettes pouvaient circuler de front. Tirée par un bœuf ou un cheval, la charrette servait à transporter de la viande, des peaux de bison, du pemmican, des articles de commerce et des effets personnels entre les terrains de chasse au bison et les centres de commerce situés aux États-Unis.

Au fur et à mesure que l’Ouest se développe, des colonies surgissent loin des routes de transport fluvial. Les charrettes de la rivière Rouge, dont les Métis se servent depuis des années, deviennent alors le principal mode de transport terrestre pour desservir ces communautés qui restaient difficilement accessibles autrement. Afin de répondre aux besoins des gens qui souhaitent une charrette plus grande et plus solide, des roues à rayons, beaucoup plus légères, remplacent peu à peu la roue pleine. De forme concave, ces nouvelles roues ne s’enfoncent pas dans la terre et rendent la charrette plus facile à tirer. Lorsqu’elle est sèche, la peau crue (shaganappi vert) qui maintient toute la structure ensemble devient aussi dure que de l’acier et peut transporter une charge de 450 kilos. Cette charrette présente toutefois un inconvénient : elle fait beaucoup de bruit, car lorsque les roues tournent sur des essieux non lubrifiés, le bois frottant contre le bois produit un bruit grinçant. Or, on ne peut pas utiliser de graisse pour atténuer ce bruit car elle attirerait la poussière et les débris, ce qui userait le moyeu et l’essieu en un rien de temps.

La charrette et les opérations commerciales des Métis

Le 15 novembre 1801, à Pembina dans le territoire du Minnesota actuel, Alexander Henry rapporte que ses employés métis se servent de charrettes qui ont des roues pleines. Le 20 septembre 1802, Henry écrit qu'ils ont :

« […] un nouveau type de charrette qui facilite le transport, permet de rapporter de la viande chez soi, etc. Les roues font environ quatre pieds de haut et sont parfaitement droites; les rayons sont perpendiculaires, sans la moindre courbe vers l’extérieur et il n’y en a que quatre par roue. Ces charrettes transportent à peu près cinq pièces (de 90 livres) et sont tirées par un seul cheval (NOTE 1). »

Une charrette de la rivière Rouge à Calgary. BAC

En mars 1803, les hommes construisent des charrettes comportant plus de rayons et des roues concaves plus grandes de conception canadienne-française. La fabrication de la charrette devient une industrie dirigée par les Métis et ceux-ci, au lieu d’être voyageurs pour les équipages de canots, deviennent conducteurs d’attelages. À partir du début des années 1800 jusqu’à l’arrivée du chemin de fer dans l’Ouest, les Métis dominent l’industrie du transport. Un certain nombre de familles métisses des districts de Selkirk et Pembina commencent à élever des bœufs pour tirer les charrettes de la rivière Rouge. Au milieu des années 1800, le nombre de charrettes en circulation a augmenté proportionnellement à l’accroissement du commerce.

« Les convois [métis] ont augmenté chaque année et maintenant deux cents charrettes effectuent le pèlerinage annuel de six cent cinquante (650) miles à travers les Prairies pour se rendre à St. Paul […] Elles sont chargées de peaux de bison, de pemmican, de peaux, fourrures, manteaux de cuir brodés, mocassins, selles de cheval que les Métis vendent ou échangent à St. Paul avant de rentrer dans leurs demeures isolée (NOTE 2). »

Les activités commerciales métisses sont énormes. Les chasses au bison des Métis sont colossales. En 1865, Alexander Ross, un colon de la région de la rivière Rouge, fait un rapport détaillé sur une expédition qui quitte la colonie le 15 juin 1840. À Pembina, lorsqu’on fait l’appel, 1 630 personnes sont présentes et il y a 1 210 charrettes de la rivière Rouge. En 1869, on rapporte qu’au moins 2 500 charrettes ont traversé St. Cloud, au Minnesota, transportant 600 tonnes de marchandises pour la Compagnie de la Baie d’Hudson (NOTE 3).

Un véhicule polyvalent

Habitations de colons et charrette de la rivière Rouge au « Manitobah », BAC

La polyvalence de la charrette est sans égal. Équipée de ses hautes roues, la charrette peut faire face aux ornières de la prairie, être démontée pour qu’elle puisse flotter sur l’eau, comme un radeau, ou être recouverte d’une peau imperméable et transformée en bateau. On démonte simplement les roues qu’on attache en dessous pour en faire un radeau. À la fin de la journée, on peut la couvrir d’une peau pour en faire un abri pour le voyageur; ou encore, quand une douzaine de charrettes sont disposées en cercle, elle forme un corral portatif pour le bétail. En hiver, le cadre de la charrette peut servir de traîneau qu’on fait tirer par un cheval. La première masse dont on s’est servi au Palais législatif du Manitoba provenait d’une partie d’un essieu de charrette de la rivière Rouge avec, à son bout, le moyeu.

Les affréteurs métis les plus expérimentés peuvent s’occuper de dix charrettes, pourvu qu’elles soient dans un convoi. Normalement, un homme peut s’occuper de six charrettes, trois étant le minimum. En revanche, un conducteur d’attelage peut seulement s’occuper de deux chariots à la fois.

George Dawson, membre de la Boundary Commission de 1872-1875, a noté les difficultés rencontrées en voyageant dans les prairies à proximité de la rivière Milk :

« Les charrettes de la rivière Rouge ne servent pas à grand-chose pour quiconque dans cette partie du pays, si ce n’est aux Sang-Mêlé [les Métis]. Lorsqu’elles cassent, il n’y a pas de bois dur pour les réparer et, étant donné la nature caillouteuse et raboteuse des “routes” , elles cassent souvent. Aussi, le sable et les gravillons usent rapidement les essieux à moins qu’on ne se serve de brosses de métal pour les nettoyer. Il faut alors avoir un essieu en peuplier sous la main pour le remplacer ou risquer une panne à tout moment. La sécheresse extrême de l’air les fait craquer et se fendre dans tous les sens, surtout les moyeux; lorsque ça arrive, les rayons commencent à lâcher et rien ne peut sauver la roue. On peut empêcher ça en s’assurant que la roue est toujours humide mais l’eau est rare. Pour les Sang-Mêlé, le temps n’est pas une préoccupation; ce qui importe, c’est que ça coûte le moins possible. Ils transportent des charges légères et voyagent en gros convois. De cette façon, si une charrette casse, on redistribue son chargement et on garde les morceaux pour des réparations futures (NOTE 4). »

 Os de bisons recueillis dans les Prairies. BAC

En 1812, il y a des chemins de charroi à travers tout l’Ouest et les Métis peuvent approvisionner les colons de Selkirk qui, autrement, mourraient de faim. Plus tard, les chemins commerciaux les plus importants relient Pembina à la rivière Rouge et à Saint Paul, au Minnesota, la rivière Rouge à Fort Ellice et à Carlton, ainsi que Fort Carlton à Fort des Prairies (aujourd’hui Edmonton).

Une fois les grands troupeaux de bisons disparus et avec l’arrivée du chemin de fer, les Métis en sont réduits à se servir de leurs charrettes pour ramasser les os de bison. Ceux-ci sont vendus pour fabriquer de l’engrais et des boutons, et pour servir au traitement du sucre.

La charrette de la rivière Rouge aujourd’hui

Un groupe du River Metis Heritage arrive à Batoche.  Lawrence Barkwell, 2005

À la fin du XIXe siècle, les charrettes disparaissent peu à peu une fois la voie ferrée transcanadienne terminée. Malgré tout, un groupe affilié au Red River Metis Heritage Group, à St. Norbert au Manitoba, construit toujours des charrettes selon le modèle d’origine. Les artisans se servent d’outils et de techniques traditionnelles pour produire une charrette de la rivière Rouge authentique. En 2002, ce groupe a organisé une randonnée en charrette de Pembina à Winnipeg pour l’ouverture des Jeux autochtones de l’Amérique du Nord, puis en 2004-2005, ils ont effectué la randonnée de Winnipeg à Batoche, en Saskatchewan. En 2005, un autre groupe composé de représentants du Manitoba, de la Saskatchewan et de l’Alberta s’est rendu de Batoche à Métis Crossing, en Alberta, pour marquer l’inauguration du lieu historique de Métis Crossing. Des charrettes de la rivière Rouge sont exposées au centre culturel de St. Norbert, au musée de St. Boniface et à la Manitoba Metis Federation.


Lawrence J. Barkwell

Coordonnateur, Metis Heritage and History Research
Institut Louis Riel

 

NOTES

1. Elliott Coues (édit.), The Manuscript Journals of Alexander Henry, Fur Trader of the Northwest Company, and of David Thompson, Official Geographer and Explorer of the Same Company, 1799-1814, Minneapolis, Ross & Haines, 1965, vol. 1, p. 191.

2. Frank Blackwell Mayer, With Pen and Pencil on the Frontier in 1851 : The Diary and Sketches of Frank Blackwell Mayer, St. Paul (Minn.), Minnesota Historical Society Press, 1986, p. 237-238.

3. The Alexandria Post, 7 août 1869.

4. George M. Dawson, « General Diary and Note Book », 1874, p. 44, dans Our Heritage, Following Historic Trails [en ligne], http://www.ourheritage.net/index_page_stuff/Following_Trails/Dawson/Dawson_74/Dawson_1874_44.html, consulté le 20 novembre 2007.

BIBLIOGRAPHIE

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Barkwell, Lawrence J., Leah M. Dorion et Audreen Hourie (dir.), Metis Legacy II : Michif Culture, Heritage and Folkways, Saskatoon, Gabriel Dumont Institute; Winnipeg, Pemmican Publications, 2006, 254 p.

Brehaut, H. B., « The Red River Cart and Trails : The Fur Trade », Historical and Scientific Society of Manitoba, sér. 3, no 28, 1971-1972, p. 5-35.

Coues, Elliott (édit.),  The Manuscript Journals of Alexander Henry, Fur Trader of the Northwest Company, and of David Thompson, Official Geographer and Explorer of the Same Company, 1799-1814, Minneapolis, Ross & Haines, 1965, 3 vol.

Gilman, Rhoda R., Carolyn Gilman et Deborah M. Stultz, The Red River Trails : Oxcart Routes between St. Paul and the Selkirk Settlement, 1820-1870, St. Paul (Minn.), Minnesota Historical Society Publications, 1979, 105 p.

Knox, Olive, « Red River Cart », The Beaver, outfit 272, 1942, p. 39-43.

Mayer, Frank Blackwell, With Pen and Pencil on the Frontier in 1851 : The Diary and Sketches of Frank Blackwell Mayer, St. Paul (Minn.), Minnesota Historical Society Press, 1986, 256 p.

Vrooman, Nicholas C. P., « The Metis Red River Cart », Journal of the West, vol. 42, no 2, printemps 2003, p. 8-20.


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Vidéo
  • De la rivière Rouge à Batoche en charrette métisse Ce film suit le périple d’un groupe de Métis parti de rivière Rouge, au Manitoba, jusqu’à Batoche, en Saskatchewan, en utilisant la traditionnelle charrette de la rivière Rouge pour commémorer les chemins parcourus par leurs ancêtres et l’importance de cette démarche pour l’identité métisse. En traversant des forêts, des rivières et des routes, ces gens font l’expérience des difficultés rencontrées par les voyageurs métis pour pratiquer la chasse et le commerce. Lors de leur passage dans quelques villages, des célébrations ont lieu à la mémoire de leurs ancêtres. Cette randonnée en charrette fait découvrir l’importance de l’histoire, des traditions et de la famille pour la communauté métisse. Durée: 6 min. 24 sec.
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