Orléans: banlieue franco-ontarienne

par Gilbert, Anne et Tremblay, Rémy

Panneau d'accueil bilingue du quartier francophone Orléans

Village à très forte majorité francophone il y a à peine 40 ans, Orléans est aujourd’hui une banlieue d’Ottawa dont à peine le tiers de la population est de langue maternelle française. Le fait français n’y a toutefois pas perdu de son dynamisme, cette population affichant une vigueur peu ordinaire non seulement pour le maintien, mais aussi pour le développement de ses acquis. La communauté francophone d’Orléans s’est dotée d’infrastructures culturelles uniques en Ontario. La bataille menée il y a une vingtaine d'années pour que le gouvernement de l'Ontario écrive « Orléans » avec l'accent aigu sur le e, témoigne de sa volonté de s’affirmer à l’échelle régionale et ontarienne.

 

Article available in English : Orléans: A Franco-Ontarian Suburb

 

Orléans aujourd’hui

Carte des sous-secteurs de la ville d’Ottawa

Orléans n’a jamais été constitué en municipalité. Le village, dont les frontières sont toujours restées floues, chevauchait le canton de Cumberland et la ville de Gloucester lors de son incorporation à Ottawa en 2001. Orléans s’étale aujourd’hui sur trois quartiers d’Ottawa, dont il constitue la principale banlieue est. Orléans n’est pas la seule banlieue franco-ontarienne, mais il s’agit certainement de celle où la rencontre entre tradition et modernisme est la plus étroite. En émerge une culture très riche, qui ouvre la minorité à un avenir prometteur en une période de transformation profonde des appartenances et des identités de la francophonie ontarienne.

 

Du village à la banlieue

La ferme d’Orléans, à Ottawa (Ont.)

Depuis les années 1970, Orléans a connu une véritable explosion démographique : sa population est passée de 6 000 en 1971 à 24 000 dix ans plus tard. Au 1er juillet 2010, on y dénombrait plus de 106 000 personnes. Cette croissance fulgurante de la population a eu des effets majeurs sur la morphologie. Orléans disposait jusqu’alors d’immenses terrains à vocation agricole, dont les promoteurs immobiliers se sont rapidement emparés. Ils ont vendu aux résidents d’Ottawa la maison individuelle avec jardin qui assure le compromis entre la ville, lieu de travail, et la nature encore présente en périphérie. Le sentiment de sécurité accompagnant la vie en banlieue n’est pas non plus étranger à l’attraction d’Orléans, sans parler des liens autoroutiers avec le centre-ville d’Ottawa.

Du simple village fermier qu’il était, Orléans est ainsi devenu une banlieue résidentielle semblable à celles qu’on retrouve autour de toutes les grandes villes du pays. Elle n’en a pas la variété toutefois, car les paysages sont ici assez similaires d’un secteur à l’autre : à part l’ancien noyau villageois et une poignée d’immeubles en hauteur qui ont poussé à sa frange est, on retrouve partout le même plan de rue, style de maison, aménagement paysager. Malgré les efforts des promoteurs immobiliers de créer des « communautés », Orléans affiche une très grande unité paysagère, reflet de l’homogénéité sociale de ses résidents. Cette banlieue est le paradis des familles des classes moyennes et supérieures, qui ont trouvé ici un milieu de vie répondant à leurs aspirations. Le revenu moyen par ménage était de 103 792 $ en 2005, alors que celui d’Ottawa était de 85 136 $.

 

La minorisation des francophones

La cohabitation tranquille entre francophones et anglophones : le quartier Fallingbrook, intersection des rues Prestwick et Lamoureux

Cette explosion démographique des dernières décennies va définitivement changer le visage linguistique d’Orléans. Les francophones de la région ainsi que les migrants francophones du reste de la province ne seront certes pas insensibles à l’attraction de la banlieue est, à cause de son caractère français. Sa localisation, entre le centre-ville d’Ottawa et la périphérie francophone de Prescott-Russell, explique aussi que bon nombre d’entre eux s’y établiront. Il n’en demeure pas moins qu’Orléans a aussi été une destination de choix des anglophones, tant et si bien qu’au moment du dernier recensement, en 2006, seulement 32,4% de la population était de langue maternelle française.

Francophones et anglophones se répartissent de la même façon sur le territoire. On ne trouve pas à Orléans de secteurs nettement plus francophones que les autres, sauf autour de ce qui était autrefois le centre du village, où se trouvent toujours plusieurs institutions de la minorité. Dans une enquête que nous réalisions dans les années 1990, les résidents francophones soulignaient ce caractère bilingue de leur voisinage. Aux yeux de sa population franco-ontarienne, Orléans était alors un espace où cohabitaient étroitement francophones et anglophones. Rien ne porte à croire que cette vision ait changé.

 

De nouvelles institutions

Vue d'’artiste du hall inférieur du futur Centre des arts Shenkman

C’est qu’on peut vivre en français à Orléans. La communauté francophone s’est dotée au fil des ans de nombreuses institutions, dans un éventail varié de secteurs de la vie collective. Orléans compte aujourd’hui douze écoles élémentaires de langue française, trois écoles secondaires, ainsi qu’un centre des métiers, qui a ouvert ses portes en septembre 2010. De nombreux services de garde opèrent en français. Et l’Hôpital Montfort offrira bientôt une large gamme de soins de santé primaires et communautaires dans les deux langues dans le tout nouveau Carrefour de la santé familiale d’Orléans. Les francophones d’Orléans peuvent aussi participer à une variété d’activités de loisirs dans leur langue, sportives, culturelles ou tout simplement de détente. Environ 150 familles francophones inscrivent par exemple leurs enfants à la communauté de soccer Les Étoiles d’Orléans lors des saisons d'hiver (dans les gymnases des écoles Étoiles de l'Est et Béatrice Desloges) et d'été (sur le terrain de l'école Les sentiers). Cet organisme sans but lucratif vise expressément les jeunes francophones, si bien que toutes les activités s’y font en français, depuis les entraînements, les matches, les tournois, jusqu’aux rencontres amicales des parents et bénévoles.

Enfin, Orléans accueille de nombreux spectacles en français dans le nouveau Centre des arts Shenkman, dont le Mouvement d’implication francophone d’Orléans (MIFO) assure la programmation en langue française. Né en 1979 de la volonté de quelques résidents francophones inquiets de l’afflux de résidents anglophones à Orléans, le MIFO s’est avéré depuis le principal lieu de rassemblement communautaire des francophones à l’échelle locale. Le centre culturel de la rue Carrière, mis sur pied en 1983, demeure aujourd’hui le point névralgique du MIFO : il abrite une grande partie de ses activités, en plus du Théâtre du Village, du Centre Séraphin-Marion d’Orléans pour les aînés et de la Librairie du Vermillon. L’engagement du MIFO à mettre en valeur la culture française à Orléans et à favoriser l’expression culturelle des francophones ne s’est jamais démenti. Ainsi, pour la seule année 2011, son école de musique a accueilli plus de 300 personnes de tous âges et tous niveaux, inscrites aux cours de chant, de piano, de guitare, de basse et de flûte traversière.

Ces institutions, anciennes et nouvelles – on notera avec intérêt la fondation de la paroisse Sainte-Marie d’Orléans en 1987 et l’inauguration de son église il y a à peine dix ans –, structurent l’espace social francophone d’Orléans. Elles sont au cœur même de la survie de la communauté dans une période de profonde transformation du cadre de vie.

 

La dualité du paysage

De la paroisse Saint-Joseph à la Coopérative d’habitation, en passant par les Chevaliers de Colomb et la Caisse populaire Desjardins, les lieux publics associés à la communauté francophone d’Orléans jalonnent le boulevard Saint-Joseph.  De nombreux professionnels francophones (avocats, comptables, médecins, vendeurs d’assurances) ont aussi pignon sur rue dans le « village ». Sans compter la présence de commerces appartenant à des francophones et opérant en français, pour certains depuis plusieurs générations. Le « village » se maintient à travers ces lieux qui témoignent de la présence historique des francophones dans la localité.

L'’avenir prometteur pour l'affichage bilingue à Orléans: l'exemple du Lapointe Seafood Grill

Mais Orléans prend un tout autre visage plus au sud. Le paysage commercial et institutionnel typique des petites villes plus anciennes, fait de petits immeubles aux styles variés, fait ici place aux « méga-boxes » caractéristiques des nouvelles banlieues nord-américaines. Le chemin Innes, nouvel axe de développement d’Orléans, est le royaume des grandes surfaces, qui se succèdent sur plusieurs kilomètres d’est en ouest : de Home Sense à Rona, en passant par Winners ou Future Shop, on retrouve toutes les grandes chaînes qui se sont imposées sur la scène commerciale au cours des dernières années au pays. Les marqueurs du français sont beaucoup moins visibles dans ce « nouvel Orléans » que dans l’ancien village. Les noms des rues, des parcs, des édifices publics ne reflètent guère la présence française, un enjeu dont se préoccupe notamment la toute nouvelle Société franco-ontarienne du patrimoine et de l’histoire d’Orléans. La vie française a néanmoins ses ancrages sur le chemin Innes, comme en témoigne le fait que la Caisse populaire Orléans y a ouvert un centre de service. La Poissonnerie Lapointe, une « institution » d’Ottawa, a aussi pignon sur rue dans le nouvel Orléans. La clinique médicale Sainte-Marie/Ste Marie Health Center, où pratiquent médecins et pharmaciens francophones issus de l’immigration, se présente comme desservant les deux communautés linguistiques. Enfin, le géant du cinéma, Empire Theatres, accueille cette année dans son méga complexe la 4e édition du Festival du film francophone d’Orléans, tandis que l’organisme Objectif cinéma y projette mensuellement deux films en français, très courus par la population.

 

L’affichage en français : un défi à relever

Nouveaux développements immobiliers

Quiconque cherche un affichage en français à Orléans est rapidement déçu. Les enquêtes sont unanimes à cet effet : le français fait cruellement défaut dans le paysage de cette banlieue qu’est devenue Orléans. Certes, les institutions gouvernementales sont bilingues, aux trois paliers fédéral, provincial et municipal, ce dernier en vertu de la politique de bilinguisme de la ville d’Ottawa : ceci se reflète dans le paysage, partout à Orléans. On retrouve aussi dans l’ancien village quelques commerces et bureaux qui s’affichent dans les deux langues.  Pourtant, l’unilinguisme anglais domine nettement partout à Orléans. Aucun secteur n’y échappe: l’automobile, l’ameublement et la décoration d’intérieur, le sport et les hobbys, voire les services personnels. Seuls quelques irréductibles – les pétrolières par exemple – montrent à l’occasion un visage français. Les boutiques de Place d’Orléans, cet important centre commercial régional qui jouxte le village, ne font pas exception.   

Même la Chambre de Commerce d’Orléans/Chamber of Commerce, ainsi que les promoteurs immobiliers, qui s’arrachent pourtant la clientèle des nouveaux résidents, s’affichent en anglais seulement. Leurs sites web sont en anglais, à l’exception notable de Brigil, entrepreneur bien connu de Gatineau. Et aucun, à notre connaissance, ne fait la promotion d’un lieu de vie française. La culture ne fait pas partie de cette qualité de vie dont on vante les charmes à Orléans, n’en déplaise à la population franco-ontarienne de la région.

 

La cohabitation tranquille au quotidien

Affiche du dévoilement de la programmation artistique 2011-2012 du MIFO

Les francophones d’Orléans ne semblent pas s’offusquer de cette iniquité dans l’affichage commercial. C’est qu’ils ont adopté (comme ailleurs en Ontario) des comportements assez particuliers qui les font utiliser l’une ou l’autre langue selon les circonstances. Leur bilinguisme est en effet tel qu’ils peuvent aisément passer du français à l’anglais au cours d’une même conversation, sans effort et sans frustration aucune. L’identité bilingue identifiée dans les recherches menées sur cette communauté prend dans ce contexte tout son sens.

Si la langue reste un enjeu pour plusieurs organismes franco-ontariens d’Orléans, elle n’est pas non plus pour eux un objet de tension. Francophones et anglophones cohabitent en harmonie sur le territoire, multipliant les échanges et les collaborations. Le MIFO, pour ne nommer que celui-ci, se fait beaucoup moins revendicateur depuis 2010, son nouveau statut d’organisme de charité l’obligeant à mettre de côté toute action politique. Ainsi, on observe à Orléans une nouvelle façon de vivre en français en Ontario, davantage caractérisée par la volonté de collaboration avec la majorité anglophone que par la lutte et la revendication.

 

L’avenir prometteur d’un haut-lieu de la francophonie ontarienne

Église St-Joseph à Orléans, en banlieue d'Ottawa

Orléans apparaît ainsi comme un lieu assez unique par la diversité des éléments qui offrent à la communauté francophone actuelle la possibilité de reconstruire le tissu culturel de son identité. D’une part, les nombreux géo-symboles historiques dont est truffé son paysage nourrissent le versant plus traditionnel de l’identité des résidents francophones, en soulignant leur passé catholique et français. Ils leurs rappellent les luttes quelquefois épiques menées par leurs pères et leurs mères pour doter Orléans des institutions dans lesquelles ils pourraient évoluer en français, au quotidien. D’autre part, les signes plus contemporains du dynamisme de la langue et de la culture dans l’espace public local interpellent le versant plus contemporain de leur appartenance à la communauté francophone d’Orléans, caractérisée par l’ouverture à l’Autre, tant francophone que francophile, et par l’interculturalité.  Orléans compte en effet sur un nombre de plus en plus important de francophones issus de l’immigration, qui créent ici un nouveau bouillon de culture. Le village devenu banlieue réconcilie ces deux versants de l’identité, nourrissant la diversité des imaginaires franco-ontariens. Ainsi, Orléans participe étroitement au renouvellement de la communauté franco-ontarienne dont elle annonce un avenir particulièrement prometteur.

 

Anne Gilbert et Rémy Tremblay
CRCCF, Université d’Ottawa

 

 

 

CET ARTICLE A ÉTÉ PUBLIÉ GRÂCE À LA COLLABORATION DU CRCCF

 


Bibliographie

Farmer, Diane, Artisans de la modernité : les centres culturels en Ontario français, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, 1996. Le chapitre 7 porte sur le MIFO, entre « francité et urbanité ».

Gilbert, Anne, Espaces franco-ontariens, Ottawa, Le Nordir, 1999. Le chapitre 5, intitulé « Ville et banlieue », est consacré à une comparaison entre Vanier et Orléans.

Gilbert, Anne (dir.), Territoires francophones : études géographiques sur la vitalité des communautés francophones du Canada, Québec, Septentrion, 2010. Le chapitre 5 porte sur le paysage linguistique en Ontario français, avec des allusions à celui d’Orléans. Le chapitre 13 porte sur un éventail de communautés franco-ontariennes, dont Ottawa.

Orléans : 150 ans d’histoire, 1860-2010, Comité du livre du 150e anniversaire d’Orléans, 2010. 

« Orléans », publireportage, Le Droit, 24 novembre 2010.

« Secteur Orléans », cahier publicitaire, Le Droit, 5 avril 2011.

 

Pour en connaître un peu plus sur la francophonie ontarienne

Bernard, Roger, Le Canada français : entre mythe et utopie, Ottawa, Le Nordir, 1999.

Louder, Dean, et Éric Waddell (dir.), Franco-Amérique, Sillery (Qc), Septentrion, 2008.

Thériault, Joseph Yvon, Anne Gilbert et Linda Cardinal (dir.), L’espace francophone en milieu minoritaire au Canada : nouveaux enjeux, nouvelles mobilisations, Montréal, Fides, 2008.

 

 

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