Félix Leclerc

Félix Leclerc, père de la chanson québécoise

par Gaulin, André

Félix Leclerc, auteur-compositeur-interprète, 1962

Félix Leclerc, écrivain à grand succès du début des années 1940, notamment avec Adagio, Allegro et Andante, ne se concevait pas comme un chansonnier. La raison en est fort simple : c’est que la chanson poétique qui était celle de ses rares premiers textes n’était pas prise en compte par l’institution littéraire de son temps au Canada français. Tout au plus, pour les critiques littéraires d’alors, la chanson se confondait-elle avec la chansonnette, un genre futile à leurs yeux, ou avec le folklore, peu estimé. C’est l’accueil fait aux chansons de Félix Leclerc en France qui changera la donne de cette « poésie orale sonorisée » qui était la sienne. En même temps, Leclerc attirait l’attention et donnait du prestige à la « chanson à texte » qui allait bientôt connaître des heures de gloire en France, au Québec et ailleurs au Canada français. C’est l’un des principaux héritages de Félix Leclerc.

 

Article available in English : Félix Leclerc, Québec’s pioneering singer-songwriter

La chanson, un genre sans statut littéraire vers 1950

Les compagnons de Saint-Laurent en 1944

Le jeune et excellent poète Sylvain Garneau rapporte un éloquent témoignage de ce peu d’estime critique pour la chanson quand il écrit à l’automne 1952 dans une lettre personnelle à une amie (NOTE 1) qu’il connaît Félix pour être allé chez lui à Vaudreuil, l’aider « à semer des pommes de terre dans son jardin » et l’écouter chanter des « petites chansons » toute une nuit, avant d’ajouter cette phrase assassine pour le genre : « Mais jamais nous ne pensions qu’il ferait son succès avec ça ». Le « ça », c’est la chanson et, notamment,  ces « petites chansons » devenues célèbres ! Par ailleurs, des membres influents du clergé, souvent aussi critiques littéraires, combattaient la chanson française qu’ils considéraient globalement comme délétère. En témoigne aussi toute cette entreprise populaire de « La bonne chanson » autour de l’abbé Charles-Émile Gadbois, qui deviendra une véritable industrie avec les 500 « bonnes » chansons publiées entre 1938 et 1951, souvent censurées, tirées du répertoire folklorique et traditionnel français et canadien-français (NOTE 2).

C’est dire que Félix Leclerc pratique un genre qu’il ignore presque lui-même, se voulant en début de carrière ardemment écrivain et dramaturge (NOTE 3) plutôt que « poète sonorisé » (NOTE 4). Dans les faits, c’est la France qui révèlera Félix à lui-même comme chansonnier. Par la suite, l’artiste se consacrera davantage à la chanson comme moyen de gagner sa vie, se découvrant poète par l’attention des autres ! On a souvent affirmé que cette France d’après-guerre nous a fait découvrir ce poète chantant que nous aurions ignoré, mais c’est surtout le genre lui-même de la chanson poétique qu’elle a consacré. En décembre 1951, doutant de l’issue de l’aventure dans laquelle il s’embarquait, Félix accompagne à Paris l’impresario français Jacques Canetti avec son baluchon d’une trentaine de chansons. Il en revient un an plus tard, lauréat du prestigieux prix Charles-Cros et représentant d’un genre nouveau dont il sera le père au Québec et l’un des grands créateurs en France. Il fera désormais école.

 

Les chansons d’avant le séjour en France

Première guitare de Félix Leclerc, aujourd'hui conservée au Musée régional de Vaudreuil-Soulanges

On s’explique ainsi mieux pourquoi Félix Leclerc est lent à venir au genre de la chanson. Entre « Notre sentier », sa première chanson composée en 1934 (NOTE 5), et 1943, on ne lui connaît que quatre chansons seulement (NOTE 6). Puis, de 1944 à 1950, pas moins de 28 chansons vont s’ajouter. La seule année 1946 en compte neuf, soit l’année la plus prolifique de toute son œuvre qui totalisera 138 chansons (NOTE 7). Mais Leclerc n’en continue pas moins de se vouloir dramaturge, aussi les chansons qu’il écrit avant son départ pour la France servent-elles notamment à meubler le temps nécessaire pour changer les décors de la pièce « Le p’tit bonheur » jouée en 1948 (NOTE 8). Celle-ci comprend six sketches et autant de chansons, dont « le P’tit Bonheur », « Notre sentier » et « le Train du nord ». Un examen plus attentif (NOTE 9) de l’accueil critique fait aux représentations montréalaises de la pièce « le Ptit Bonheur » (NOTE 10) a été plus sensible aux chansons qu’aux sketches. Pour Luce Jean de la Presse les « chansons […] tiennent mieux le coup que [les] textes » alors que Jean Vincent du journal le Devoir pense que si « Leclerc n’est pas Ulmer, ni Trenet, ni Montand […] il crée, en somme, un genre qui manquait désespérément au Canada français ». Ces deux témoignages du 21 avril sont devancés par celui de Jacques Giraldeau du journal Notre temps qui « salue » dès le 26 mars « notre premier chansonnier ».

 

Statut de la chanson au Québec

 Cet examen des journaux et témoignages de l’époque nous invite à affirmer que le passage en France de Félix Leclerc a certes valorisé le genre de la chanson comme « poésie sonorisée », mais il est exagéré de prétendre que Félix était ignoré au Québec en tant que chansonnier. Il serait plus juste de souligner que bon nombre de critiques de la période auraient souhaité trouver en Leclerc celui dont on attendait « le salut » et la « modernité » de notre littérature (NOTE 11). Mais ils ne considéraient pas la chanson comme appartenant au champ littéraire et ne s’intéressaient donc pas à la poésie chantée de Leclerc. Ce sont le talent original de Félix pour la chanson, l’opinion de quelques témoins clairvoyants et, surtout, la réception élogieuse dont il est l’objet en France qui vont conférer à la chanson un statut artistique et littéraire au Québec.

 

En route pour la France

Pochettes de quelques-uns des disques de Félix Leclerc

C’est donc avec 32 poésies chantées que Félix Leclerc tiendra l’affiche  des Trois Baudets, à Paris,  pendant  14 mois, en 1951 et 1952 (NOTE 12). L’artiste chante, tout bonnement, avec sa guitare, son petit banc de pied, son « siffle » et sa chemise à carreaux. Aux yeux des Français, il correspond à l’homme de « ma cabane au Canada » (NOTE 13). Sa simplicité et sa fraîcheur touchent. Parti, pensait-il, pour une fin de semaine ou un peu plus, Leclerc fait recette à Paris. Jacques Canetti a « acheté » l’artiste à la suite de l’écoute du « Train du nord » que Jacques Normand, animateur dans une station de radio de Montréal, lui a fait entendre. Si l’on a souvent reconnu le flair de l’impresario français, on a peu souligné le mérite de Normand qui deviendra animateur du Faisan doré, carrefour franco-québécois de la chanson à partir de 1957.

Que chante alors Félix qui émeut tant les Français de l’après-guerre ? Leur cœur encore blessé consent-il à une certaine tristesse en entendant des chansons d’errance comme « Bozo », ou d’amour malheureux de la chanson fétiche du « P’tit Bonheur » ? Les Parisiens cèdent-ils à la fraîche poésie du « Bal » qui « (dérobe) le soleil ° Pour que jamais n’vienne le jour » ? L’histoire surréaliste du « Train du nord » les méduse-t-elle ? Admirent-ils ce « Francis » en quête d’un printemps parfumeur, ou s’étonnent-ils d’une chanson comme « Petit Pierre » désespérant du monde et se suicidant ? Voyagent-ils avec « les goélands et la marée » de « La Fille de l’île » ou rêvent-ils aussi de défroquer de la monarchie avec « Le Roi heureux » ? Espèrent-ils retrouver la nue propriété de « Moi, mes souliers » ? Peut-être. Un témoin de l’époque pourrait plutôt répondre que c’est la manière même d’être en scène de Félix qui étonne par sa « sauvagerie », son audace paysanne, sa richesse poétique… sans compter la belle gueule du poète qui a une voix à faire tomber les filles ! Cette mise en scène sobre – qui inspirera Brassens – jointe à cette poésie des mots qui invitent à la rêverie expliquent davantage la réception française faite au poète québécois qu’une certaine tristesse des textes d’avant 1952.

 

Chanter comme métier : 1950-1970

Félix Leclerc lors de son passage à La Slague à Sudbury en 1965

La France crée donc un nouveau métier de chansonnier à Félix Leclerc. Pourtant, très occupé à chanter, Félix n’écrit aucune nouvelle chanson en 1951 et une seule en 1952. Si sa patrie reconnaît davantage son talent et le célèbre une première fois en avril 1951, lors d’un bref passage à Montréal, puis à nouveau en 1953, c’est surtout en Europe qu’il se produit. Désormais, Leclerc chantera à Paris avec Jacques Canetti comme agent, puis il sillonnera la France , allant se produire austèrement de salle et salle, en particulier dans les Maisons de la culture,  quand Jean Dufour devient son agent pour la France (1965) et Pierre Jobin pour le Québec. Il s’est engagé envers Polydor pour cinq ans dès 1950 et a vendu ses droits d’auteur pour vivre. Son contact avec l’Europe lui fait découvrir une France des idées, une parole moins dominée par la religion, et ses poésies chantées s’en ressentent avec l’avancée des années. Il a quitté la « canadiennefrancitude » (NOTE 14) d’une chanson comme « Présence » (1948), si triste et désespérée mais si belle par la mélodie, pour des chansons moralistes (« Comme Abraham », 1954, « Attends-moi ti-gars », 1955), pour des chansons humoristiques (« Chanson du pharmacien », 1954, « O mon maître », 1957), des chansons d’amour (« Ce matin-là », 1955, « Litanies du petit homme », 1958), des chansons d’amour des bêtes (« Blues pour Pinky » ou « Les Perdrix », 1955), pour les  chansons du cycle du roi (« Le Roi et le laboureur », 1956, « Le roi viendra demain », 1957), et des chansons patriotiques (« Chanson des colons », 1957, « La Drave », 1954, et surtout « Tu te lèveras tôt » de 1958). Il ajoute ainsi 30 nouvelles chansons à son répertoire avant 1960. L’œuvre en compte maintenant 62.

Adulé en France, Félix Leclerc ne délaisse pourtant pas son public québécois. Ici, en prestation à Saint-Raymond, près de Québec (août 1965)

Les 44 chansons qui viendront ensuite sont écrites pendant la Révolution tranquille qui transforme le Québec de 1960 à 1970. Sans abandonner les thèmes doucement poétiques de la vie quotidienne, ni les poésies chantées faites de fines observations, les œuvres de cette décennie dévoilent un Leclerc en proie à une crise des valeurs. On découvre un homme travaillé par le doute et une certaine révolte, porteur d’un plus grand attachement aux valeurs humaines et à la vie (NOTE 15). Dans les chansons de cette période, on peut voir autant les influences personnelles – Félix prend une nouvelle compagne – que sociales – car il reste en contact avec la société québécoise alors en pleine ébullition.

Assez étrangement, ces textes faits pour ses tournées françaises, qui sont souvent regroupées sur une portion de l’année, vont être davantage retenus par le public québécois qui s’y reconnaît, tandis que la France reste davantage attachée à la poésie du Félix d’après-guerre. Bien sûr, certaines chansons ne rompent pas avec sa première manière comme « Passage de l’outarde », 1967, ou la brillante « Variations sur le verbe donner », 1967. Mais les Québécois se reconnaissent davantage dans la riche production de 1969 où « Grand-papa Panpan » tue la peur et en appelle à la nouveauté (« J’inviterai l’enfance »), ou quand le poète raconte l’histoire de la dépossession dans « Richesses ». Ce Félix est redevenu père de deux enfants, s’est installé dans l’île d’Orléans de ses ancêtres et il aspire à plus de sédentarité (NOTE 16). Un grand événement allait cependant l’interpeller et influencer ses 32 chansons d’après 1970.

 

Poète, vos papiers !

Pendant que Félix Leclerc fréquente surtout la France qui lui permet de gagner son pain, le Québec a changé. L’artiste n’a pas pris parti dans le grand débat des pays du Québec et du Canada. Pourtant, un événement révélateur sera pour lui son chemin de Damas : il se fait demander ses papiers en arrivant à l’île d’Orléans par un soldat de l’armée canadienne qui occupe alors la « province de Québec » en vertu de la loi des Mesures de guerre promulguée en octobre 1970. Non seulement prend-il conscience que son territoire est occupé, mais il sent monter en lui, et malgré lui, l’indignation qui explose dans « L’Alouette en colère » (1972), une chanson tendue comme un ressort, presque plus longue à lire qu’à chanter !

Le voilà désormais résolument partisan du « pays québécois », à sa manière, avec comme généraux les rivières et comme état-major, le vent (« Chant d’un patriote »). Toujours poète (« Comme une bête », si sonorement dépouillée et d’écriture splendide), fréquentant toujours l’humour (« Les Poteaux »), engagé socialement  (« Les 100 000 façons de tuer un homme »), encore humain et amoureux (« Sors-moi donc, Albert »), le Félix (comme on l’appelle affectueusement) de ces chansons de 1975 fait plus que jamais corps avec les siens. Ceux-là ont évolué avant lui vers une lecture politique du Québec : ils ont donné à sa chanson paysanne de 1948, « L’Hymne au printemps », une interprétation emblématique, crapauds ou « frogs » chantant la liberté.

À l'occasion de la Superfrancofête en 1974, un trio du tonnerre se forme : Félix Leclerc, Robert Charlebois et Gilles Vigneault

Son dernier microsillon au titre éponyme de sa chanson « Mon fils », endisqué en 1978, célèbre la ferveur nationaliste de tout un peuple avec « La Nuit du 15 novembre » ou « L’An l ». Le poète a fait une dernière tournée en France pour marquer ses 25 ans de carrière européenne (« Merci la France », 1976, double microsillon) et il sort de moins en moins, patriarche dans son île. Si l’homme est un solitaire, le poète chantant reste un solidaire (NOTE 17). On peut même dire que son itinéraire est représentatif de celui de plusieurs Québécois. Né dans la « tristesse héréditaire » et la canadiennefrancitude, prenant courageusement « le parti d’espérer » (cette « Prière bohémienne » de 1955 que son ami Raymond Devos citera lors des cérémonies entourant la mort du poète, en 1988), ce Leclerc va du « sentier » de 1934, obturé et « déchiré par les labours », à la voie royale du grand Saint-Laurent libérateur, matrice de sa grande chanson-cathédrale du « Tour de l’Île » (NOTE 18) (1975). L’œuvre chansonnière a donc été comme une métamorphose, l’artiste passant de cette « tristesse héréditaire » (Gaston Miron) à l’émancipation résolue, sous l’influence de ses séjours en France et de la Révolution tranquille (NOTE 19) au Québec.

Le public s’est reconnu largement dans cette œuvre. Ainsi, lors de son dernier grand spectacle, « Le loup, le renard et le lion », en compagnie de Gilles Vigneault et de Robert Charlebois, qui a attiré environ 200 000 personnes sur les Plaines d’Abraham, à Québec, c’est tout l’espace francophone qui l’acclame à l’occasion de la Superfrancofête en août 1974. Sorti alors exceptionnellement de son île, Leclerc aurait pu dire à son public roi : « Bonjour Sire c’est moi le loup ° M’voyez-vous m’entendez-vous ? °  Suis venu à travers bois ° Vous saluer comme il se doit » (« La mort de l’ours »).

 

Le père de la chanson québécoise

Monique Leyrac, 1955

Grâce aux succès que Félix Leclerc a connus en France, qui l’a reçu à bras ouverts, Leclerc s’est découvert poète et chansonnier et la chanson québécoise est venue au monde (NOTE 20). Cette chanson d’abord dite canadienne-française se développe sous sa principale influence au cours des années 1950. En témoigne le Festival Radio-Canada, lancé en avril 1956, qui suscite une participation considérable. Près de 1 200 chansons inédites sont reçues sous pseudonyme, dont 120 sont gardées après un premier choix. Un jury international retient en finale 12 des 31 chansons ayant passé le test d’un deuxième tri, accordant six mentions, un prix de la radio, un prix de la télévision, un prix dit « Amicale de la chanson » et trois premiers prix. Les chansons couronnées sont rassemblées en 1957 dans un coffret intitulé « Douze chansons canadiennes », incluant un hommage des Premiers ministres du Canada et du Québec Louis Saint-Laurent et Maurice Duplessis. Le texte (bilingue) du livret est du poète Éloi de Grandmont que Lionel Daunais (un des lauréats) a déjà mis en musique. Le ton qu’adopteront les chansonniers est donné, qui va de l’humoristique (« Les perceurs de coffres-forts » et « Voyage de noces », deux chansons de Daunais), au populaire (« Sur l’perron », 2e prix, chanson de Camille Andréa), alors que le « grand prix de la chanson canadienne » revient à la chanson poétique « Le ciel se marie avec la mer » de Jacques Blanchet, lui aussi deux fois lauréat.

Les Bozos, 1958

Les chansonniers se multiplient rapidement à la fin de cette décennie et le public est nombreux à les applaudir. En 1958, plusieurs poètes chantant visant la qualité des textes et de la musique se sont regroupés sous l’appellation des « Bozos », un clin d’œil à Félix Leclerc. Ils ont pour noms Jacques Blanchet, Hervé Brousseau, Clémence DesRochers, Claude Léveillée, Raymond Lévesque, Jean-Pierre Ferland, André Gagnon. Leur boîte s’appelle Chez Bozo. L’année suivante, les spectacles de Jean-Pierre Ferland à Montréal et de Gilles Vigneault à Québec connaissent le succès. Avec la décennie soixante naissent les Boîtes à chanson qui, de Montréal à Québec, en passant par Percé et le Nord de Montréal comme lieux d’influence, permettent à une quantité de jeunes gens de monter sur scène pour y chanter surtout l’amour. Si plusieurs ne feront pas une longue carrière, ils marquent quand même le genre chansonnier, tels Tex Lecor, Hervé Brousseau, Pierre Calvé, Pierre Létourneau, Jean-Paul Filion, Christine Charbonneau ou Marie Savard, pendant que d’autres vont durer comme Claude Dubois, Claude Gauthier, Georges Dor, Claude Léveillée, Monique Miville-Deschênes et, bien sûr, Gilles Vigneault et Jean-Pierre Ferland. Les femmes sont alors  davantage interprètes comme Monique Leyrac ou Pauline Julien, qui y va quand même de quelques beaux textes personnels. La chanson québécoise est née. Elle se déploie indirectement dans l’aura de Félix, si l’on tient compte que tous ces chansonniers et interprètes ont fait alors leurs classes en poésie à travers l’œuvre qu’a créée Félix et la voie professionnelle qu’il a ouverte.

 

André Gaulin
Professeur émérite (Lettres)
Université Laval

 

NOTES

1. Sylvain Garneau, « Lettre à Marie », Objets retrouvés : poèmes et proses, Montréal, Librairie Déom, 1965, p. 141-145. 

2. Voir Georges Gauthier-Larouche, « La bonne chanson, recueils de l’abbé Charles-Émile Gadbois », dans Maurice Lemire (dir.), Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, t. II : 1900-1939, Montréal, Fides, 1980, p. 153-154.

3. Adagio, Allegro, Andante, respectivement  recueils de contes, de fables, de poèmes et récits en prose, parurent chez Fides en 1943, puis 1944 (les deux derniers titres) et connurent plusieurs éditions. Le professeur Aurélien Boivin les considère comme des best-sellers de l’époque. Voir Maurice Lemire (dir.), Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, t. III : 1940-1959, Montréal, Fides, 1982, p. 9-11, 38-39, 49-50.

4. L’expression « poésie orale sonorisée » donnée à la chanson est du médiéviste Paul Zumthor.

5. Dans le premier texte de Rêves à vendre ou Troisième calepin du même flâneur (1984), Félix dit devoir sa première chanson à son professeur d’anglais de Québec, monsieur Ormsby. Félix écrit ici ce qu’il racontera presque textuellement à Jean-Pierre Ferland dans une entrevue donnée à sa maison de Saint-Pierre, en l’île d’Orléans, en janvier 1985 : « J’avais 19 ans. [Monsieur Ormsby] était scandalisé de voir que je n’aimais que la religion, que je n’aspirais qu’au ciel et que j’avais quasiment hâte de mourir. Mon mépris des choses d’ici-bas l’irritait au point de haïr ceux qui m’avaient fourré sous de tels harnais. » Et Félix de raconter qu’étant allé un soir à un concert d’enfants de Londres à l’église anglicane de la rue Saint-Joachim, il voit deux bancs en avant de lui son Anglais « laissant couler ses larmes sans retenue ». Félix découvre qu’il n’a même pas un chant d’amour pour son pays, achète le lendemain une guitare (il en usera huit, écrit-il) et ajoute : « J’écoutais mon cœur en train de mettre au monde sa première chanson. » C’était « Notre sentier »!

6. La quatrième étant « Le Québecquois », peu connue malgré son importance dans la signification de l’œuvre. Il y exprime l’idée que les artistes du Canada français ne se croient pas sujets de littérature. Leclerc, à qui son père a conseillé jadis de regarder vivre ses compatriotes et d’écrire ce qu’il observait, le croit-il lui-même? Il semble que oui, puisque pas moins de 28 chansons vont s’ajouter pendant les sept années suivantes, de 1944 à 1950.

7. Pour le texte des chansons du poète, on peut se reporter à Félix Leclerc, Cent chansons, Montréal, Fides, 1970, 255 p. Pour l’œuvre complète, avec introduction, chronologie et discographie, voir Félix Leclerc, Tout Félix en chansons, Québec, Nuit blanche éditeur, 1996, 285 p. À ces chansons de Félix, il faut en ajouter 11 autres qu'il a interprétées, comme celles de Jean-Pierre Ferland, de Michel Rivard, de Maurice Fanon…, ou dont il a composé la musique sur des textes d’Arthur Rimbaud, de François d’Assise… On trouvera dans Internet plusieurs chansons de Félix rendues par lui, notamment « Le p’tit bonheur », « Le train du Nord », « Le tour de l’Île », « La mort de l’ours », « Moi, mes souliers », « L’alouette en colère », « Attends-moi tit gars », etc.

8. En 1948, la pièce est jouée à Vaudreuil, à Rigaud, à Saint-Jérôme, puis, en avril 1949, à Montréal (trois soirs au Théâtre des Compagnons).

9. Une subvention accordée par le CRSH (vers 1989) aux professeurs Roger Chamberland et André Gaulin a permis de dépouiller les journaux au sujet de l’accueil fait à Leclerc avant son départ pour la France en décembre 1950. Un rapport inédit produit par le chercheur Gilles Perron, aujourd’hui professeur au Cégep de Limoilou, révèle aussi que lorsque Leclerc fit jouer sa pièce Le p’tit bonheur à Paris, en 1964, grâce à une subvention de 15 000 $ du ministère des Affaires culturelles, la critique fut plutôt négative, quoique élogieuse à l'égard des chansons qui entrecoupaient les sketches et du petit récital qui couronnait le tout!

10. En avril 1950, La p’tite misère, une autre pièce faite de six sketches et d’autant de chansons, est jouée, mais cette fois la critique ne parle plus des chansons.

11. Cette rupture entre l’écrivain et les critiques littéraires se manifeste clairement avec la parution des Dialogues d’hommes et de bêtes au printemps 1949.

12. Il s’est produit au préalable à l’ABC, une autre petite salle parisienne, pendant quatre semaines, à partir du 20 décembre 1950.

13. Chanson de Mireille Brocey et Loulou Gasté (1948), popularisée par Line Renaud.

14. La « canadiennefrancitude » est une notion littéraire que j’ai attribuée à une certaine littérature du Québec entre 1940 et 1960, dominée par l’échec et qui consiste « à ne croire au bonheur que pour les autres ». On peut se reporter aux nombreux articles que j’ai signés dans le tome III du Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec.

15. Les thèmes poétiques de la vie quotidienne dans « Je cherche un abri pour l’hiver » (1960), « Sur la corde à linge » (1963), si dépouillée, ou « Tzigane » (1966), qui témoigne d’une forte influence bohémienne; les poésies chantées faites de fines observations dans « Premier amour » ou « Douleur » (1963); l’homme travaillé par le doute dans « Mes longs voyages » (1965), une chanson à plusieurs thèmes mélodiques; l’homme en proie à une certaine révolte dans « Dieu qui dort » (1965); l’attachement aux valeurs humaines dans « La vie, l’amour, la mort » (1962) et l’attachement à la vie dans « Le jour qui s’appelle aujourd’hui » (1964).

16. Cela ne l’empêche pas de se produire plusieurs fois au Québec, notamment pendant neuf soirs à la salle Maisonneuve de la Place des Arts, en 1967.

17. Son patriotisme et son amour de René Lévesque le font monter sur les planches pendant le référendum de 1980 : c’est même lui, un poète, attendant dans les coulisses de l’aréna Paul-Sauvé, à Montréal, le soir du 20 mai 1980, qui aurait annoncé la victoire du oui!

18. Cette chanson résolument indépendantiste, tout en disant sa fatigue historique – « le difficile et l’inutile » –, retrouve énergie dans le paysage et dans un double alignement sur la France : « C’est-y en France? / C’est comme en France / Le tour de l’Île ».

19. On peut consulter les douze émissions thématiques que j'ai préparées pour Radio Galilée à l’été 2003 et qui ont été reprises à la demande de la station à l’été 2010.

20. Un genre auquel ont contribué initialement la Bolduc, Lionel Daunais (qui tâta de plusieurs genres pour vivre), Oscar Thiffault (que Trenet citait de mémoire) et Raymond Lévesque (qui fit aussi les boîtes de la Rive gauche parisienne). Il y aurait lieu de mentionner encore beaucoup de gens. Par exemple, Guy Mauffette qui anima plusieurs émissions sur la chanson à la radio et à la télévision. C’est lui qui présentera Félix (qui interprète « Le bal ») pour la première fois à la télévision à l’émission Carrousel le 30 novembre 1953. Il ne faut pas oublier, non plus, le Jacques Normand des « nuits de Montréal » qui anima aussi le Saint-Germain-des-Prés puis le Faisan doré, pas plus qu’il ne faut omettre l’action de Fernand Robidoux qui favorisa le genre, en français, par les radios de CHLT (Sherbrooke), de CHLN (Trois-Rivières), de CKVL (Verdun), de CKAC (Montréal). C’est lui qui traduit la chanson étatsunienne connue « Promises » en « Je croyais ».  La naissance de la chanson à texte est somme toute complexe et plurielle.

 

Bibliographie

Bérimont, Luc, Félix Leclerc : choix de textes et de chansons, Paris, Seghers; Montréal, Fides, 1964, 186 p.

Bertin, Jacques, Félix Leclerc, le roi heureux : biographie, Paris, Arléa, 1987, 315 p.

Chamberland, Roger, et André Gaulin, La chanson québécoise : de la Bolduc à aujourd’hui, Québec, Nuit blanche éditeur, 1995, 593 p.

Gaulin, André, « Cent chansons, recueil de Félix Leclerc », dans Maurice Lemire (dir.), Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, t. V : 1970-1975, Montréal, Fides, 1987, p. 105-110.

Leclerc, Félix, Cent chansons, Montréal, Fides, 1970, 255 p.

Leclerc, Félix, Tout Félix en chansons, établissement du texte, Roger Chamberland; introduction, André Gaulin; chronologie, discographie, bibliographie, Aurélien Boivin, Québec, Nuit blanche éditeur, 1996, 285 p.

L’Herbier, Benoît, La chanson québécoise : des origines à nos jours, Montréal, Éditions de l’Homme, 1974, 190 p.

Sermonte, Jean-Paul, Félix Leclerc, roi, poète et chanteur, Monaco, Éditions du Rocher, 1989, 155 p.

Documents audiovisuels :

Heureux qui comme Félix : une histoire de Félix Leclerc. Les grands moments de sa vie et de sa carrière; témoignages et chansons, série radiophonique réalisée par Jacques Bouchard, entrevues et narration de Monique Giroux, Montréal, Société Radio-Canada et GSI Musique, 2000, 10 CD.

« C’est la première fois que j’la chante » [en ligne], documentaire de Mazouz, textes de Marcel Dubé, narration de Monique Leyrac, Montréal, Office national du film du Canada, 1988, http://www.onf.ca/film/cest_la_premiere_fois_que_jla_chante.

 

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