Stade olympique de Montréal et installations connexes

par Bassil, Soraya et Dion, Amélie

Le Stade olympique de Montréal, 2006

Le style architectural audacieux du Stade olympique de Montréal, unique en Amérique du Nord, en fait un bâtiment emblématique de la Ville de Montréal. Conçu par l'architecte français Roger Taillibert pour accueillir les Jeux olympiques d'été de 1976, il fait aujourd'hui partie du patrimoine bâti non seulement de la métropole, mais aussi du Québec et du Canada. Si la population démontre, en général, un attachement particulier à cette architecture organique et sculpturale si spéciale, témoin d'un évènement d'importance internationale et de la modernité du Québec, plusieurs facettes de sa construction et de son histoire demeurent méconnues.

 

Article available in English : The Montreal Olympic Stadium Complex

Le Stade olympique, joyau du patrimoine architectural moderne

Stade et Esplanade est (en bas à droite, La Joute de Riopelle)

Le Stade olympique a été l'un des projets architecturaux les plus médiatisés de l'histoire récente du Québec. Les problèmes survenus lors de sa construction et de son parachèvement, ainsi que les importants dépassements budgétaires, ont longtemps entaché son image. Néanmoins, cette couverture médiatique alliée à sa forme singulière et à son emplacement particulier dans l'est de la métropole a contribué à en faire un élément incontournable du paysage montréalais. Le Stade olympique s'impose d'un peu partout et sert souvent de repère visuel, y compris lorsqu'on survole Montréal en avion. En fin de compte, cet élément dominant du patrimoine urbain montréalais se distingue comme nul autre bâtiment.

Le site occupé par les installations olympiques est localisé dans l'est de la ville, sur une parcelle de 60 hectares longeant la rue Sherbrooke. Il est relié au parc Maisonneuve et au Jardin botanique, situés de l'autre côté de cette artère urbaine. Construit à l'occasion des Jeux olympiques de 1976, le Stade olympique se distingue par son mât (NOTE 1) penché de 175 mètres de haut qui en fait la plus grande architecture oblique (NOTE 2) au monde et place le Stade au sixième rang des bâtiments les plus élevés de Montréal. Les 92 premiers mètres de ce mât sont en béton, alors que sa partie supérieure, parachevée en 1986, est faite de caissons d'acier préfabriqués par la société Marine Industries, à Rimouski (NOTE 3).

Malgré le coût élevé des installations olympiques, qui demeure ancré dans la mémoire de nombreux Québécois (1,2 milliard de dollars canadiens) (NOTE 4), il est indéniable que le Stade et les installations olympiques doivent figurer à titre de biens patrimoniaux majeurs, tant de la Ville de Montréal que du Québec, à l'instar de monuments comme la tour Eiffel, à Paris, qui a d'abord suscité la grogne et l'incompréhension populaires avant de devenir symbole national de la France. La reconnaissance internationale dont jouit le Stade olympique et sa présence marquante et durable dans la ville contribuent à faire prendre conscience aux Québécois de la valeur de ce bâtiment exceptionnel. Le Stade a été conçu comme objet d'art et signature visuelle exclusive, tout en étant remarquablement fonctionnel. Son élégance et son impressionnante stature le placent dans le peloton de tête des œuvres architecturales modernes du Québec.

 

Un projet grandiose

Le maire Jean Drapeau présente le projet de la Tour Montréal-Paris, décembre 1964

En 1976, Montréal est appelé à accueillir les XXIe Jeux olympiques d'été. Pour ce grand évènement international, l'équipe du maire Jean Drapeau projette, à l'instar de ce qui s'est fait à Munich en 1972, de regrouper plusieurs disciplines sur un même site, afin de limiter les déplacements et de créer un ensemble architectural unifié.

On choisit un site où existent déjà le centre Pierre-Charbonneau et l'aréna Maurice-Richard, édifices témoins d'une volonté antérieure de l'administration municipale de revitaliser ce secteur de la ville en le dotant d'installations sportives. L'architecture moderne de ces deux bâtiments, conçus durant les années 1950, devrait permettre de les intégrer de manière harmonieuse au nouveau plan d'ensemble organique conçu par le Service des Travaux publics de la Ville de Montréal, qui sera revu et corrigé par l'architecte Taillibert (NOTE 5).

Une délégation d'investigation, conduite par Charles A. Boileau, directeur des Travaux publics de la Ville de Montréal, examine plusieurs installations sportives existantes, tant aux États-Unis qu'en Europe. Celui qui retient particulièrement l'attention de cette délégation est le chantier du Parc des Princes de Paris, un stade en béton précontraint conçu par l'architecte français Roger Taillibert. Le comité exécutif de la Ville de Montréal se laisse convaincre par l'expertise de celui-ci en matière de réalisation d'équipement sportif, d'emploi du béton précontraint et de fabrication de structures textiles amovibles et il décide de lui confier le projet olympique. Cette résolution, approuvée le 24 avril 1973, est farouchement défendue par le maire Jean Drapeau qui est un francophile avoué, lui qui a déjà eu recours à l'expertise française pour la construction du métro de Montréal.

Cette décision a pour conséquence de mettre en rogne les architectes et les ingénieurs québécois qui se voient refuser la chance de concevoir ce projet d'envergure, ainsi que les entrepreneurs et les ouvriers auxquels on impose l'utilisation du béton précontraint, une technologie qui ne leur est pas familière (NOTE 6).

Premier plan d'implantation des installations olympiques datant de 1956, Clarke & Rapuano, architectes paysagers

Le parti architectural adopté par Taillibert se doit, par ailleurs, de répondre à plusieurs exigences du programme constructif. On demande, en premier lieu, que les bâtiments puissent loger un stade permettant la pratique de plusieurs disciplines, des bassins pour les sports aquatiques et un vélodrome pour le cyclisme sur piste. Une attention particulière est aussi portée à la sécurité : il faut veiller à la fluidité de la circulation des foules et à l'efficacité de l'évacuation. À cela s'ajoutent les demandes du Comité international olympique qui stipulent, notamment, que les épreuves doivent se dérouler « en pleine nature », c'est-à-dire dans un stade non couvert. Il est également prévu dans le projet initial de la Ville de Montréal, alors maître d'ouvrage (NOTE 7), que les installations sportives construites pour cet évènement prestigieux, mais éphémère, puissent être utilisées par la suite durant toute l'année, notamment pour servir de stade de baseball (NOTE 8), ainsi que pour d'autres événements sportifs et culturels. La nécessité de tenir compte des réalités climatiques de Montréal suggère la nécessité de couvrir le Stade, dans la mesure où le toit serait amovible.

Soucieux de regrouper les installations, Taillibert propose trois composantes principales qui abriteront la majeure partie des compétitions. Ces volumes à la fois distincts et imbriqués rassemblent le Stade, le Centre de natation et le Vélodrome. Lors du dévoilement de la maquette, en avril 1972, Taillibert propose déjà la construction de structures aux formes organiques et lyriques inhabituelles, édifiées au moyen de technologies inusitées. Ainsi, le Stade de forme elliptique présente deux axes de 490 mètres et 180 mètres chacun. Selon le maire Drapeau, cette configuration garantit une excellente visibilité à tous les spectateurs dans ce lieu destiné à accueillir divers types d'évènements sportifs. À cette fin, le bâtiment est composé d'un anneau de gradins répartis sur plusieurs niveaux pouvant accueillir 56 000 spectateurs, sans compter 20 000 sièges temporaires ajoutés pour la tenue des Jeux olympiques. Ces gradins sont disposés sur 34 consoles autostables contenant l'anneau technique et soutenant 20 % du poids total de la toiture mobile - les 80 % restants étant supportés par le mât.

La maquette des installations olympiques, juillet 1974

À cette structure principale de 34 éléments en porte-à-faux s'ajoute donc le mât à base triangulaire, dont les voûtes abritent le Centre de natation et ses bassins dédiés aux compétitions aquatiques. Durant les Jeux, le mât devait aussi accueillir des palestres et soutenir la toiture mobile, mais faute de temps, la décision sera prise de ne pas compléter celui-ci avant l'ouverture des Jeux. Avec une hauteur prévue de 175 mètres et un angle de 45 degrés, il constituera la plus haute architecture diagonale au monde (NOTE9).

Le Vélodrome, quant à lui, consiste en un volume des plus révolutionnaires dont la voûte sphérique autoportante, divisée en trois lobes, s'évase à partir d'un point d'appui vers trois autres points et deux surfaces de raccordement. La couverture a une portée de 172 mètres et son sommet atteint 32 mètres. Cette structure est constituée de centaines de voussoirs préfabriqués (NOTE 10). Le bâtiment doit accueillir entre 7 000 et 12 000 spectateurs. L'exploit technique sur lequel repose le Vélodrome sera plébiscité à Londres, en 1978, lors du Congrès international des ingénieurs de la précontrainte, tant il soulève l'admiration des participants à ce congrès.

 

Le parcours semé d'embûches d'un haut lieu sportif

Mise en place des gradins du Stade olympique (6 janvier 1976)

Les travaux de construction qui débutent le 28 avril 1973 vont toutefois avoir un impact négatif sur l'ensemble du projet. En effet, ceux-ci se déroulent dans un contexte de politisation des grands chantiers de construction au Québec, alliée à un climat de rivalité syndicale entre les principales centrales que sont la FTQ et la CSN. Cette situation conduit à deux grèves consécutives qui durent de novembre 1974 à janvier 1975, puis de mai 1975 à octobre 1975. Ces grèves causent de nombreux retards au point qu'on ne sait plus, à la fin de l'année 1975, si le chantier sera terminé à temps pour les Jeux. À ces retards causés par des conflits dans les relations de travail vient s'ajouter le contexte inflationniste de l'époque qui décuple le coût de certains matériaux, dont l'acier qui renforce l'intérieur des structures. L'échéancier qui était déjà serré, au point de nuire à la candidature de Montréal (NOTE 11), devient presque intenable. Face à ces évènements, le Comité international olympique envisage même de déplacer les Jeux à Mexico.

Cependant, grâce à l'intervention de la Régie des installations olympiques, créée le 20 novembre 1975, qui réorganise le travail et assainit le climat qui règne sur le chantier, ainsi qu'à la rapidité de production des pièces de béton préfabriquées à l'usine Shockbéton (NOTE 12), les installations sont finalement utilisables pour les Jeux olympiques, bien que le site demeure inachevé. Le mât reste tronqué à 59 mètres du sol, les gradins sont temporaires et l'aménagement paysager n'est que partiellement complété.

Sandra Henderson et Stéphane Préfontaine allument la vasque olympique, Montréal, 17 juillet 1976

Qu'à cela ne tienne : le spectacle d'ouverture des XXIe Jeux olympiques des temps modernes a lieu comme prévu le 15 juillet 1976! C'est devant une foule de 76 433 spectateurs que défilent les athlètes des 94 délégations présentes. Les deux semaines de compétitions qui suivent, marquées notamment par les exploits de la jeune gymnaste roumaine Nadia Comaneci et par l'absence des pays africains, demeurent le moment fort de l'histoire des installations olympiques montréalaises. Malgré tous les sceptiques, la population est impressionnée par la forte expressivité des structures du Stade.

Les traces de cet évènement mémorable, au cours duquel le Canada a remporté cinq médailles d'argent et six médailles de bronze (mais aucune d'or, une première pour un pays hôte), sont toujours perceptibles sur le site et bien ancrées dans la mémoire collective.En 1986, Montréal célèbre même en grande pompe le dixième anniversaire de la tenue des Jeux, tant le moment a marqué l'imaginaire des Québécois. On installe alors une plaque commémorant les performances des médaillés olympiques. La qualité des Jeux a permis, en quelque sorte, de réhabiliter de manière positive l'image des installations. Mais la saga du Stade n'est pas terminée.

 

Le rayonnement international

Vue panoramique du Stade olympique de Montréal réalisée sur le mont Royal, 1987

Malgré les déboires politiques et financiers du chantier et la dette olympique liée aux installations principales (Stade, Vélodrome, Centre de natation et Village olympique), dont le remboursement s'échelonnera sur trois décennies (NOTE 13), les retombées positives des Jeux olympiques de 1976 dans plusieurs secteurs d'activité sont immédiates. Parmi celles-ci, on compte la construction d'installations sportives pour l'ensemble de la Ville de Montréal, l'affluence touristique grandissante provoquée par le positionnement de Montréal comme ville internationale, ainsi que la création d'un grand nombre de fédérations sportives, qui font des Jeux de 1976 le principal événement fondateur du sport amateur organisé au Québec.

Il faut attendre 1984 (NOTE 14) pour que les travaux de parachèvement du mât commencent et permettent de compléter le Stade selon les plans originaux (NOTE 15). Les installations olympiques n'en demeurent pas moins fonctionnelles dès 1976 et les événements qui s'y tiennent sont très courus (NOTE 16). Celles-ci accueillent divers évènements très appréciés par la population, notamment l'entrée dans le Stade que fait l'équipe professionnelle de baseball de Montréal, les Expos, le 15 avril 1977. Durant plusieurs années, les Expos vont faire vibrer la foule et soulever l'enthousiasme des partisans, jusqu'à ce que des performances décevantes, alliées à de sévères problèmes financiers, diminuent progressivement l'intérêt de la population pour « son » équipe de baseball, au point où celle-ci doit être vendue et déménage à Washington en 2004.

Madonna (tournée Girlie Show) sur la scène du Stade olympique, 23 octobre 1993

Au fil des années, plusieurs grands évènements à caractère sportif et culturel contribuent au rayonnement et à la notoriété des installations olympiques de Montréal. Le Stade est souvent choisi pour tenir des manifestations de grande envergure, car il est facile d'accès et permet d'accueillir une foule nombreuse (NOTE 17) de manière sécuritaire. Parmi les événements mémorables, citons la venue du pape Jean-Paul II, le 11 septembre 1984, où sa Sainteté s'adresse à plus de 60 000 jeunes de 16 à 25 ans. À cette occasion, Céline Dion interprète Une colombe, une chanson qui a marqué sa carrière. Cette même année, le spectacle Magie rose de Diane Dufresne, la seule artiste québécoise à avoir présenté un spectacle solo au Stade olympique, connaît un franc succès. Plusieurs vedettes internationales ont également foulé les planches du Stade, dont AC/DC, Genesis, Metallica, Guns N' Roses, Pink Floyd, Madonna, Michael Jackson, et d'autres. On y a même présenté l'opéra Turandot de Puccini et tourné plusieurs scènes de films. D'autres évènements sportifs d'importance s'y sont déroulés, notamment la finale de la Coupe Grey du football canadien en 1977, 1979, 1981, 1985, 2001 et 2008, ainsi que des matchs de soccer enlevants et, en première mondiale, les Outgames de 2006. Le Stade a aussi accueilli plusieurs salons et expositions d'envergure (NOTE 18).

 

Un patrimoine québécois toujours en construction

Observatoire logé dans le mât du Stade olympique

Les installations olympiques demandent un entretien constant et certains ajouts les bonifient au fil des ans. Ainsi, un funiculaire extérieur vitré, qui permet aux visiteurs de monter aux étages supérieurs du mât, est inauguré le 22 novembre 1987. Sa hauteur inégalée et la vue imprenable sur Montréal que procure l'Observatoire en font un haut lieu du tourisme. La qualité de cette vue panoramique sur la ville a d'ailleurs obtenu trois étoiles dans le Guide Vert (Michelin) en 1992, alors que les bâtiments du site y sont jugés d'intérêt architectural.En 1987 également, un ajout encore plus important complète les installations : un toit est finalement mis en place. Tel que prévu à l'origine, il s'agit d'une toiture amovible en textile Kevlar d'une envergure de 18 600 mètres carrés, soit une superficie inégalée jusque-là.

La question du toit ne sera pas réglée pour autant. En effet, l'usure prématurée de cette toile, qui se déchire à quelques reprises dans les années 1990, oblige la Régie des installations olympiques à concevoir et à installer un nouveau toit qui sera cette fois non amovible. En 1998, le Stade est donc coiffé d'un toit souple, mais fixe, constitué d'un maillage de câbles recouverts de 63 panneaux en fibre de verre enduits de Téflon. La chute de l'un de ces panneaux sous le poids de la neige, quelques mois plus tard, entraîne l'annulation du Salon international de l'automobile qui était en montage et fait en sorte que l'accès à l'espace central du Stade sera limité durant l'hiver, sur autorisation spéciale des services de pompier seulement. En 2004, la Régie des installations olympiques annonce son désir d'installer un nouveau toit fixe, afin de rendre le vaste espace central du Stade accessible à l'année, sans aucune restriction. En fin de compte, le projet initial de Taillibert de créer le premier toit amovible en structure textile au monde s'est avéré impossible à réaliser. Quant aux nombreuses propositions alternatives des ingénieurs, elles démontrent à quel point il est difficile de trouver une solution de remplacement respectueuse du style architectural d'origine.

Caricature du Stade olympique : «Stade Trek - la suite», 1999

Le Vélodrome, lui, a complètement changé de vocation pour des raisons d'usage et de rentabilité. À la suite du départ des équipes de cyclisme sur piste, l'édifice s'est retrouvé sous-utilisé. C'est pourquoi il a été transformé en un musée scientifique portant sur la diversité des écosystèmes, le Biodôme, en 1992, et cédé à la Ville de Montréal à l'occasion de son 350e anniversaire de fondation, cette même année. Bien que le Biodôme soit devenu un haut lieu de loisir éducatif et de tourisme à Montréal, en parfaite complémentarité avec les autres Muséums nature que sont le Jardin botanique et l'Insectarium de Montréal, situés à proximité, et qu'il a contribué de façon notable à la mise en valeur et à l'achalandage accrus du site olympique, il faut souligner l'importante transformation intérieure du Vélodrome qui rend désormais impossible la compréhension des structures et de l'espace conçus par l'architecte Taillibert. C'est là une conséquence du défi que la Régie des installations olympique a dû relever afin de rentabiliser ce coûteux bâtiment d'envergure, malheureusement au prix de sa valeur architecturale intrinsèque.  

 

Valoriser le Stade olympique et son héritage

Les installations olympiques ont souvent attisé la plume acerbe des journalistes et des caricaturistes les plus critiques. Pourtant, 80 % des Québécois en ont une opinion positive (NOTE 19). Malgré son histoire mouvementée, le Stade demeure une réalisation remarquable qui s'inscrira en bonne place dans le patrimoine québécois pendant encore plusieurs générations, puisqu'aucun autre bâtiment ne s'en approche de près ou de loin, ni au Québec, ni au Canada, et que sa durée de vie s'annonce considérable.

Vue panoramique vers l'est de Montréal, depuis le mont Royal. Au premier plan, le Plateau-Mont-Royal. Un peu plus loin, le Stade olympique et sa tour penchée de 175 mètres. En arrière-plan, le fleuve Saint-Laurent. Juillet 2002.

Avec les explorations techniques du béton précontraint et post-tensionné, et de la matière textile que l'architecte Roger Taillibert a réalisées dans le Parc olympique de Montréal, et ce pour la première fois de façon intégrée (NOTE 20), il a atteint son but de concevoir un « grand ouvrage d'art » et livré sa réalisation à caractère sportif la plus aboutie. Cela est perceptible tant par la structure en voiles minces autoportantes du Vélodrome et du Centre de natation que par le squelette porteur du Stade, issu d'un assemblage d'éléments préfabriqués à volumétrie variable, ou par l'architecture textile pensée en fonction d'une tension entre un élément vertical porteur - le mât - et d'un élément suspendu et mobile - la toiture de Kevlar. Même si ce concept de toit n'a pas bénéficié d'une connaissance suffisante du rude climat hivernal québécois.

Depuis peu, des architectes et historiens de l'architecture tels Luc Noppen et Jean-Claude Marsan réhabilitent le site en soulignant que le complexe olympique est un témoin historique de l'évolution  récente du Québec et un exemple éloquent d'architecture lyrique dont la valeur esthétique doit être sauvegardée et mise en valeur. Les blessures d'hier s'estompent et la population s'est réappropriée ce patrimoine urbain excentrique, qui, d'un objet contesté est devenu un incontestable symbole identitaire des Québécois (NOTE 21).

Le Stade olympique de Montréal vu de l'arrière, la nuit, 2007

À l'exemple du Nid de Pékin, le stade des Jeux olympique de 2008, le Stade de Montréal est ancré dans l'histoire des Jeux. Les idées de grandeur que cet événement suscite incitent les architectes à se surpasser et à vouloir créer des structures qui émerveilleront le public. Pour ce faire, Roger Taillibert a voulu réaliser un exploit technique et une prouesse architecturale hors du commun. Il a réussi à transcender la forme traditionnelle des stades sportifs de son époque et à créer une signature visuelle forte et exclusive. C'est ce qui émane encore aujourd'hui de ce monument de la modernité.

Une fois les Jeux passés, les réalisations architecturales qu'ils ont suscitées prennent leur véritable sens et acquièrent une grande valeur patrimoniale dans la mesure où la population les utilise et se les approprie. Aujourd'hui, le Stade olympique est entré dans la vie des Montréalais et dans le cœur des Québécois. Il est certainement l'un des bâtiments qui représente le mieux le Montréal moderne que le maire Jean Drapeau souhaitait et qu'il a construit. Afin de conserver son intégrité et d'en accroître la valeur, il serait profitable de prévoir bientôt reconnaître officiellement l'importance du Stade olympique en le classant monument historique en vertu de la Loi sur les biens culturels du Québec.

 

Soraya Bassil
Muséologue, spécialisation en conservation du patrimoine moderne, Université du Québec à Montréal

 

Amélie Dion
Historienne d'art, spécialisation en conservation du patrimoine moderne, Université du Québec à Montréal

 

 

NOTES

1. Le terme « mât » est utilisé par l'architecte Taillibert, par analogie avec le mât d'un voilier sur lequel sont suspendues les voiles. Dans le présent contexte, ce corps de bâtiment supporte la charge de la toiture textile mobile que Taillibert nomme « le parapluie du Stade ». En ce sens, l'ensemble mât et toiture se doit d'être considéré comme une synergie architecturale qui en définit la cohérence matérielle et conceptuelle. Le terme « Tour de Montréal » est celui qui est couramment utilisé par la Régie des installations olympiques.

2. Selon l'expression employée par Marc Emery dans ses ouvrages sur Taillibert.

3. Le plan original de l'architecte Roger Taillibert prévoyait que le mât serait entièrement en béton, mais une analyse de la firme d'ingénierie québécoise SNC-Lavalin soulignait que le poids trop élevé de la structure en béton présentait des risques; c'est pourquoi la partie supérieure du mât a été réalisée en acier.

4. Exactement 1 286 069 000 $, selon les chiffres contenus dans « Finances – Parc olympique, Ministère des Finances – Gouvernement du Québec », Rapport final du COJO, à l'exclusion des coûts de construction du Village olympique et de la transformation du Vélodrome en Biodôme.

5. On remarque que l'alignement général de la composition selon l'axe de la rue Sherbrooke vient remplacer celui de la rue Camillien-Houde proposé par les architectes Clarke et Rapuano en 1956. Ce plan permet une meilleure synergie entre les constructions déjà existantes et celles destinées à être implantées, puis crée un lien sémantique entre la partie « minérale » des installations olympiques et la partie « végétale » du parc Maisonneuve.

6. Il faut souligner que d'autres architectes étrangers de renom avaient déjà laissé leur marque sur le paysage montréalais dès les années 1960, sans causer d'émoi comparable. Par ailleurs, la technique du béton précontraint est déjà utilisée à l'époque par d'autres architectes et ingénieurs réputés aux États-Unis et au Canada : le duo Louis Kahn et August Kommendant pour le Jonas Salk Institute for Biological Studies (La Jolla, Californie, 1959-1965) et le duo Moshie Safdie et August Kommendant pour Habitat 67 (Montréal, Québec, 1967). Mais la technique du béton précontraint est peu développée en Amérique, contrairement à celle du béton coulé sur place, qui permet aussi de réaliser des constructions très audacieuses, comme celles de Eero Saarinen, dont la plasticité est comparable à celle des projets de Taillibert : voir le terminal TWA, aéroport international John-F.-Kennedy (New York, 1956-1962).

7. Au début des années 1970, c'est la Ville de Montréal qui est le maître d'ouvrage du projet. Il faut attendre l'adoption du projet de loi 81 constituant la Régie des installations olympiques, le 20 novembre 1975, pour que le gouvernement du Québec en devienne le propriétaire. Hormis le Biodôme, offert à la Ville de Montréal pour son 350e anniversaire, le complexe olympique n'a jusqu'à ce jour pas été rétrocédé à la Ville.

8. Le concept de base de Taillibert est celui d'un stade de baseball, comme il le mentionne dans son ouvrage Construire l'avenir, Paris, Presses de la Cité, 1977, p. 50 : « L'objectif qui m'était fixé était de construire un stade de baseball – sport populaire qui permettait de rentabiliser à terme les installations – qui puisse pendant quinze jours abriter les épreuves des Jeux, puis servir ultérieurement aux Montréalais. » En page 60, il ajoute : « Les surfaces de jeux – baseball, football américain, soccer, boxe – déterminaient la visibilité des spectateurs; d'où la définition générale des structures à grande portée. »

9. Comme l'écrivent Taillibert et Emery, il était prévu que le mât contiendrait plusieurs espaces fonctionnels. Voir Roger Taillibert, op. cit., p. 62 : « Au sommet, un restaurant panoramique, avec accès par ascenseur à vision globale »; et Marc Emery, Roger Taillibert, architecte, Montréal, Hurtubise HMH, 1976, p. 43-44 : « Le mât est un exemple audacieux et original d'architecture oblique; son sommet, haut de 168 mètres, est de 65 mètres en porte-à-faux par rapport à sa base. Tous ces éléments sont préfabriqués et assemblés niveau par niveau. [...] Ce mât contient 18 niveaux dans lesquels se répartiront diverses salles techniques et salles de sport qui seront desservies par un funiculaire et deux ascenseurs. Dans le pied du mât, se développant de part et d'autre de sa base, sont implantés les 10 000 mètres du centre de natation. »

10. Un voussoir, ou claveau, est une composante de l'architecture traditionnelle qui était taillée dans la pierre et servait à construire une voûte ou un arc.

11. On n'avait que trois ans pour réaliser des installations olympiques qui normalement en auraient demandé cinq.

12. Cette compagnie est la seule à avoir soumissionné et son usine a été créée de toutes pièces pour le chantier olympique.

13. Le traitement spécial accordé aux installations olympiques, puisque le Stade et ses bâtiments annexes sont les seuls édifices publics à avoir fait l'objet d'une hypothèque en propre, fait en sorte que ceux-ci sont maintenant payés en totalité. Ce qui n'est pas le cas de tant d'autres bâtiments publics dont les coûts ont été imputés aux dépenses consolidées des paliers municipaux, provinciaux et fédéraux, et qui font donc encore partie de la dette publique globale des Québécois.

14. Bien que les premières tentatives pour terminer le mât datent de juin 1979.

15. Le plan extérieur du Stade est respecté, mais les plans intérieurs ne sont pas réalisés intégralement, ni la structure du mât, qui est construite partiellement en acier au lieu du béton prévu.

16. Depuis 1977, « l'espace central [du Stade] comprenant les gradins » est ouvert en moyenne 193 jours par année, ce qui permet à la RIO de générer des revenus appréciables totalisant plus de vingt millions de dollars chaque année. Le Stade génère aussi des retombées économiques liées directement aux événements qui y sont organisés, ainsi qu'au tourisme national et international.

17. La salle principale peut accueillir plus de 60 000 personnes.

18. Des salons tels le Salon international de l'automobile, le Salon de la moto, le Salon international de la jeunesse, le Salon des véhicules récréatifs et le Salon Chalets et maisons de campagne.

19. Sondage Léger Marketing effectué en mars 2009 auprès de 1500 répondants au Québec.

20. Voir l'annexe « L'architecture de Taillibert, sa genèse, son évolution » pour en apprendre davantage sur le travail de ce grand architecte.

21. Comme l'a si bien dit Jean Drapeau au journaliste de La Presse en 1986 : « Le stade durera et la qualité de l'œuvre fera sa démonstration. » En 1985, le ministre du Tourisme, Marcel Léger, en visionnaire, disait déjà que le Stade pourrait devenir pour Montréal ce que la tour Eiffel est à Paris.

 

Bibliographie

Ouvrages spécialisés sur les constructions

Emery, Marc, Roger Taillibert, architecte / RogerTaillibert, Architect, Montréal, Hurtubise HMH, 1976, 79 p.

Emery, Marc, et René Huyghe, Œuvres récentes de Roger Taillibert, Paris, Métropolis, 1977, 119 p.

Morin, Guy R., La cathédrale inachevée, Montréal, XYZ éditeur, 1997, 379 p.

Nora, Pierre, Les lieux de mémoire, t. III : Les France, Paris, Gallimard, 1992.

Orlandini, Alain, Roger Taillibert : réalisations, Paris, Somogy Éditions d'art, 2005, 211 p.

Ragon, Michel, Histoire mondiale de l'architecture et de l'urbanisme modernes, Paris, Casterman, 1978, t. II et III.

Taillibert, Roger, Construire l'avenir, Paris, Presses de la Cité, 1977, 215 p.

 

Monographie sur les événements

Caza, Daniel, Les Expos : du parc Jarry au Stade olympique, Montréal, Éditions de l'Homme, 1996.

 

Articles spécialisés

Noppen, Luc, « Le Stade olympique », Continuité, no 53, printemps 1992, p. 31-34.

Parent, Claude, « Interview Taillibert », Architecture française, no 401, février 1977-I, p. 37-48.

« Stade du parc des Princes », Architecture d'aujourd'hui, no 164, octobre-novembre 1972, p. 90-98.

T. A. A. A., « Architecture mobile », Technique et architecture, no 304, mai-juin 1975, p. 33-37.

Taillibert, Roger, « Architecture textile », Technique et architecture, no 304, mai-juin 1975, p. 32.

 

Sources Internet

Archives de Radio-Canada, divers extraits d'émissions télévisuelles [en ligne], http://archives.radio-canada.ca/recherche?q=roger+taillibert&RTy=0&RC=1&RP=1&RD=1&RA=0&th=1&x=14&y=15, consulté le 15 janvier 2010.

Québec, Régie des installations olympiques, « Historique », La Régie des installations olympiques [en ligne], 2004, http://www.rio.gouv.qc.ca/pub/parc/historique_intro.jsp, consulté le 30 décembre 2009.

Taillibert, Roger, Agence d'architecture Roger Taillibert [en ligne], 2006, http://www.agencetaillibert.com, consulté le 15 janvier 2010.

Ville de Montréal, Jeux de la XXIe Olympiade de Montréal 1976 [en ligne], http://ville.montreal.qc.ca/portal/page?_pageid=3056,3513952&_dad=portal&_schema=PORTAL, consulté le 30 décembre 2009.

 

Dossiers d'archives

Archives de la Ville de Montréal, dossier de presse « Stade olympique », 1971-1990.

Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Centre d'archives de Montréal, Fonds Comité organisateur des Jeux olympiques de 1976, E46, 1955-1977; Fonds Régie des installations olympiques, E241, 1975-2000.

Dossier de presse tiré de la base de données Eureka : CEDROM-Sni inc., Eureka.cc [en ligne : accès restreint], www.biblio.eureka.cc/WebPages/Search/Result.aspx, consulté en janvier et février 2010.

 

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