Logo de la Communauté métisse du Domaine du Roy et de la Seigneurie de Mingan

par Pelta, Anne

Le logo de la Communauté métisse du Domaine du Roy et de la Seigneurie de Mingan

En 2005, au moment où la Communauté métisse du Domaine du Roi et de la Seigneurie de Mingan émerge en tant qu’organisation politique au Québec, elle se crée un logo afin de signaler sa présence et de se rendre visible comme communauté métisse contemporaine. La Communauté réunit des individus s’identifiant comme Métis et cherchant à se faire reconnaître comme tels devant les tribunaux, alors qu’aucune communauté métisse n’est officiellement reconnue au Québec en 2010. Cette reconnaissance implique l’octroie de droits protégeant leurs activités de subsistance telles que la chasse, la pêche et la cueillette.  Les composants de ce logo représentent différents référents culturels illustrant une riche histoire, en même temps que des emprunts et des réappropriations que les membres de la Communauté mettent en valeur dans leurs stratégies politiques de reconnaissance. Ce logo est devenu l’emblème de la Communauté et témoigne de la façon dont les Métis cherchent à s’ancrer, comme groupe distinct, dans l’héritage de l’Amérique française.

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Présentation du logo de la Communauté

Les cinq zones de la CMDRSM

Ce logo se compose de cinq éléments qui constituent des symboles connus et utilisés par d’autres groupes au Canada : le castor, la ceinture fléchée, le cercle rouge, le drapeau métis et la fleur de lys. Certains sont associés plus spécifiquement à la présence française en Amérique du nord, comme la fleur de lys qui symbolise la monarchie française, et le castor, qui rappelle la traite des fourrures. La ceinture fléchée est quant à elle un symbole vestimentaire fortement associé aux Canadiens français et aux Métis (NOTE 1). L’usage du drapeau métis, avec le signe de l’infini en blanc sur fond bleu, fait référence à la nation métisse originaire de la région de la rivière Rouge (Winnipeg), aujourd’hui disséminée à travers les Prairies canadiennes. Enfin, le cercle est un symbole très répandu dans les cultures autochtones, qui représente ici le territoire et dont la couleur rouge marque « l’agressivité positive de la Communauté, des membres de la Communauté et des Métis à travers l’histoire du Québec », « c’est le sang, la vigueur » (NOTE 2). On constate que le castor est maintenu à l’intérieur du territoire, ce qui, pour le principal concepteur du logo, renvoie à une volonté de gérer intelligemment les ressources. Ceci est en outre une préoccupation importante pour l’ensemble des membres de la Communauté métisse du Domaine du Roi et de la Seigneurie de Mingan. Ces symboles, par ailleurs très connus, sont ré-agencés ici dans une composition originale qui reflète les stratégies identitaires mises en place par la Communauté.

Cette Communauté émerge en tant qu’association politique en janvier 2005. Elle compte actuellement un peu plus de 4500 membres, dispersés sur un territoire très vaste allant de Chibougamau jusqu’à Blanc Sablon sur la Basse-Côte-Nord. Elle est actuellement devant les tribunaux pour obtenir la reconnaissance juridique du statut de Métis de ses membres par le gouvernement du Québec. Elle réclame des droits de subsistance (chasse, pêche et cueillette) sur un territoire ancestral, selon les critères établis par la cour Suprême du Canada dans l’arrêt Powley en 2003. Ces droits sont de nature communautaire et non individuelle, et pourraient être accordés à une communauté métisse contemporaine, héritière d’une communauté métisse historique, dont l’ethnogénèse précèderait le contrôle effectif par les autorités coloniales du territoire revendiqué par cette communauté. Il est ainsi absolument primordial d’ancrer l’existence de la Communauté métisse du Domaine du Roy et de la Seigneurie Mingan (CMDRSM) dans l’histoire. Le logo témoigne de cette préoccupation.

En insistant sur ses liens historiques avec la monarchie française et sur son rôle dans la traite des fourrures, la CMDRSM affirme la place qu’elle occupe dans l’histoire de l’Amérique française. Bien que l’organisation politique de la Communauté soit encore récente (2005), elle veut montrer que les individus qui revendiquent aujourd’hui ce statut de Métis sont les héritiers d’une longue présence historique sur le territoire du Québec.

Assemblée annuelle en 2009

Les éléments du logo témoignent en outre d’une vision pan-canadienne dans la lutte des Métis pour leur reconnaissance, par l’emprunt d’éléments déjà utilisés par d’autres groupes métis et autochtones. Cette vision de leur lutte s’accompagne en outre d’actions concrètes et s’est matérialisée en juin 2009 lors de la réunion annuelle de l’Assemblée des Communautés métisses historiques du Québec, crée à l’initiative de la CMDRSM en 2008 et qui a réuni une dizaine de communautés métisses. À cette occasion, M. Gabriel Dufault, président de l’Union métisse Saint-Joseph du Manitoba, fondée en 1887 à Saint-Vital, était également présent. Cette Association a toujours été particulièrement active dans le domaine de la protection des droits des Métis francophones au Manitoba (NOTE 3). Elle s’est montrée sensible à la lutte des Métis du Québec. C’est pourquoi la CMDRSM et l’Union Saint-Joseph du Manitoba constituent l’une pour l’autre des appuis politiques importants.

La valeur patrimoniale du logo de la CMDRSM tient au fait qu’il a été adopté par l’ensemble de ses membres, dans chacune de ses zones, et par chacun des ses clans, et qu’il est arboré à l’extérieur de la Communauté lors de négociations et de discussions avec les gouvernements, ou encore lors de rencontres avec d’autres groupes métis du Québec et de l’ouest canadien.

 

Le logo et les enjeux liés à la visibilité de la Communauté

Le bureau du Clan Me?tis Co?te Nord a? Sept-i?les

Ce logo est de création récente, mais il offre un exemple de mise en valeur de symboles connus et utilisés depuis longtemps par d’autres groupes dans un contexte politico-juridique bien particulier. En effet, ce logo est devenu le symbole d’une communauté métisse actuellement en lutte juridique pour la reconnaissance légale de son identité et de ses droits.

L’origine de cette lutte remonte aux négociations entreprises par le gouvernement avec les Innus du Lac Saint-Jean et de la Côte-Nord en l’an 2000, négociations mieux connues sous l’appellation d’Approche Commune. Celles-ci devaient mener à la signature d’un accord – ou d’un traité – historique. Cependant, le gouvernement n’avait prévu consulter aucun autre groupe autochtone. Les communautés revendiquant à l’heure actuelle le statut de Métis ont mal perçu ce geste (NOTE 4). La réaction de la CMDRSM qui a été relayée dans la presse (NOTE 5) portait moins contre l’Approche commune en soi que contre le fait qu’aucune consultation n’ait été prévue avec leur groupe.

Réunion à Sherbrooke, en mai 2009

L’arrêt Powley a également joué un rôle crucial dans l’émergence de la CMDRSM  puisque pour la première fois, en 2003, les cours établirent des critères permettant d’identifier qui pouvait être reconnu comme Métis selon l’article 35 de la Constitution canadienne (NOTE 6). Parmi ces critères, la capacité de démontrer un lien entre une communauté historique et une communauté contemporaine, à laquelle les membres s’identifient, est très importante. La CMDRSM a donc décidé de lutter devant les tribunaux sur cette base. La création du logo poursuit également cet  objectif d’ancrer la CMDRSM dans l’histoire, tout en illustrant son identité.

Au Québec, comme aucune communauté métisse n’est officiellement reconnue à l’heure actuelle, la CMDRSM se doit d’adopter une position revendicatrice dès son émergence en 2005. Elle cherche donc à se rendre visible et ses membres fondateurs songent immédiatement à se doter d’un logo. Le choix d’utiliser des éléments connus est alors guidé par un souci d’efficacité, comme  l’explique un des membres fondateurs: « J’voulais une empreinte facile à retenir, aussitôt qu’on allait le voir on allait savoir que c’est le logo de la Communauté métisse du Domaine du Roy et de la Seigneurie de Mingan » (NOTE 7). Le logo permet également d’unifier des membres de plus en plus dispersés dans la province autour d’un même emblème et des mêmes symboles.

 

Les usages du logo

Casquette arborant le logo de la CMDRSM

Ce logo qui permet à la CMDRSM de s’identifier et de signaler sa présence, est aussi utilisé comme drapeau. Ce dernier est présent dans tous les événements visant à fédérer ou à célébrer la cohésion des membres de la Communauté, tels que : l’assemblée générale annuelle, le Pow-Wow annuel, ou encore l’Assemblée des communautés métisses du Québec. Le logo est également présent sur les badges qui identifient les membres lors de ces événements. Il est aussi arboré sur des casquettes, tasses et autocollants que les membres peuvent se procurer. On le retrouve même sur les écriteaux accrochés aux portes des camps de chasse considérés comme « illégaux » par le gouvernement du Québec (NOTE 8). Il permet alors aux membres de signaler leur présence dans le bois et leur affiliation à la CMDRSM. Enfin, le logo apparaît en en-tête de tous les documents envoyés aux instances gouvernementales ou aux municipalités comprises dans le territoire revendiqué. D’ailleurs, à ce jour, plus d’une trentaine de municipalités ont reconnu officiellement la présence de Métis sur leur territoire (NOTE 9).

La création de ce logo a coïncidé avec le réveil identitaire d’individus revendiquant un statut de Métis, ainsi que la reconnaissance de pratiques ancestrales qui leur confèrent des droits autochtones de subsistance. Il  joue un grand rôle dans les efforts de la CMDRSM pour se rendre visible et pour unifier ses membres, pour se constituer en un groupe distinct mais héritier des interactions historiques entre Autochtones et non-Autochtones. Les cinq éléments présents sur le logo, déjà utilisés par différents groupes au Canada, tel que mentionné, sont agencés de façon unique sur ce logo afin de créer une image originale qui est devenue l’empreinte spécifique de la CMDRSM.



Anne Pelta
Doctorante en ethnologie
Département d’histoire, Université Laval

 

 

NOTES

1. On peut consulter à ce propos l’article portant sur la ceinture fléchée dans l'Encyclopédie du patrimoine culturel de l'Amérique française [en ligne], http://www.ameriquefrancaise.org/fr/article-184/Ceinture%20fléchée.

2. Entretien avec l’auteure, 2009.

3. Voir le site de l'Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba [en ligne], http://www.unionnationalemetisse.ca/.

4. Russel Bouchard, Le peuple métis de la Boréalie : un épiphénomène de civilisation, Chicoutimi, R. Bouchard, 2006, p. 7.

5. Voir, par exemple, Roger Blackburn, « Les Métis de la CMDRSM entament une troisième poursuite contre les gouvernements et les Ilnutsh », Le Quotidien, 26 octobre 2006; et Paul Pygeon, « Les Métis concentrent leur démarche juridique », Plein Jour de Baie-Comeau, 18 septembre 2008. Voir aussi Denis Lord, « Les Métis de l'Est : ils sont 291 000 sans territoire propre », Le Devoir, 7 juin 2008.

6. L’article 35 de la Constitution stipule que « (1) Les droits existants – ancestraux ou issus de traités – des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés » et que « (2) Dans la présente loi, “peuples autochtones du Canada” s'entend notamment des Indiens, des Inuit et des Métis du Canada » (Canada, Loi constitutionnelle de 1982, partie II : Droits des peuples autochtones du Canada, dans Canada, Ministère de la Justice, « Loi constitutionnelle de 1982 », Lois constitutionnelles de 1867 à 1982 [en ligne], http://laws.justice.gc.ca/fra/Const/page-12.html).

7. Entretien avec l’auteure, 2009.

8. Plusieurs des membres de la CMDRSM sont accusés d’occuper illégalement les terres de la Couronne en y ayant construit des camps de chasse. Les intéressés s’en défendent en déclarant que la destruction de ces camps constituerait un obstacle à l’exercice de leurs droits en tant que Métis.

9. Pour une liste détaillée, voir Communauté métisse du Domaine du Roy et de la Seigneurie de Mingan, Nouvelles [en ligne], http://www.metisroymingan.ca/nouvelles.htm

 

BIBLIOGRAPHIE

Bouchard, Russel, Le peuple métis de la Boréalie : un épiphénomène de civilisation, Chicoutimi, R. Bouchard, 2006, 173 p.

Chartrand, Paul L. A. H. (dir.), Who Are Canada’s Aboriginal Peoples? Recognition, Definition and Jurisdiction, Saskatoon, Purich Publishing, 2003, 320 p.

Communauté métisse du Domaine du Roy et de la Seigneurie de Mingan, site de la Communauté métisse du Domaine du Roy et de la Seigneurie de Mingan [en ligne], http://www.metisroymingan.ca/, consulté le 1er mars 2010.

Rousseau, Louis-Pascal, et Étienne Rivard (dir.), Métissitude, numéro thématique de Recherches amérindiennes au Québec, vol. XXXVII, nos 2-3, 2007, 175 p.

Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba, « Histoire de l’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba », Histoire [en ligne], http://www.unionnationalemetisse.ca/histoire.html, consulté le 1er mars 2010.

 

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