Québec, d'hier à aujourd'hui

Centre Morrin à Québec

par Donovan, Patrick

Centre Morrin en 2009

Le Centre Morrin est un centre culturel de langue anglaise situé à Québec. Son histoire illustre les changements survenus dans les relations entre les francophones et les anglophones au cours des deux derniers siècles. L’édifice, de style néo-palladien, est un lieu historique national du Canada qui a déjà abrité une prison, un collège presbytérien et la plus ancienne société savante du pays. Au cours des dernières décennies, le lieu a pris une importance symbolique pour plusieurs citoyens de la minorité anglophone de la région, qui ont milité en faveur de sa préservation et de son développement.

 

Article available in English : Morrin Centre

Description du site

Morrin Centre vu du ciel

Le Centre Morrin est situé au 44, chaussée des Écossais (anciennement rue Saint-Stanislas), au cœur du quartier historique du Vieux-Québec. C’est un bâtiment de style néo-palladien de quatre étages, conçu sur un plan rectangulaire et construit sur un faible escarpement.

L’importance du site repose sur ses valeurs architecturales, historiques et symboliques. Sur le plan architectural, l’édifice présente un des premiers exemples du classicisme anglais à Québec, incorporant également certaines influences françaises. Il illustre le travail des architectes François Baillairgé et Joseph-Ferdinand Peachy. Son intérêt historique réside dans son passé de prison, de collège et de bibliothèque de société savante. Plus récemment, le lieu a pris une valeur symbolique pour une part importante de la minorité anglophone de la région.

 

Redoute Royale et prison commune

Dessin architectural de la Redoute Royale

Le Centre Morrin se trouve sur l’ancien emplacement de la Redoute Royale, une structure défensive datant de 1712 qui a ensuite été utilisée comme prison. Vers la fin du XVIIIe siècle, le bâtiment était en si mauvaise condition que les membres du Grand Jury de Québec ont éventuellement réclamé sa démolition et son remplacement par une nouvelle prison.

Le nouvel édifice a été conçu par l’architecte québécois François Baillargé et érigé entre 1808 et 1813. C’est un exemple parfait de l’architecture néo-palladienne, un style prisé pour les monuments publics au Canada entre 1800 et 1820 . Celui-ci se caractérise par une façade symétrique, un grand fronton et une partie centrale en saillie. Bien qu’on reconnaisse là un des plus anciens exemples du classicisme anglais dans l’architecture de Québec, Baillargé y a néanmoins ajouté une touche française en utilisant un schéma de proportions développé par l’architecte Philibert de l’Orme.

Aquarelle de la prison commune vers 1830

L’intérieur de la prison a été le premier au Canada à refléter les idées du réformateur des prisons John Howard. Contrairement aux anciennes geôles abritant de grandes cellules communes, la nouvelle maison d’arrêt offrait une série de cellules disposées autour de petites pièces intérieures, ce qui permettait de séparer les prisonniers selon la gravité de leurs crimes. Howard proposait la réhabilitation par le travail, remplaçant les vieilles méthodes d’incarcération reposant seulement sur l’aspect punitif.

Plusieurs personnages célèbres ont été incarcérés à la prison de Québec. Philippe Aubert de Gaspé, auteur du livre Les Anciens Canadiens, y a été emprisonné pour dettes. La maison d’arrêt a aussi été utilisée durant la Rébellion des Patriotes de 1837-38, alors que beaucoup de prisonniers étaient accusés de sédition, notamment le journaliste Étienne Parent.

À peine 50 ans après sa construction, la prison commune de Québec se trouvait surpeuplée; les réformes d’Howard ne pouvaient être appliquées correctement. Une nouvelle geôle a donc été édifiée sur les Plaines d’Abraham et les prisonniers y ont été transférés en 1867.

 

Transformation de la prison commune

Bloc cellulaire de l'ancienne prison commune, 2004

L’édifice existant a été transformé par l’architecte Joseph-Ferdinand Peachy dans le but d’abriter un collège et une bibliothèque. Quelques changements mineurs ont été faits à la façade, en particulier le retrait du balcon de fer depuis lequel on pendait les condamnés. L’intérieur a été entièrement remanié. Les séparations entre les cellules et les plafonds ont été supprimées afin de dégager d’imposants espaces, dont deux grandes pièces aux extrémités de chaque aile. Des balcons décoratifs supportés par des colonnes de fer forgé suggèrent une ambiance fin XIXe qui contraste avec la sobriété du classicisme de Baillargé. Étrangement, deux cellules ont été préservées au rez-de-chaussée de l’aile nord. Le Morrin College et la Literary and Historical Society of Quebec (la Société littéraire et historique de Québec) ont emménagé dans leurs nouveaux quartiers dès que les travaux ont été achevés, en juin 1868.

 

Morrin College 

Portrait du Dr. Joseph Morrin par Théophile Hamel

Le Morrin College (1862-1902) a été la première institution d’enseignement supérieur de langue anglaise à Québec. Le collège a été fondé à l’initiative du docteur Joseph Morrin, premier maire élu de la ville de Québec et médecin très en vue. Avant de déménager dans l’ancienne prison, l’institution occupait des locaux loués au temple maçonnique.

Bien qu’ouvert à tous, le Morrin College était géré par des Écossais presbytériens et attirait principalement les protestants de langue anglaise. Peu de catholiques le fréquentaient. John Cook, fondateur du collège, a été son directeur pendant 31 de ses 40 ans d’existence. Le révérend Cook officiait à l’église Saint-Andrew, de l’autre côté de la rue. Dans son discours inaugural, il a déclaré que le Morrin College remplirait une niche que l’Université Laval ne pourrait combler : « étant exclusivement catholique, et son instruction étant donnée presque entièrement en français, [l’Université Laval] ne pourrait jamais être très utile à la jeunesse protestante anglophone de la ville ». Une faculté de théologie, faisant partie du collège, a formé 24 ministres du culte presbytérien. Certains ont avancé que le collège était un rempart protégeant la population protestante de Québec contre l’influence de la majorité.

Étudiants au Morrin College vers 1891

L’école offrait cependant plus qu’une éducation religieuse. Une faculté des arts et une faculté de droit – dont l’existence a été de courte durée – attiraient davantage d’étudiants que la théologie. Le Morrin College a été affilié à l’Université McGill de 1863 à 1900. 46 étudiants y ont reçu un diplôme de McGill. L’école a aussi été pionnière en matière d’éducation des femmes, accordant le premier baccalauréat ès arts à une femme de la région en 1889. Quelques personnalités qui ont plus tard poursuivi de brillantes carrières ont enseigné au collège, notamment le Docteur Edwin Hatch et James Douglas Jr.

Le Morrin College a connu des difficultés dès le début. En plus de problèmes financiers récurrents, le déclin de la population anglo-protestante de Québec, déjà relativement peu nombreuse, compromettait sérieusement l’existence d’une institution de ce type. L’école a cessé ses activités en 1902, mais son conseil d’administration est resté propriétaire de l’édifice jusqu’en 1987. L’organisme existe encore aujourd’hui et administre toujours un fonds voué à l’éducation.

 

Literary and Historical Society of Quebec (La Société littéraire et historique de Québec)

Sceau de la Société littéraire et historique du Québec

Fondée par Lord Dalhousie en 1824, la Literary and Historical Society of Quebec a été la première véritable société savante du pays. Après plusieurs déménagements et deux incendies, la Société s’est installée dans l’aile nord du Morrin College en 1868.

À l'origine, les orientations et objectifs de la Société étaient variés et d’envergure nationale. La Société collectionnait des documents historiques sur le Canada et rééditait beaucoup de manuscrits rares. La recherche dans tous les domaines était activement encouragée. Des travaux d’érudition étaient publiés régulièrement dans la collection Transactions, certains apportant une contribution importante à l’avancée des connaissances. La Société a aussi dirigé un des premiers musées d’histoire naturelle au pays. Bien que les membres anglophones aient toujours été plus nombreux, beaucoup d’intellectuels francophones de renommée étaient affiliés à la Société.

La Société a joué un rôle dans la fondation d’institutions publiques qui endosseront certains des mandats qu’elle avait initialement pris en charge. Elle a été l’instigatrice des Archives publiques du Canada (aujourd’hui Bibliothèque et Archives Canada). Elle a aussi milité pour la conservation du patrimoine bâti et naturel du Canada, contribuant à sauver les Plaines d’Abraham des promoteurs immobiliers et faisant pression pour que l’on crée la Commission des champs de bataille nationaux, ainsi que la Commission des lieux et monuments historiques du Canada. L’engagement de la Société dans ces diverses causes est la principale raison pour laquelle l’ensemble de ses activités a été considéré comme un évènement d’importance historique nationale par le gouvernement fédéral en 1984.

Bibliothèque de la Société littéraire et historique du Québec, 2008

Au XXe siècle, les activités de la Société se sont graduellement centrées sur les services de sa bibliothèque de prêt. Encore aujourd’hui, cette bibliothèque communautaire propose une collection de livres d’intérêt général en anglais, complémentant ainsi les collections en français du Réseau des bibliothèques de la Ville de Québec. Récemment, la Société a redéfini sa mission, devenant le principal promoteur d’un projet de centre culturel, le Centre Morrin.

De nombreux artéfacts et objets acquis par la Société au cours des années confèrent une valeur patrimoniale supplémentaire à la propriété. La collection comprend entre autres une statue de bois peint datant du XVIIIe siècle représentant le général James Wolfe. Cette sculpture est installée bien en évidence dans la bibliothèque. Un bureau ayant appartenu au politicien George-Étienne Cartier et à l’historien Benjamin Sulte est maintenant utilisé comme comptoir de prêt.

Du patrimoine immobilier à l’héritage culturel

Hall d'entrée avec portraits des anciens présidents de la Société littéraire et historique du Québec, 2008

Le changement de vocation de l’édifice s’est fait graduellement. Dans les années 1960 et 1970, les projets de conservation, tels ceux entrepris à la Place Royale dans la Basse-Ville de Québec, cherchaient à remplacer les constructions datant d’après la Conquête par d’autres rappelant plutôt l’époque de la Nouvelle-France. Ce n’est qu’après la démolition de la maison Van Horne à Montréal, démolition contestée qui sonna l’alarme, que la notion de patrimoine au Québec en est venue à englober l’architecture du XIXe siècle.

L’émancipation culturelle et économique des francophones a aussi joué en défaveur de la création d’un centre culturel anglophone. Certains ont profité de l’effervescence politique pour poser des gestes extrêmes, comme cet étudiant argentin qui a mis le feu à la statue de Wolfe dans la bibliothèque en 1966, en signe de solidarité avec les nationalistes radicaux québécois et comme marque de protestation contre la présence des Britanniques dans les îles Malouines. Ce contexte a amené la Société – et certains disent une partie de la population anglophone de la ville – à se replier sur elle-même. Pendant plusieurs années, aucune affiche ne se trouva sur la façade de la bibliothèque.

Lecture publique de George-Elliott Clarke à la bibliothèque de la Société littéraire et historique du Québec, 2007

Dans les années 1970, l’édifice a été mis en vente, entraînant près de deux décennies d’incertitude sur son avenir. Certains plans architecturaux prévoyaient la division en condominiums. D’autres propositions se montraient plus respectueuses de la valeur patrimoniale du site, comme le plan de Luc Noppen proposant la création d’une coopérative muséale en 1981. Quoi qu’il en soit, le conseil d’administration du Morrin College n’était pas satisfait des offres des acheteurs potentiels et s’inquiétait de l’avenir de la bibliothèque.

Les années 1970 ont vu se développer une nouvelle conscience chez les anglophones du Québec, qui cherchaient à s’adapter aux nouvelles réalités. L’exode massif d’anglophones à l’éxtérieur de la province ont progressivement réuni les groupes de langue anglaise ayant choisi de rester; les frontières séparant les identifications ethno-religieuses (Irlandais-catholiques, protestants) ont cèdent devant une plus large identification « anglophone ». De nouveaux groupes d’intérêt, comme l’AQEM (Anglo Quebec en Mutation) ont été formés. L’AQEM s’est intéressé à l’édifice menacé, songeant à l’acheter, et a demandé l’intervention du gouvernement provincial. Ce combat a été repris, dans les années 1980, par le collectif VEQ (Voice of English-speaking Quebec), représentant la communauté anglophone de Québec.

Comme c’est souvent le cas dans le domaine du patrimoine, la menace de la vente de l’édifice a poussé le gouvernement à l’action.
Le bâtiment a été inscrit au registre des biens culturels par le gouvernement du Québec le 23 janvier 1981. Le 13 novembre de la même année, il a été désigné lieu historique national par le gouvernement fédéral. La valeur architecturale de l’édifice ainsi que son ancienne vocation de prison sont les principaux motifs de désignation.

En 1987, le bâtiment a malgré tout été vendu à des promoteurs apparentés à Wilfred Rourke, qui siégeait au conseil d’administration du Morrin College. La vente a suscité les critiques de groupes communautaires, qui se sont exprimés lors d’une commission parlementaire. En 1989, la Ville de Québec s’est finalement déclarée intéressée à acheter l’édifice afin d’assurer sa préservation. La controverse a continué alors que les promoteurs ont revendu le bâtiment à plus du double du prix payé deux ans plus tôt.

 

Restauration et revitalisation

Groupes bretons et écossais devant le Morrin Centre au Festival Celtique de Québec, 2007

Au cours de la décennie 1990, une transformation radicale de l’attitude vis-à-vis des anglophones s’est opérée, les minorités de langue anglaise s’intégrant désormais à un Québec voulu pluraliste. Le maire de Québec, Jean-Paul L’Allier, s’est fait le champion de la cause du centre culturel anglophone. De concert avec les organisations anglophones locales, il a travaillé au développement d’un projet qui mettrait en lumière la contribution passée et de la vitalité présente des populations de langue anglaise. La Ville a également financé la restauration de l’enveloppe extérieure de l’édifice entre 1992 et 1993.

Au tournant du nouveau millénaire, la Literary and Historical Society of Quebec a pris le projet en main. La Ville a transféré la propriété de l’édifice à la Société en 2004 et la restauration de l’intérieur a débuté. Le Centre Morrin a été officiellement inauguré en 2006. Ce centre culturel est un témoin de la présence et du dynamisme des communautés de langue anglaise vivant à Québec.



Patrick Donovan

Candidat au doctorat, Université Laval
Ancien directeur exécutif, Centre Morrin

 

 

NOTES

1. Nathalie Clerk et Marc de Caraffe, L’ancienne prison de Québec (« Morrin College »), 44, rue Saint-Stanislas, Québec, Québec, Ottawa, Commission des lieux et monuments historiques du Canada, 1989, p. 15-17.

2. Ibid., p. 11.

3. Voir Laura Isobel Bancroft, Morrin College : An Historical and Sociological Study, essai de baccalauréat, Université Laval, Québec, 1950, 57 f.

4. Cette partie se base sur le synopsis de Patrick Donovan, Morrin College, 1862-1902, projet de recherche supervisé en vue d’une maîtrise ès arts, Université de Montréal, 2002.

5. Marsha Hay Snyder, The Literary and Historical Society of Quebec, Ottawa, Commission des lieux et monuments historiques du Canada, 1984, p. 347-364.

6. Michel Truchon, « Un compromis avec les séparatistes du Québec », Le Soleil, 29 mai 1966.

7. Voir Louisa Blair, The Anglos : The Hidden Face of Quebec City, Québec, Éditions Sylvain Harvey et Commission de la capitale nationale du Québec, 2005, 2 vol.

8. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Registre des procès-verbaux de la Literary and Historical Society of Quebec; témoignage oral d’un ancien membre du conseil, David F. Blair, transmis à Louisa Blair, mars 2010.

9. Québec, Assemblée nationale, Commission permanente de l'éducation, « Auditions et étude détaillée du projet de loi 254 – Loi modifiant l’Acte pour incorporer le Collège Morrin, à Québec », Journal des débats : commissions parlementaires, no 59, 21 juin 1989.

10. Témoignage oral d’un ancien membre du conseil, David F. Blair, transmis à Louisa Blair, mars 2010.

 

BIBLIOGRAPHIE

Bancroft, Laura Isobel, Morrin College : An Historical and Sociological Study, essai de baccalauréat, Université Laval, Québec, 1950, 57 f.

Bernatchez, Ginette, La Société littéraire et historique de Québec, 1824-1890, mémoire de maîtrise, Université Laval, Québec, 1979, 160 f.

Blair, Louisa, The Anglos : The Hidden Face of Quebec, Québec, Éditions Sylvain Harvey et Commission de la capitale nationale du Québec, 2005, 2 vol.

Clerk, Nathalie, et Marc de Caraffe, L’ancienne prison de Québec (« Morrin College »), 44, rue Saint-Stanislas, Québec, Québec, Ottawa, Commission des lieux et monuments historiques du Canada, 1989, p. 9-26.

Donovan, Patrick, Morrin College, 1862-1902, projet de recherche supervisé en vue d’une maîtrise ès arts, Université de Montréal, 2002.

Fyson, Donald, Magistrates, Police and People : Everyday Criminal Justice in Quebec and Lower Canada, Toronto, University of Toronto Press, 2006, 467 p.

Groupe de recherche en art du Québec, Dossier d’inventaire architectural de Morrin College ou ancienne prison de Québec, 44, rue Saint-Stanislas, Québec, Québec, Ministère des Affaires culturelles, Direction générale du patrimoine, 1978, 3 vol.

Literary and Historical Society of Quebec, Early Publications of the Literary and Historical Society of Quebec : Virtual Library, 1824-1924 [en ligne], http://transactions.morrin.org, consulté le 4 mars 2010.

Parcs Canada, Énoncé d’intégrité commémorative : lieu historique national du Canada du Morrin College/Ancienne prison de Québec, avant-projet non signé, Québec, Parcs Canada, Unité de gestion de Québec, 2006.

Snyder, Marsha Hay, The Literary and Historical Society of Quebec, Ottawa, Commission des lieux et monuments historiques du Canada, 1984, p. 347-364.


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