Habitation de Port-Royal en Acadie

par LeBlanc, Ronnie-Gilles

Vue extérieure de l'habitation de Port-Royal reconstituée

Situé non loin de la petite ville d’Annapolis Royal en Nouvelle-Écosse, le lieu historique national du Canada de Port-Royal a pour but de redonner vie à la colonie française fondée en 1605 par Pierre Dugua de Mons et ses compagnons, dont l’illustre Samuel de Champlain et le non moins célèbre Jean de Biencourt de Poutrincourt et de Saint-Just. À l’approche de ce lieu historique national du Canada, le visiteur peut facilement se méprendre sur l’authenticité de ce complexe fortifié du début du XVIIe siècle, sis sur le bord de la route 1 qui longe le bassin d’Annapolis. En réalité, cet ensemble de bâtiments caractéristiques d’une autre époque n’est qu’une reconstitution historique, la première de son genre au Canada, dont l’origine remonte à la fin des années 1930.

 

Article available in English : The Habitation at Port-Royal, Acadia

Un site riche d’histoire

Entrée de l'habitation de Port-Royal

L’habitation de Port-Royal fait partie du lieu historique national du Canada qui s’étend sur une superficie de 19 hectares. Le site fut cédé en partie par la province de la Nouvelle-Écosse au gouvernement du Canada en 1938, en vue d’y ériger une réplique de l’habitation de la colonie de Port-Royal sur le site présumé de celle-ci, suivant le plan dessiné par Samuel de Champlain quelque trois cents ans plus tôt. Sise sur les berges du bassin d’Annapolis, juste en face de l’île aux Chèvres (Goat Island), l’habitation, agrémentée d’un jardin potager, est entourée de forêts qui s’étendent au nord jusqu’aux hauteurs de North Mountain, qui longe la baie de Fundy. En 1923, soit quatre ans après sa création, la Commission des lieux et monuments historiques du Canada recommandait la commémoration de ce lieu historique au moyen d’une plaque. Or, des groupes de personnes passionnées par ce lieu voulurent en faire davantage : quinze ans plus tard, à la suite de leurs démarches, le gouvernement du Canada entreprenait la reconstitution de l’habitation qui fut achevée en 1939.

L’habitation de Port-Royal est donc une réplique d’un des plus anciens établissements européens sur le continent nord-américain. De 1605 à 1613, de nombreux colons français ont habité ce lieu où ils ont développé des liens très serrés avec la communauté des premières nations de cette région, les Mik’maw, une alliance qui allait durer un siècle et demi entre la France et celle-ci. C’est également à Port-Royal que la première pièce de théâtre a été jouée en Amérique du Nord, soit le Théâtre de Neptune écrit par Marc Lescarbot. L’effort de reconstitution de l’habitation de Port-Royal a été également une première dans les annales du Canada.

 

Les débuts de l’habitation de Port-Royal 

Abitasion [sic] ou habitation de Port-Royal, construite en 1605

Ce fut lors de leur voyage d’exploration de 1604, en vue de choisir un lieu propice pour une colonie, que de Mons et ses compagnons explorèrent le bassin que Champlain nomma Port-Royal. Frappé par la beauté du paysage et par le potentiel que présentait ce lieu pour l’établissement d’une colonie, Poutrincourt parvint à se faire concéder ce territoire par le sieur de Mons. L’été suivant, à proximité de ruisseaux, on érigea des bâtiments selon une disposition rectangulaire créant une cour intérieure, selon le principe des fermes fortifiées de l’époque. Le premier hiver à Port-Royal fut difficile, quoique seuls douze hivernants moururent du scorbut, un bilan plutôt positif en raison de la viande fraîche que leur amenaient leurs voisins mik’maks. L’hiver suivant fut encore moins meurtrier notamment grâce à l’Ordre de bon temps créé par Champlain : à tour de rôle, chacun des membres devait trouver du gibier et préparer un plantureux repas. À partir de 1605 et au cours des années qui suivirent, les colons français défrichèrent des terrains autour de l’habitation, de même que sur le site actuel d’Annapolis Royal où furent semés grains et légumes qui donnèrent de bonnes récoltes. Poutrincourt érigea même un moulin sur le ruisseau Allain actuel, afin d’y faire moudre le grain récolté.

 

 

Un lieu stratégique pour le développement de la région

Un canon à l'habitation de Port-Royal

Outre le sieur de Mons, Poutrincourt et Champlain, d’autres personnages bien connus dans les annales de la Nouvelle-France séjournèrent à Port-Royal, dont Marc Lescarbot, François Gravé du Pont et Louis Hébert, lequel sera ensuite l’un des premiers colons de Québec. Or, il convient de nommer également le chef amérindien de la nation mik’maw, Membertou. C’est grâce à son concours et à celui de son peuple que ces colons européens ont pu s’établir et survivre en sol nord-américain. De fait, les Français se devaient de développer de bons rapports avec les communautés amérindiennes. Lorsque les colons de Port-Royal furent rapatriés en France en 1607, on confia justement la garde de l’habitation à Membertou.

Poutrincourt, nommé lieutenant-gouverneur de l’Acadie et ayant reçu les privilèges de la traite des fourrures et des pêcheries à Port-Royal, recruta de nouveaux colons : parmi eux son propre fils Charles de Biencourt de Saint-Just, Claude Turgis de Saint-Étienne de La Tour et son fils Charles (qui jouera plus tard un grand rôle dans le développement de l’Acadie), l’abbé Jessé Fléché, un Récollet, l’apothicaire Louis Hébert, ainsi que Thomas Robin, vicomte de Coulogne qui finança une partie de l’expédition, et une vingtaine d’artisans.

En 1610, tout ce monde vint occuper l’habitation qui avait été gardée dans un parfait état grâce aux bons soins du chef Membertou et des siens. Afin de montrer à la cour qu’il avait à cœur les intérêts de la religion, Poutrincourt fit baptiser ce dernier et une vingtaine de membres de sa famille par l’abbé Fléché et il chargea son fils, Charles de Biencourt, de rentrer en France en compagnie de Thomas Robin dans le but d’informer la cour de ces conversions. Ils y apprirent qu’ils devaient ramener en Acadie des jésuites appelés à continuer l’œuvre d’évangélisation entreprise par l’abbé Fléché. Ainsi, l’expédition qui comprenait les pères Pierre Biard et Énemond Massé, de même qu’une trentaine d’hommes, se rendit à Port-Royal au printemps 1611.

Diverses tensions internes, ainsi que des attaques anglaises menées par Samuel Argall, minèrent cependant les efforts consentis par les Français dans cette portion de l’Acadie : à l’automne 1613, les forces anglaises détruisirent ce qui restait de l’établissement de l’île Sainte-Croix, puis pillèrent et incendièrent l’habitation de Port-Royal, mettant ainsi un terme à la colonie fondée par de Mons quelque huit ans plus tôt.

Au printemps 1614, Poutrincourt retourna pour une dernière fois en Acadie où il trouva la colonie en ruines. Biencourt et les La Tour, de même qu’un groupe de colons, décidèrent d’y demeurer afin d’assurer une présence française. Ils y restèrent jusqu’au traité de Saint-Germain-en-Laye de 1632, alors que l’Angleterre reconnaissait les droits de la France sur l’Acadie. Entre temps, une colonie écossaise avait été fondée en 1629 sur le site de l’actuel Annapolis Royal, là même où les colons français avaient cultivé du grain une vingtaine d’années plus tôt. Ce poste allait être occupé à partir de 1632 par les Français qui en fairaient le siège administratif de l’Acadie et, par le fait même, le berceau du peuple acadien.

 

Une volonté de commémoration 

Monument en hommage à Taber Richardson

Après 1613, le site de la première habitation de Port-Royal semble tomber en oubli, sauf pour les quelques mentions des vestiges de cet établissement qui figurent sur des cartes françaises et anglaises datant d’une centaine d’années après sa destruction. Plus de trois cents ans devaient s’écouler avant que des démarches soient entreprises en vue de commémorer cet événement fondateur dans les annales de la jeune nation canadienne. En 1924, la Commission des lieux et monuments historiques du Canada juge cet événement d’importance historique nationale et dévoile une plaque près du site identifié par William Francis Ganong, en 1911, comme étant l’emplacement probable de l’habitation de Port-Royal. Peu de temps après naît l’idée de reconstituer ce complexe colonial.

C’est une Américaine, Harriette Taber Richardson, qui donne le coup d’envoi à cette audacieuse initiative de reconstitution historique, un geste symbolique posé par les descendants des colons anglais de la Nouvelle-Angleterre et de Virginie ayant détruit Port-Royal trois siècles plus tôt. Madame Taber Richardson, qui passe ses étés dans la région d’Annapolis Royal, noue des liens avec la communauté locale, notamment avec la Historical Association of Annapolis Royal. Une campagne de financement est donc lancée à la fin des années 1920 – avant que la crise de 1929 n’ait trop eu d’effets – par les Associates of Port-Royal qui recueillent la jolie somme de 10 000$. Cet argent servira à la reconstitution de l’habitation. Entre temps, la Historical Association of Annapolis Royal s’engage à faire l’acquisition des terrains où se trouvaient, semble-t-il, les vestiges de celle-ci.

À Ottawa, par contre, les autorités gouvernementales ne voient pas ce projet du même œil : durant la majeure partie des années 1930, le dossier n’avance qu’à pas de tortue. À la Commission des lieux et monuments historiques du Canada, ainsi qu’au Service canadien des parcs, on questionne le bien-fondé d’une telle entreprise de reconstitution. Heureusement, l’exemple des travaux de restauration menés au milieu des années 1930 en Ontario (fort York à Toronto et fort Henry à Kingston) ainsi qu’aux États-Unis (Williamsburg) démontre que ce type de valorisation historique procure de l’emploi et contribue à développer une infrastructure touristique, un secteur économique alors en pleine effervescence. Le gouvernement canadien emboîte donc le pas en 1938, en incluant la reconstitution de l’habitation de Port-Royal dans son programme de création d’emploi, visant ainsi à contrer les effets de la crise économique dans la région.

Avec le concours de la Historical Association of Annapolis Royal et de la province de la Nouvelle-Écosse, le gouvernement canadien fait l’acquisition du terrain correspondant à l’emplacement présumé de l’habitation de Port-Royal. Les fouilles archéologiques et les travaux de reconstitution débutent à l’automne 1938. Le projet de reconstitution de l’habitation marque un point tournant dans l’histoire du Service canadien des parcs qui, jusque-là, ne s’était pas impliqué dans l’acquisition de terrains privés et encore moins dans des travaux de reconstitution historique.

 

Après l’oubli, la reconstitution… 

Au comptoir de traite

Des recherches historiques portant notamment sur l’architecture française du début du XVIIe siècle sont menées dès 1938 par Charles W. Jeffreys, un artiste canadien spécialisé dans la reconstitution visuelle des principaux événements ayant marqué le passé du Canada. En se basant sur les écrits de Champlain et de Lescarbot, entre autres, de même que le plan de l’habitation dessiné par Champlain lui-même, il parvient à dessiner des plans architecturaux pour les travaux de reconstitution. Jeffreys exécute également des illustrations démontrant le vécu quotidien des colons français à l’habitation au début du XVIIe siècle.

L'inauguration en juillet 1941

L’entreprise de reconstitution visait à concilier le moderne et l’ancien, autant dans les matériaux utilisés que dans les techniques de construction. On eut donc recours à la main-d’œuvre locale qui était encore spécialisée dans certains métiers traditionnels tels que ceux de briquetier, de menuisier, de charpentier et de maçon. Fait intéressant, les ouvriers engagés pour effectuer les travaux de reconstitution correspondaient, en nombre, à ceux qui avaient construit l’habitation en 1605. Une fois les édifices montés, il fallut les meubler : cette tâche fut de nouveau confiée à C.W. Jeffreys, qui réussit à identifier les objets historiques tels que vêtements, outils et mobilier. Sa participation au projet de reconstitution de l’habitation a certainement contribué à son succès en augmentant la crédibilité du résultat sur le plan historique. Outre les objets reproduits suivant les instructions de Jeffreys, on réussit à obtenir du gouvernement français, au milieu des années 1960, des objets d’époque servant à meubler ou agrémenter la forge, la cuisine, la boulangerie et la chapelle, notamment.

À partir de l’ouverture officielle de l’habitation de Port-Royal à l’été 1941, on voulut assurer une interprétation appropriée à ce lieu historique. Même avant les débuts des travaux de reconstitution, des démarches avaient été entreprises afin de reconstituer le jardin qu’avait aménagé Champlain lors de son séjour à Port-Royal. À cette fin, on réussit à obtenir des semences de France, de même que des plants de vigne de la Nouvelle-Angleterre. En outre, le gouvernement canadien décida d’acquérir des terrains limitrophes et de démolir les édifices qui s’y trouvaient en vue de recréer le paysage historique associé à l’habitation. Depuis les années 1980, un sérieux effort est déployé par les guides-interprètes en vue de recréer la vie quotidienne des colons français de la colonie de Port-Royal.

 

Le phénomène de reconstitution historique, un patrimoine en soi

Chantier pour la reconstitution de l'habitation de Port-Royal

Lorsque cet ambitieux projet de reconstitution historique a été entrepris à la fin des années 1930, il s’agissait d’une première pour le gouvernement canadien. Étant donné les connaissances limitées de l’époque, notamment dans le domaine des recherches historiques et archéologiques, la reconstitution de l’habitation de Port-Royal a permis d’acquérir une meilleure connaissance des techniques de construction d’une époque révolue. Le souci du détail et l’attention particulière portée à l’exactitude historique lui a donné toute sa crédibilité.

Pour le mouvement de conservation du patrimoine historique au Canada, ce projet de reconstitution marque une nouvelle étape au cours de laquelle le gouvernement accepte de jouer un plus grand rôle en s’impliquant directement dans l’acquisition de terrains d’intérêt historique de même que dans le financement d’une entreprise de ce genre. En outre, la reconstitution de l’habitation de Port-Royal a été le fruit d’un effort collectif impliquant la communauté et divers paliers de gouvernement, autant au pays qu’à l’échelle internationale. En 1995, la Commission des lieux et monuments historiques du Canada a même jugé bon de reconnaître ce projet de reconstitution historique comme ayant une importance historique nationale, car il a été le premier de son genre entrepris au pays et il représente une importante étape dans le mouvement de conservation du patrimoine au Canada. Par conséquent, le lieu historique national du Canada de Port-Royal conserve aujourd’hui sa valeur intrinsèque, tout en offrant aux visiteurs une expérience éducationnelle de l’histoire vécue.



Ronnie-Gilles LeBlanc

Parcs Canada

 

NOTES

1. Sans le concours des populations amérindiennes, ces colons français auraient difficilement réussi à survivre dans leur nouvel environnement. Aussi adoptèrent-ils certaines modes vestimentaires et des moyens de transport, tels que la raquette, le toboggan et le canoë, qui leur permirent de s’adapter plus facilement au milieu nord-américain. De leur côté, les Amérindiens ont établi à ce moment leurs premiers contacts avec la foi chrétienne et ont adopté les nouvelles technologies introduites par les Européens, à savoir des outils et armes métalliques tels que la hache et le chaudron de cuivre qui ont complètement transformé leur mode de vie traditionnel.

2. Toutefois, de Mons choisit plutôt d’établir une colonie à vocation agricole à l’île Sainte-Croix, ce qui s’avéra une erreur : en effet, près de la moitié des colons, soit 35 des 79 hivernants, moururent du scorbut durant l’hiver 1604-1605. Le printemps arrivé, de Mons et ses compagnons laissèrent cet endroit et démontèrent les édifices qu’ils y avaient érigés pour les transporter au bassin de Port-Royal.

3. Il est à noter que les marchands huguenots qui avaient financé cette nouvelle expédition refusèrent de laisser monter les jésuites à moins qu’on leur remboursât le montant qu’ils avaient avancé. Une dame très influente à la cour, Madame de Guercheville, cotisa les courtisans et réussit ainsi à rembourser les marchands huguenots, en retour d’un partenariat entre Biencourt, Thomas Robin et les jésuites.

4. Dans le cours des années 1960, comme certaines réparations étaient devenues nécessaires afin d’assurer l’intégrité des édifices érigés une vingtaine d’années plus tôt, on entreprit des travaux de réfection qui exigèrent l’intervention d’archéologues qui purent ainsi examiner de plus près les découvertes qui avaient été faites sur le site à la fin des années 1930. Cette enquête révéla que la majeure partie des objets récupérés à ce moment-là remontaient à une occupation ultérieure de ce site et que ces fouilles archéologiques n’avaient donc pas été menées sur l’emplacement de l’habitation qui reste ainsi à déterminer, ce qui n’est pas mauvais en soi, car cela signifie que le site de l’habitation de 1605 n’a pas été altéré lors des travaux de reconstitution.

 

 

Documents complémentairesCertains documents complémentaires nécessitent un plugiciel pour être consultés

Vidéo
Photos

Retour vers le haut

© Tous droits réservés, 2007
Encyclopédie du patrimoine culturel
de l'Amérique française.

Gouvernement du Canada