Reconstitution historique: un loisir passionnant

par Bouchard, Evelyne

Reconstitution historique de la Compagnie La Vérendrye au Manitoba

La reconstitution historique est une forme de loisir assez récente qui permet de plonger plus ou moins profondément dans une époque donnée, afin d’en expérimenter les habitudes de vie : alimentation, vêtements, techniques artisanales et autres éléments propres à la vie quotidienne de la période ou de l’évènement historique choisi. Il est difficile d’imaginer une forme plus intime de contact avec l’histoire et le patrimoine, car la reconstitution historique met en jeu les connaissances, les sensations et les émotions des personnes qui s’adonnent à ce loisir. Ici comme en Europe, on cherche à définir plus précisément la reconstitution historique. Voici une proposition en ce sens.


Article available in English : Historical Reenactment: A Fascinating Hobby

Quel loisir historique?

Le loisir historique est une catégorie de passe-temps qui a pour thème l’histoire sous toutes ses formes. Cela va de la visite d’un musée ou d’un centre d’interprétation à un événement costumé à thème historique ou encore à la fabrication de modèles réduits, en passant par l’évocation et la reconstitution historiques. Dans ces deux derniers cas, les participants cherchent à revivre l’ambiance d’une certaine époque qu’ils choisissent en fonction de leurs intérêts. Ces activités permettent de se mettre dans la peau d’un soldat de 1944 sur le front de Normandie en train de faire une patrouille de nuit, d’une domestique cuisinant des recettes de la Nouvelle-France dans l’âtre, ou d’un voltigeur dormant sous la tente dans un bivouac de l’an 1805. Ces activités se déroulent lors d’animations publiques ou encore en privé, pour le simple plaisir. Ce type de loisir est accessible à tous, car chacun peut choisir l’association ou le groupe qui lui convient, selon le degré de rigueur et d’authenticité qu’il recherche et l’époque qui l’intéresse.

Travailleuse d'usine et soldat du Régiment de la Chaudière de 1944 en display d'histoire-vivante à la façon Anglo-Saxonne.

Cependant, l’évocation et la reconstitution historiques ne sont pas des activités que l’on ne fait qu’une seule fois dans sa vie, comme de participer à un mariage médiéval, par exemple, ou de se costumer pour une sortie mondaine ou un festival à caractère historique. Ce n’est pas non plus comparable à un souper meurtre et mystère dont l’intrigue se déroulerait dans un autre siècle, ni une sorte de camp thématique où l’on paie pour être costumé, nourri et animé pendant une fin de semaine. Lors d’une activité d’évocation ou de reconstitution historique, si l’on s’adonne à la danse, à des jeux, à la préparation d’un repas, ou si l’on participe à un entraînement militaire ou à une bataille, c’est que les participants en ont décidé ainsi. Tout est fonction de l’intérêt et de l’engagement des membres du groupe.

Les personnes qui pratiquent l’évocation ou la reconstitution historique s’investissent dans leur loisir. L’« évocateur » et le « reconstituteur » répètent leur expérience plusieurs fois par an. Ainsi, d’année en année, ils développent continuellement leur connaissance du contexte historique qu’ils ont choisi ou du personnage qu’ils adoptent. En comparaison, les guides-interprètes des musées vivent parfois des situations qui s’apparentent à la reconstitution historique, surtout s’ils se laissent prendre au jeu et tentent de « vivre » dans une autre époque, mais ils ne sont pas des « reconstituteurs » à proprement parler, puisque leur travail les contraint à certaines obligations et leur impose des limites.


L’évocation historique

L’évocation historique permet de revivre divers aspects d’une époque avec une certaine souplesse sur le plan de l’authenticité. Cela implique que la créativité, l’ambiance générale du groupe dont on fait partie et les goûts personnels des participants puissent avoir à l’occasion priorité sur la rigueur historique. Par exemple, une paire de chaussures modernes d’un style discret et neutre pourra être portée avec un costume d’époque pour participer à une activité d’évocation historique, rendant ce type de loisir plus accessible à un plus grand nombre de participants.

L’évocation historique a plutôt pour but le divertissement, puisque l’authenticité n’est pas la principale priorité et que les divers compromis et adaptations ne nuisent pas à sa réalisation. Elle se pratique avantageusement dans le cadre de divers festivals, sous forme d’animations ludiques ou comme loisir privé.


La reconstitution historique

Reconstitution historique de la vie en 1835 dans un bâtiment reconstitué (LHNC du Parc-de-l'Artillerie).

Pour le non-initié, il est parfois difficile de faire la différence entre « évocation » et « reconstitution », ce dernier terme étant souvent utilisé à tort. La reconstitution est la version « intense » de l’évocation. Ici, l’ambiance ne suffit pas, il faut aller plus loin. Celui qui la pratique vise toujours le plus haut niveau d’authenticité possible, peu importe son confort, ses habitudes modernes et ses goûts personnels. La reconstitution demande des connaissances historiques solides, appuyées par des références pertinentes et une culture matérielle reproduite avec exactitude. Dans ce cas, non seulement les chaussures seront des reproductions fidèles des modèles anciens, mais même des éléments invisibles comme les sous-vêtements seront conformes à l’époque reconstituée. Par rapport à l’évocation historique, cette forme de loisir est donc beaucoup plus exigeante.

Par ailleurs, bien que la reconstitution (aussi appelée histoire vivante) ait comme objectif le divertissement, son approche intense et rigoureuse permet d’y ajouter un aspect éducatif évident. Plusieurs historiens et ethnologues européens ont d’ailleurs découvert dans ce loisir une autre façon de comprendre et d’expérimenter leurs théories. Depuis une dizaine d’années, en effet, le milieu muséal européen et certains festivals cherchent à aménager des lieux pour accueillir des « reconstituteurs » de haut niveau.


Animation etexpérimentation

Parfois, on voit les groupes d’évocation et de reconstitution ajouter des volets d’animation historique et d’archéologie expérimentale à leur activité. L’animation historique consiste à divertir un public en exploitant un thème historique, souvent par la représentation de scénettes ou de démonstrations prévues à des heures précises. Le niveau d’authenticité sera régi par le groupe qui se produit ainsi. Cela s’inscrit en continuité avec les premières manifestations de loisir historique des années 1960-70. Quant à l’archéologie expérimentale, elle se concentre plutôt sur la démarche scientifique de reproduction d’un objet. Par exemple, pour reproduire un tablier dans un cadre d’archéologie expérimentale, il faudra utiliser uniquement des outils, des matériaux et des techniques bien documentés. Le fer à repasser, par exemple, ne pourra pas être électrique si l’on se transpose au XVIIIe siècle. L’objet devra alors être en fer et chauffé au feu. Notez que l’archéologie expérimentale ne se pratique pas uniquement en contexte de reconstitution. L’ethnologie expérimentale, pour sa part, touche la reproduction des mœurs et du mode de vie d’un peuple à une époque donnée. Ces diverses spécialisations ont vu le jour dans les années 1970-80 et de plus en plus de groupes de reconstitution historique s’y adonnent depuis la fin des années 1990 et le début des années 2000.


Origines de la reconstitution historique

Tricenteraine de Québec en 1908 : pages de la cour du Louvre en 1608.

Le déguisement et la métamorphose sont depuis toujours des composantes de la vie culturelle des collectivités. Que l’on pense simplement à la Fête des récoltes du Moyen Âge ou aux bals masqués du XVIIIe siècle. On a aussi recréé pour des besoins ludiques ou éducatifs des batailles notoires ou la vie de personnages célèbres. Ces événements constituent sans doute les premières « reconstitutions historiques ». Au cours du XIXe siècle, l’intérêt pour une pratique plus scientifique de l’histoire, de l’archéologie et de l’ethnologie, notamment, s’affirme et maints ouvrages sont publiés sur ces sujets. L’élite, nourrie à cette culture, organise alors des réceptions à thématique historique où le menu et l’habillement des convives se veulent antiques, médiévaux ou baroques. Puis, le XXe siècle amène le développement des commémorations avec costumes et spectacles évoquant la vie d’autrefois. Les activités entourant le 300e anniversaire de la fondation de la ville de Québec en 1908 en sont un bon exemple.

À l’époque, le public était invité à titre de spectateur plus ou moins passif à ces grandes manifestations historiques et festives. Ce n’est qu’au cours des années 1960 et 1970, tant en Europe qu’en Amérique, qu’une nouvelle forme de manifestations à caractère historique voit le jour. Le public peut non seulement y assister mais il peut aussi y participer. Les premières associations de reconstitution et d’évocation historiques apparaissent alors et certains spectateurs se transforment dorénavant en acteurs de l’histoire.

Au Québec, les compagnies de danse folklorique ont la cote dès les années 1940 et 1950 et connaissent leur apogée dans les années 1970 et 1980. Ces activités étaient encore de l’ordre du spectacle. C’est au tournant des années 1980 et 1990 que les premiers groupes de reconstitution et d’évocation historiques voient le jour. Entre 1990 et 2010, le nombre d’associations de reconstitution historique passe de quatre ou cinq à une quinzaine; celles-ci couvrent des thématiques allant du Moyen Âge à la Seconde Guerre mondiale. Si l’on ajoute à ce chiffre les groupes d’évocation historique, le total atteint presque la cinquantaine.


Les époques les plus populaires

Reconstitution d'une bataille sur les Plaines d'Abraham

Dans le monde, les époques les plus populaires pour la reconstitution et l’évocation historiques sont le Moyen Âge – incontestablement la période « vedette » – ainsi que l’époque napoléonienne, la Guerre de Sécession américaine et la Seconde Guerre mondiale. Au Québec, la période de la Nouvelle-France suscite beaucoup d’intérêt chez les « reconstituteurs », même si elle arrive loin derrière le Moyen Âge, qui attire surtout des « évocateurs ». De 80 à 90% des associations québécoises se concentrent sur la période médiévale, les autres périodes se partageant les 10% à 20% restants.


Une reconnaissance à obtenir

Évocation de l'inauguration du Chemin du Roy, vers 1740

Au Québec, l’évocation est l’activité la mieux connue, alors que la reconstitution demeure marginale. Par conséquent, les festivals ne sont pas encore convaincus du potentiel d’animation de ces groupes de passionnés, et les musées sont encore peu enclins à les associer aux expositions historiques, puisque la réelle valeur éducative de ces pratiques n’est guère connue, et encore moins reconnue. Certaines institutions muséales ont également tendance à considérer que les « reconstituteurs » représentent une forme de « compétition » par rapport à leurs guides-interprètes rémunérés. Que dire, donc, de l’archéologie et de l’ethnologie expérimentales, encore voilées de mystère. Il est évident qu’il reste encore beaucoup de chemin à faire au Québec pour développer et intégrer ces divers types de loisirs historiques, apparus récemment, et d’autres outils de communication de l’histoire.

Quant aux personnes intéressées par ce genre de loisir, elles ne savent pas vraiment vers qui se tourner. Le candidat doit d’abord comprendre qu’il existe plusieurs niveaux d’interprétation et d’authenticité historiques parmi les divers groupes d’évocation et de reconstitution. On peut dire qu’aujourd’hui, il existe presque autant d’opportunités en cette matière que dans les domaines sportif ou artistique. Chaque groupe a une orientation différente, un niveau d’historicité qui lui est propre, sans compter les multiples époques et contextes proposés.

Ces loisirs sont à découvrir car ils offrent une exploration et une appropriation concrètes du passé, autant pour celui qui participe que pour celui qui assiste à une reconstitution. De plus en plus, des gens cherchent à vivre des expériences intenses, complètes et enrichissantes. La reconstitution et l’évocation combinent agréablement les côtés ludique et éducatif, tout en favorisant la communication du patrimoine dans une ambiance chaleureuse et directe.


Évelyne Bouchard
Directrice, Société d'Histoire IN MEMORIAM

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