Jardin botanique de Montréal

par Bélanger, Diane

L'étang situé au coeur du Jardin botanique

Le Jardin botanique de Montréal est d’abord l’œuvre d’un homme déterminé, le frère Marie-Victorin (1885-1944). Cet éminent botaniste et grand pédagogue canadien-français voulait ainsi sensibiliser ses compatriotes francophones à l’importance des études scientifiques qui étaient peu valorisées à son époque, dans une société encore très traditionnelle. Le Jardin a été l’un des principaux fruits de cette mission auquel Marie-Victorin a consacré sa vie. Aujourd’hui, le Jardin botanique de Montréal, conçu par l’architecte paysager visionnaire Henry Teuscher, est parfois qualifié de « véritable miracle boréal ». Cette institution d’envergure internationale conjugue beauté de la nature et vocation éducative, à l’image du projet de son premier artisan. Il constitue également une attraction touristique majeure de la métropole du Québec.

 

Article available in English : Montreal Botanical Garden

L’immense jardin boréal

Le jardin japonais sous la neige

D’une superficie de 75 hectares, le Jardin botanique de Montréal est construit sur le site de l’ancien noviciat des Frères des Écoles chrétiennes, l’ordre religieux dont faisait partie le frère Marie-Victorin, dans l’est de la ville. Son entrée, formée d’un jardin à la française, donne sur un bâtiment de style Art Déco construit entre 1932 et 1938. Détail intéressant, l’architecte Lucien Kéroack a choisi d’orner la façade de ce bâtiment de quatre bas reliefs en terre cuite, oeuvres du sculpteur Henri Hébert. Ils illustrent les connaissances horticoles des premiers habitants de l’Amérique du Nord, les Amérindiens, et l’usage qu’ils faisaient des plantes du continent.

La Serre de la forêt tropicale humide

Une autre caractéristique du Jardin se dévoile aux visiteurs dans cet espace d’accueil. Ils y découvrent à travers des aménagements annuels à la fine pointe des connaissances horticoles des spécimens d’arbres exotiques tel que le magnolia de Kobé (Magnolia kobus) ou le tulipier (Liriodendron tulipifera), qui vivent à la limite nord de leur zone de croissance. Plus loin, les dix serres d’exposition ouvertes à l’année présentent un hommage au monde végétal de l’Amérique du Nord et de tous les continents. Découvrir, par exemple, le fruit tropical du carambolier, par un matin d’hiver glacial, lorsqu’il fait -20° Celsius à l’extérieur, fait partie de l’expérience très particulière que le Jardin botanique de Montréal propose aux visiteurs. Les aménagements de plantes vivaces du Québec, la superbe roseraie, les jardins thématiques et économiques, les expositions temporaires et les nombreuses activités culturelles attirent des millions de visiteurs chaque année.

 

Un patrimoine végétal et culturel

Aechméa

L’envergure du Jardin botanique en fait un bien culturel majeur, tant par la diversité de ses aménagements naturels et culturels que par sa mission de diffusion des connaissances liées au patrimoine végétal. Créé au beau milieu de la Grande Dépression des années 1930, le Jardin témoigne de l’entrée du Québec dans la modernité. Il évoluera par la suite au rythme des grands moments de notre histoire, au cours de la Deuxième guerre mondiale, puis à la faveur du mouvement d’internationalisation qui débute avec l’Exposition universelle de 1967. Grâce au programme de « jardin botanique idéal » conçu initialement par Henry Teuscher, l’architecte paysager choisi par Marie-Victorin, le Jardin botanique de Montréal s’est développé harmonieusement depuis sa création jusqu’à nos jours. Il reflète tout autant la grande nature de notre pays que la diversité culturelle contemporaine de la Ville de Montréal.

 

Un jardin dans l'île

Le rêve de créer un jardin botanique dans les grands espaces naturels de l’île de Montréal naît au XIXe siècle au sein de l’élite anglophone de la ville. Ce premier projet d’un jardin situé sur le mont Royal ne se réalise pas en raison de difficultés administratives. Il faut à cet effet souligner que la création d’un tel jardin sous le climat rigoureux du Québec nécessite un investissement important et une bonne dose de volonté. C’est finalement un modeste frère de la communauté enseignante des Frères des Écoles chrétiennes, Marie Victorin, qui réalisera le projet, mû par sa passion de la recherche scientifique et par sa conviction qu’il est essentiel d’éveiller ses contemporains à l’étude des sciences.

 

Marie-Victorin, le passionné

Le Frère Marie-Victorin, vers 1920

Le frère Marie-Victorin, de son vrai nom Conrad Kirouac, naît en 1885. Il entre très jeune dans la communauté des Frères des Écoles chrétiennes, ordre voué à l’enseignement public des élèves de niveau primaire et secondaire. Dès l’âge de seize ans, il enseigne différentes matières dans les institutions de son ordre. Son intérêt précoce pour les sciences l’amène à constater un réel retard dans ce domaine chez ses confrères francophones qui étudient surtout les humanités gréco-latines. Parce qu’il voit le monde se transformer rapidement sous ses yeux, Marie-Victorin veut sortir les Canadiens français de leur isolement. Il cherche à les intéresser aux développements des sciences et aux connaissances techniques qui en découlent. C’est alors que le professeur de théâtre devient enseignant de mathématiques.

De santé fragile, le jeune frère se voit confiné à l’infirmerie, puis à la bibliothèque et au jardin, où il devient l’assistant du jardinier du Collège de Saint-Jérôme. Il réalise bien vite son ignorance ainsi que le peu de connaissances disponibles sur la flore du Québec et les sciences naturelles en général. C’est le début de sa grande passion pour la botanique. Désormais, Marie-Victorin se met à explorer le territoire, il herborise, il étudie, et surtout, il publie ses découvertes. Dès 1910, il projette de rédiger une «Flore générale du Québec», une œuvre de longue haleine qui trouvera son aboutissement en 1935 avec la publication de la Flore Laurentienne, un grand classique qui fait encore autorité aujourd’hui. Pendant toutes ces années, Marie-Victorin correspond avec des sommités en sciences naturelles au Canada, en Europe et aux États-Unis.

Marie-Victorin travaillant dans son laboratoire à la faculté des sciences de l'université Laval à Montréal, vers 1925

Par ses publications et ses activités dans les Cercles de jeunes naturalistes, Marie-Victorin devient une véritable vedette. Bien qu’autodidacte, il est nommé en 1920 premier titulaire de la Chaire de botanique de la nouvelle Université de Montréal. En 1923, il participe à la fondation de l’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences (ACFAS). En 1929, il est délégué par l’Université de Montréal au congrès de l’Association britannique pour l’avancement des sciences (BAAS), en Afrique du Sud. Il profite de l’occasion pour visiter les jardins botaniques des grandes villes d’Europe et d’Afrique et revient avec la conviction que Montréal doit posséder son jardin botanique. C’est le début d’une longue bataille qui va durer dix ans.

 

Des débuts difficiles

Statue du Frère Marie-Victorin à l'entrée du jardin

Le projet de Marie-Victorin tombe mal. En effet, le Québec est durement touché par la grave crise économique déclenchée par le krach boursier d’octobre 1929. Les autorités sont aux prises avec un chômage endémique. Qu’à cela ne tienne, Marie-Victorin écrit des articles dans le journal Le Devoir qui lui accorde un appui indéfectible. Il peut également compter sur l’Association du Jardin botanique de Montréal fondée dès janvier 1930. La Ville de Montréal adhère au projet mais elle progresse très lentement dans sa réalisation. Elle réserve d’abord une portion du parc de Maisonneuve pour le futur Jardin en mars 1931. Puis, en 1932, Marie-Victorin entreprend une correspondance suivie avec Henry Teuscher, un botaniste allemand immigré aux États-Unis qui lui est recommandé par le directeur du Jardin botanique de New York. Pendant quatre ans, alors que l’argent manque pour passer à l’action, Teuscher échange avec Marie-Victorin et rédige le Programme d’un Jardin botanique idéal. Enfin, Marie-Victorin trouve en Camilien Houde, l’un de ses anciens élèves nouvellement élu maire de Montréal, l’allié qu’il lui fallait. Dans une lettre adressée au maire Houde en 1935, on constate que Marie Victorin sait trouver des arguments convaincants en vue du trois-centième anniversaire de la ville de Montréal qui aura lieu en 1942 : « À votre ville, il vous faudra faire un cadeau, un royal cadeau. Mais Montréal, c’est Ville-Marie. C’est une femme, […] Vous ne pouvez pas lui offrir un égout collecteur ou un poste de police […] Alors, pardieu! Mettez des fleurs à son corsage! Jetez-lui dans les bras toutes les roses et tous les lys des champs. »

 

Henry Teuscher, l’autre bâtisseur

Henry Teuscher

Henry Teuscher arrive à Montréal en 1936 à la suite de sa nomination comme surintendant et horticulteur en chef du futur Jardin botanique de Montréal. Le premier coup de charrue est donné le 7 mai 1936. À l’automne, Teuscher engage 2000 chômeurs grâce au Programme d’aide aux chômeurs du gouvernement du Québec. Pendant trois ans, les ouvriers vont ériger le bâtiment administratif, les serres de production, tracer les routes et creuser les deux lacs du Jardin. En 1939, les axes principaux sont réalisés. La guerre provoque cependant une phase de ralentissement. Henry Teuscher est même accusé de nazisme mais il sera lavé de tout soupçon et demeurera en poste. Aujourd’hui, le botaniste allemand est considéré comme l’autre bâtisseur du Jardin et les spécialistes s’accordent à dire que l’excellence de ses plans et le fait que ceux-ci aient été suivis avec constance confèrent au Jardin son harmonie et sa touchante beauté.

 

Les années de guerre

Malgré les difficultés, Marie-Victorin, toujours soucieux de l’éducation des jeunes, continue son œuvre pédagogique en créant en 1938 l’École d’apprentissage horticole et les jardinets d’écoliers. À la tête de l’Institut de botanique de l’Université de Montréal, Marie-Victorin tente un rapprochement entre l’Institut et le Jardin en 1943 dans le but d’associer recherche scientifique et diffusion auprès du grand public. Malheureusement, Marie-Victorin décède des suites d’un accident d’automobile le 15 juillet 1944. Les Québécois perdent alors un géant qui a grandement contribué à la modernisation de la société québécoise. Son immense contribution scientifique, culturelle et sociale est saluée sur toutes les tribunes.

 

La relève

En bon maître, Marie-Victorin a préparé la relève. Jules Brunel, son premier élève, prend la tête de l’Institut de botanique et Jacques Rousseau, son bras droit, devient directeur du Jardin botanique. Rousseau a été de tous les combats qu’a menés Marie-Victorin pour le Jardin botanique. Scientifique brillant et secrétaire de l’ACFAS, Jacques Rousseau va grandement contribuer au développement de la vocation scientifique de l’institution, notamment par ses nombreuses explorations sur tout le territoire québécois. Sous sa direction, les serres d’exposition sont construites. Elles vont permettre la tenue d’activités au Jardin en toutes saisons.

 

Pierre Bourque, le créateur

Le Jardin botanique connaît un certain déclin pendant les années 1960. Les Montréalais semblent alors occupés par d’autres projets, notamment l’événement majeur de l’Exposition universelle de 1967. C’est justement du parc des Iles aménagé pour l’Expo 67 qu’arrivera au Jardin un nouveau leader, Pierre Bourque. D’abord chef de section pour les jardins extérieurs, il s’attaque à la tâche de redynamiser le Jardin avec son collègue Émile Jacqmain, contremaître en horticulture. Il confie à ses étudiants de l’École d’architecture du paysage de l’Université de Montréal l’élaboration de plans pour de nouveaux jardins dont le Ruisseau fleuri et la Roseraie. Bien d’autres projets naîtront de son dynamisme créateur.

Pierre Bourque sera particulièrement actif au niveau international en organisant notamment les premières Floralies internationales en Amérique, en 1980. Les Floralies permettent au public de découvrir les bonsaïs du Japon et les penjings de Chine. L’acquisition de collections orientales majeures va conduire à la réalisation des remarquables jardins asiatiques sous l’impulsion de Bourque qui devient directeur du Jardin botanique en 1980.

 

Le jardin japonais

Le jardin japonais

La conception du jardin japonais est confiée à l’architecte de paysage de renom, Ken Nakagima, qui avait déjà travaillé à ce projet en 1967. Ce jardin sera finalement inauguré vingt ans plus tard, en 1988. Bien que très moderne, il correspond cependant au critère principal d’un jardin japonais traditionnel : l’harmonie. L’eau, la pierre et les plantes évoquent la paix intérieure. La création de ce jardin a par ailleurs représenté bien des défis à l’équipe de réalisation, d’abord pour le choix de plantes équivalentes aux végétaux japonais, mais adaptées à notre climat. Le choix de la pierre est crucial dans un jardin japonais et celui-ci a nécessité une longue recherche : l’architecte a finalement opté pour une pierre verdâtre provenant de la région de Thetford Mines. Cette pierre fait écrin aux plantes et supporte également une chute d’eau et des ruisseaux où vivent des carpes Koi, appelées «fleurs vivantes» par les Japonais.

 

Le Jardin de Chine

Le jardin de Chine, la pagode et le bassin

Le jardin de Chine, inauguré en 1991, est le plus grand jardin de ce genre hors de Chine. Sa réalisation a été rendue possible grâce au jumelage des villes de Montréal et de Shanghaï. L’architecte chinois Le Weizhong s’est inspiré des anciens jardins privés de l’époque Ming (XIVe – XIXe siècle). Ce jardin asymétrique joue sur les contrastes entre le yin et le yang. De son vrai nom Meng hu, ce qui signifie «jardin du lac de rêve», ce Jardin compte sept pavillons dont le pavillon principal Qin yi tang, ou « Salle de l’amitié profonde ». Parmi toutes les richesses végétales, on retrouve les pivoines arbustives mentionnées par le voyageur italien Marco Polo au XIIIe siècle ainsi que les lotus d’Orient aussi nommés « fleur de Bouddha ». À chaque automne a lieu le spectaculaire événement «La magie des lanternes» alors que le Jardin s’illumine de mille formes chinoises : dragons, fées et autres personnages mythiques.

 

Le jardin des Premières Nations

Inscription Naskapi au jardin des Premières Nations

Le jardin des Premières Nations présente les plantes originaires d’Amérique du Nord et le rapport privilégié qu’entretiennent les autochtones avec la flore. Divisé en trois sections, on y trouve les végétaux les plus importants pour les Iroquoiens, les Algonquiens et les Inuits. L’aménagement d’un jardin de plantes médicinales « indiennes » était d’ailleurs inscrit dans les plans initiaux du frère Marie-Victorin et de l’architecte paysagiste Henry Teuscher. Le Jardin des Premières Nations a été inauguré en 2001 à l’occasion du troisième centenaire de la Grande Paix de Montréal signée en août 1701.

 

Conclusion

Ensemble de fleurs

Le Jardin botanique de Montréal est une perpétuelle source d’émerveillement grâce à sa collection de 22 000 espèces et cultivars de plantes, ses dix serres d'exposition et sa trentaine de jardins thématiques. Certain d’entre eux sont fort discrets, comme le jardin Leslie-Hancock caché derrière un rideau de conifères, dont il faut découvrir la splendeur en mai lorsque fleurissent les rhododendrons. D’autres sont de véritables vedettes, comme le jardin chinois. La variété des expositions du Jardin botanique de Montréal, sa superficie, son équipe de chercheurs et ses programmes d'animation en font un des plus importants et des plus beaux jardins botaniques du monde.

 

Diane Bélanger

 

 

BIBLIOGRAPHIE


Bouchard, André, avec la collab. de Francine Hoffman, Le Jardin botanique de Montréal : esquisse d’une histoire, Montréal, Fides, 1998, 111 p.

Couture, Pierre, Marie-Victorin, le botaniste patriote, Montréal, XYZ éditeur, 1996, 215 p.

Couture, Pierre, et Camille Laverdière, Jacques Rousseau : la science des livres et des voyages, Montréal, XYZ éditeur, 2000, 175 p.

Des Rochers, Jacques, Étude historique et analyse patrimoniale du Jardin botanique de Montréal, Montréal, Ministère de la Culture et des Communications, Direction régionale de Montréal, juillet 1995, 2 vol.

Hoffman, Francine, « Henry Teuscher, un homme et des jardins », Quatre-temps : la revue des Amis du Jardin botanique de Montréal, vol. 23, no 3, septembre 1999, p. 48-49.

Lincourt, Jean-Jacques, Jardin botanique de Montréal, Montréal, Fides; Québec, Association des jardins du Québec, 2001, 95 p.

Teuscher, Henry, « Programme d’un jardin botanique idéal », Mémoires du Jardin botanique de Montréal, no 1, 1940, 34 p.

 

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Vidéo
  • Jardin botanique de Montréal Ce film présente un aperçu du Jardin botanique, des multiples variétés de plantes et de fleurs qu’on y trouve et de l’intérêt qu’il suscite parmi la population. On assiste à la construction de serres et de nouveaux pavillons qui ont marqué son histoire, ainsi que la grandeur des aménagements paysagers qui en font un attrait touristique majeur de la ville de Montréal, révélant l'ampleur du projet initial du frère Marie-Victorin.
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