Fortifications au Québec, un patrimoine archéologique

par Santerre, Simon

 

Fort Chambly

Le Québec est aujourd'hui jalonné de plusieurs fortifications ou vestiges de ce qui fut jadis des places fortes, témoins de l'histoire militaire de la Nouvelle-France à nos jours. Intimement liées au contexte politique et socio-économique de la colonie, ces fortifications sont de véritables livres ouverts permettant de redécouvrir le passé. L'archéologie, à travers une démarche visant à replacer les découvertes réalisées sur ces sites dans leur cadre historique, permet une lecture approfondie de ces vestiges perdus et retrouvés. Il devient alors possible de retracer la démarche des ingénieurs militaires et des artisans concepteurs de ces ouvrages, de positionner ces lieux à l'intérieur des stratégies de défense de l'époque, mais aussi de voir dans quel état se trouvait la colonie à un moment donné de son histoire.


Article available in English : Fortifications in the Province of Quebec: a Part of the Region’s Archaeological Heritage

L'archéologie des fortifications au Québec

Les sites fortifiés du Québec ont tous faits partis de stratégies importantes visant à défendre les frontières changeantes de la colonie, que ce soit à l'époque de la Nouvelle-France, du Bas-Canada ou de la province de Québec. Ce réseau de fortifications s'étendait bien sûr au-delà des limites actuelles de la province. Cette branche du patrimoine archéologique québécois est très riche, puisque plus d'une vingtaine de sites ou d'ensembles de sites fortifiés ont à ce jour fait l'objet de découvertes d'importance variables.

Une dizaine de sites témoignent de l'évolution du réseau de fortifications au cours de la période du Régime Français, depuis la fondation de Québec jusqu'à l'éclatement de la guerre de Sept Ans. Parmi ceux-ci, mentionnons l'ensemble des fortifications de la ville de Québec qui, des premières enceintes palissadées de la ville jusqu'aux fortifications de 1745, a particulièrement contribué à la compréhension de l'évolution des ces constructions au fil du temps.

Champ de Mars

Montréal a elle aussi été fortifiée, d'abord par une enceinte de pieux, puis par des murs de fortifications revêtus de maçonnerie, tel que de nombreuses découvertes archéologiques en témoignent. Dans la région de Montréal, la palissade de La Prairie est assurément l'un des exemples de village palissadé les mieux documentés archéologiquement. Puis, dans la vallée du Richelieu, considérée comme la principale voie d'invasion en partance des colonies britanniques et de l'Iroquoisie, les forts Saint-Jean, Chambly et Sainte-Thérèse ont fait l'objet d'interventions archéologiques variées. La ville de Trois-Rivières fut, quant à elle, ceinturée d'une palissade bastionnée entre 1651 et 1752, mais très peu de vestiges archéologiques la concernant ont été découverts à ce jour.

Période d'effervescence dans le domaine de la fortification en Amérique du Nord, la guerre de Sept Ans est représentée, sur le territoire québécois, par quatre sites ou ensemble de sites, en plus des fortifications mentionnées précédemment qui furent elles aussi mises à contribution lors de ce conflit. Le fort Jacques-Cartier (1759) à Cap-Santé, le fort de l'île au Noix (1759) et le fort Lévis (1759), sur l'île Royale (Chimney Island, Ogdensburg N-YNOTE 1), ont tous été construits dès la fin de la campagne de 1758. Parallèlement, la ville de Québec a vu l'ajout d'une imposante ligne de fortifications composée d'un ouvrage en tête-de-pont à l'embouchure de la rivière Saint-Charles ainsi que de redoutes et de batteries étalées jusqu'à Beauport. Malgré plusieurs interventions archéologiques variées effectuées sur différents sites, aucune découverte probante n'a toutefois encore été effectuée sur cette ligne défensive.

Tour Martello, Plaines d'Abraham, Québec

Au lendemain de la guerre de Sept Ans, les Britanniques dressèrent un bilan des postes fortifiés. Certains furent jugés indispensables, alors que d'autres furent tout simplement abandonnés. Six sites témoignent de cette période et les fortifications de la ville de Québec figurent toujours parmi ces repères importants. Elles furent notamment bonifiées par l'ajout d'une citadelle et de tours Martello, en plus du réaménagement de certains secteurs de ses remparts. Un peu plus tard, de l'autre côté du fleuve, on construisit trois forts à la pointe de Lévy. De ces trois forts, le fort numéro 1 est actuellement ouvert au public.

À Montréal, le fort de l'île Sainte-Hélène a fait l'objet de plusieurs interventions archéologiques. Ses entrepôts et ses casernes fortifiées témoignent de l'importance de la ville, au XIXe siècle, en tant que point de ravitaillement de l'axe du Saint-Laurent. Dans la vallée du Richelieu, le fort Lennox sur l'île aux Noix, toujours existant, a lui aussi fait l'objet de plusieurs interventions archéologiques. Les découvertes qui y ont été effectuées portent principalement sur l'évolution des composantes architecturales du fort, mais aussi sur quelques éléments défensifs associés aux premières fortifications britanniques construites sur l'île entre 1776 et 1819.

En 1812, à Coteau-du-lac, une fortification irrégulière a été construite afin de protéger l'accès à un canal et ce, jusqu'en 1856. Le site a fait l'objet de trois campagnes de fouilles archéologiques dans les années 1960. Il s'agit d'un témoin important de la stratégie militaire défensive de l'époque qui préconisait une communication efficace entre Montréal et Kingston via une série de canaux contournant les rapides.

Vers le milieu du XIXe siècle, alors que la frontière au sud du Témiscouata était au centre d'un conflit entre le Canada et les États-Unis, quatre postes fortifiés furent construits afin de protéger le sentier du Portage liant Québec et Halifax. Deux de ces forts se situent au Québec, le fort Dégelis et le fort Ingall. Le fort Ingall a fait l'objet de cinq saisons de fouilles et sa reconstitution est aujourd'hui accessible au public. Le fort Dégelis n'a, quant à lui, fait l'objet que de quelques interventions archéologiques de faible envergure qui n'ont pas générées de résultats probants.

 

L'évolution de la fortification

Ces découvertes archéologiques sont de véritables marqueurs permettant de lier un site à une période dans l'histoire des fortifications, mais aussi à l'histoire sociopolitique, économique et militaire du pays. Avant tout, une fortification était un ouvrage militaire à caractère défensif. Ce type de construction était essentiellement destiné à protéger un endroit clé faisant parti d'une stratégie militaire et, dépendamment du lieu et de son intérêt, les méthodes employées afin de le protéger des coups de l'ennemi pouvaient varier.

L'évolution des techniques de fortification en Amérique du Nord fut le résultat des théories importées d'outre-mer de même que des relations diplomatiques changeantes et des modifications géopolitiques qui en découlèrent. Les palissades de pieux grandement utilisées au début du XVIIe siècle lors des guerres franco-iroquoises, ne suffirent plus à assurer la sécurité d'un lieu face à l'ennemi anglais. Afin de résister à un siège en règle et de soutenir le tir d'une artillerie, il fallut bâtir des enceintes plus résistantes généralement de terre, parfois revêtues de maçonnerie. Plus tard, au cours de la guerre de Sept Ans, des fortifications passagères, aménagées de façon plus rudimentaire que les fortifications permanentes, furent construites dans l'optique de servir à des fonctions bien spécifiques sur une courte période de temps.

Au Régime Anglais, plus particulièrement au lendemain de l'indépendance Américaine, la frontière nouvellement tracée poussa les autorités coloniales à mettre en œuvre une toute autre stratégie défensive. Avec le développement de voies terrestres toujours plus efficaces, les postes fortifiés n'avaient plus la même utilité, puisqu'ils étaient devenus facilement contournables. Ils devinrent cependant d'importants dépôts d'approvisionnement et d'équipements, ponctuant les voies maritimes et terrestres et plusieurs petits postes, prenant souvent la forme de Blockhaus, assuraient le relais et la protection sur ces routes.

À la fin du XIXe siècle, avec l'apparition des voies ferrées et de l'artillerie lisse, les forts détachés remplacèrent les fortifications bastionnées. La signature du traité de Washington entre le Canada et les États-Unis mit fin aux conflits et précéda de peu le retrait des troupes britanniques, mettant ainsi un terme à la période colonialeNOTE 2. Ce fut alors la fin de l'époque classique de la fortification au Canada.

 

La mise en valeur du patrimoine archéologique des fortifications au Québec

Fouilles archéologiques de l'une des embrasures à canon du fort Jacques-Cartier

La mise en valeur des sites fortifiés permet-elle de rendre compte des changements dans le domaine de la fortification tout au long de la période coloniale? Les sites accessibles au public témoignent-ils de l'évolution du réseau de fortifications au sein des différentes stratégies défensives élaborées? Des sites archéologiques mentionnés précédemment, une dizaine sont actuellement accessibles au public et permettent d'apprécier les découvertes archéologiques via différents moyens, tels que des centres d'interprétation, des panneaux interprétatifs, des plaques commémoratives, des vestiges in situ, des rappels au sol, des visites guidées et des brochures. Certains de ces sites, tel que les fortifications de Québec, ont été occupés sur de longues périodes et rendent compte de l'évolution de la fortification tout au long des Régimes Français et Anglais. D'autres, occupés lors de plus brèves périodes, sont le reflet d'un type de fortifications en particulier. C'est le cas notamment du fort Lennox, construit alors que la fortification bastionnée était encore en vogue, mais à une époque où les théories concernant les forts détachés commençaient à émerger. Il est donc l'un des derniers ouvrages bastionnés construit en Amérique du Nord. Les forts de la pointe de Lévy, dont seul le fort numéro 1 est ouvert au public, sont des exemples uniques de forts détachés construits vers la fin du XIXe siècle.

Redoute Dauphine

S'il est plus aisé d'expliquer les différentes composantes architecturales d'un fort par ses vestiges, son bâti et son iconographie, il semble difficile de mettre en valeur les rôles de ce même fort au sein d'un ou de plusieurs plans de défense à travers le temps. Synthétiser et expliquer les différents contextes socio-politiques et les conflits qui ont conduit à l'élaboration d'une stratégie défensive exige un effort considérable sur le plan communicationnel.

Le patrimoine archéologique des fortifications du Québec est très riche. Seule une infime proportion en est actuellement accessible au public et sa mise en valeur ne rend pas toujours justice aux grands courants dans le domaine de la fortification, à leur architecture et aux réseaux qu'ils formaient à différentes époques. Il est donc important de continuer de miser sur les vestiges et le bâti individuels des forts, tout en favorisant l'intégration de ces derniers à un réseau de mise en valeur qui permettrait une meilleure compréhension des différents systèmes de défense de la colonie. Beaucoup de travail reste à faire et les coûts de mise en valeur du patrimoine archéologique sont souvent élevés, ce qui représente un véritable appel à la créativité de ceux qui se penchent et se pencheront sur le sujet.

 

Simon Santerre

Archéologue

 

 

NOTES

1. L'île Royale (Chimney Island) a partiellement été détruite lors de l'aménagement de la voie maritime du Saint-Laurent. Le site du fort Lévis serait englouti ou détruit. Aucune intervention archéologique n'y a été effectuée.

2. Yvon Desloges, Les forts de la pointe Lévy, Ottawa, Lieux historiques nationaux, Service des parcs, Environnement Canada, 1991, p. 65.

 

BIBLIOGRAPHIE

Beaudet, Pierre, et Céline Cloutier, Les témoins archéologiques du fort Chambly, Ottawa, Lieux et parcs historiques nationaux, Service des parcs, Environnement Canada, 1989, 125 p.

Bélidor, Bernard Forest de, Dictionnaire portatif de l'ingénieur, Paris, Charles-Antoine Jombert, 1755, 339 p.

Charbonneau, André, Les fortifications de l’île aux Noix : reflet de la stratégie défensive sur la frontière du Haut-Richelieu aux XVIIIe et XIXe siècles, Ottawa, Lieux historiques nationaux, Parcs Canada, Ministère du Patrimoine canadien, 1994, 390 p.

Charbonneau, André, Yvon Desloges et Marc Lafrance, Québec, ville fortifiée du XVIIe au XIXe siècle, Québec, Éditions du Pélican; Ottawa, Parcs Canada, 1982, 491 p.

Desloges, Yvon, Les forts de la pointe Lévy, Ottawa, Lieux historiques nationaux, Service des parcs, Environnement Canada, 1991, 73 p.

Hogg, Ian, Fortifications : histoire mondiale de l'architecture militaire, Paris, Atlas, 1983, 256 p.

Lambert, Phyllis, et Alan Stewart (dir.), Montréal, ville fortifiée au XVIIIe siècle, Montréal, Centre canadien d'architecture, 1992, 93 p.

Santerre, Simon, Le patrimoine archéologique des fortifications du Québec [en ligne], Québec, Ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, juin 2009, 148 p., http://www.mcccf.gouv.qc.ca/fileadmin/documents/publications/patrimoine/archeologie/fortifications-santerre-06-2009.pdf.

 

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