Forteresse de Louisbourg : un rendez-vous avec l’Histoire

par Johnston, A.J.B.

Forteresse de Louisbourg, île du Cap-Breton (Nouvelle-Écosse), 2005

Vue du large, la Forteresse de Louisbourg se dresse sur une péninsule basse située sur la rive nord-est de l'île du Cap-Breton, comme si elle surgissait de la mer. Par voie terrestre, le long de la route 22 à partir de Sydney, les quelques cinquante bâtiments de ce pittoresque complexe historique créent une impression tout aussi forte, tels des survivants d'une autre époque. En y regardant de plus près, le visiteur s'aperçoit que cet ensemble évoquant le XVIIIe siècle, presque entièrement entouré de fortifications, semble là depuis plusieurs siècles. Bien sûr, il n'en est rien, puisqu'il s'agit d'une reconstitution de Louisbourg au cinquième de la ville fortifiée originale qui comptait 250 édifices érigés par des colons français entre 1713 et 1745. Cet ambitieux projet de reconstruction a été élaboré dans la seconde moitié du XXe siècle et réalisé entre 1961 et 1975, afin de créer une attraction touristique culturelle d'importance au Canada atlantique et de susciter intérêt et fierté à l'égard d'un pan alors peu connu de l'histoire du Canada.

 

Article available in English : Fortress of Louisbourg: from History to Historic Site

Un lieu chargé d'histoire

Vue aérienne. Restauration de la forteresse de Louisbourg

Devenue l'un des sites historiques nationaux les plus imposants au pays, la Forteresse de Louisbourg est un complexe de dix acres entouré de fortifications se prolongeant sur 1,17 km (soit une superficie représentant le quart du site initial), situé à l'intérieur d'une aire protégée d'environ 60 km2. La zone densément boisée qui ceinture le site ne sert pas uniquement de zone-tampon : elle présente en soi une valeur patrimoniale considérable. Au-delà des remparts reconstruits de la forteresse, se trouvent les vestiges archéologiques d'établissements français et d'ouvrages défensifs, les ruines du premier phare érigé au Canada, les plages où débarquèrent les assaillants de la Nouvelle-Angleterre en 1745 et de la Grande-Bretagne en 1758, ainsi que les restes de multiples batteries et campements érigés lors des ces sièges.

Bien que le nom officiel attribué à l'ensemble decette aire patrimoniale protégée soit la Forteresse de Louisbourg, cette désignation date du XXe siècle. À son apogée, au XVIIIsiècle, les Français qui y vivaient et l'administration de Versailles qui lui accordait une si haute importance utilisaient tout simplement Louisbourg, port de Louisbourg, ou ville de Louisbourg pour nommer la ville, le port et l'arrière-pays avoisinant.

La Forteresse devint un site historique national canadien en 1928, soit plusieurs décennies avant toute entreprise de reconstruction. À l'origine, seule une petite portion de ce qui est aujourd'hui protégé fut préservée. À la suite d'une vague d'expropriations terrestres et de démolitions d'immeubles, l'accent a été mis sur l'emplacement de l'ancienne ville et du phare. Au cours des années 1935 et 1936, le gouvernement canadien construisit un édifice qui est toujours en place aujourd'hui, un musée où, pendant un quart de siècle, des artéfacts, des cartes, des documents, des portraits et une imposante maquette présentèrent l'histoire de Louisbourg. Lorsque le gouvernement décida dans les années 1960 d'entreprendre des recherches et de reconstruire une section entière du site historique, le musée perdit sa vocation. Une vingtaine d'années plus tard, il sera toutefois reconverti en aire d'exposition rappelant l'histoire de Louisbourg entre le départ des Français (1758) et la période de reconstruction (1960-1970). Une deuxième vague d'expropriations et de démolition eut lieu sur le littoral nord du port de Louisbourg et à l'anse Kennington durant les années 1960, afin d'accueillir un ensemble de nouveaux services. À cette époque, en effet, la conception d'un site historique exigeait de démolir ce qui était vu comme des « intrusions modernes ».

 

Le « véritable » Louisbourg

Plan de Louisbourg en 1765

Au XVIIIe siècle, Louisbourg symbolisait la détermination de la France à maintenir ses intérêts économiques et stratégiques au Canada atlantique. Suite à la cession de l'île de Terre-Neuve à la Grande-Bretagne (conformément au traité d'Utrecht de 1713), la métropole voulait conserver cette base considérée comme essentielle au maintien de la lucrative pêche à la morue. En effet, la France accordait une importance beaucoup plus grande aux pêcheries de l'Atlantique nord qu'elle n'en accorda jamais au commerce des fourrures, en raison des profits directs qu'elle en retirait et de l'inestimable école de la mer qu'elles représentaient pour la marine française. Le port de Louisbourg était non seulement le centre des exportations de morue vers la France, mais aussi un port de transbordement, l'indispensable plaque tournante du commerce triangulaire établi entre la France, les Antilles et le Canada. Aux yeux du célèbre Voltaire, la colonie du Cap-Breton où se trouvait Louisbourg représentait la clé des possessions de la France en Amérique du Nord, compte tenu de son impact sur l'économie maritime de la mère patrie.

Au contraire, pour des raisons économiques, militaires et navales, le développement que connut Louisbourg entre 1713 et 1740 allait devenir une menace pour les Britanniques et les Anglo-Américains. Dans la pensée mercantile de l'époque, la prospérité maritime de Louisbourg, dont le port connaissait un achalandage annuel moyen de 150 navires, entraînait une diminution des prises de morue et de la prospérité commerciale des colons anglo-américains. De surcroît, les Français établis à Louisbourg entre 1720 et 1745 y avaient érigé des fortifications en pierre de style européen, un type d'ouvrage peu fréquent en Amérique du Nord, où les défenses étaient habituellement constituées de fortins et de terrassements. Par conséquent, la place forte française construite sur le littoral de l'île du Cap-Breton préoccupait grandement tant les Britanniques que les Anglo-Américains. Benjamin Franklin, par exemple, écrivit la veille de l'attaque de la Nouvelle-Angleterre sur Louisbourg, en 1745, que la forteressedu Cap-Breton serait une « noix dure à casser ». Une fois prise - en fait, elle le fut à deux reprises, en 1745 puis en 1758 - Louisbourg cessa d'incarner la présence française au Canada atlantique. Elle devint plutôt un symbole de la supériorité qu'avaient fini par acquérir les troupes britanniques et, depuis peu, la marine britannique dans la lutte séculaire opposant les empires anglais et français en Amérique.

 

Reconstruire sur les ruines du passé

Au milieu du XXe siècle, l'entreprise de reconstruction de la Forteresse de Louisbourg fit passer ces représentations héritées du passé au second plan. La décision du gouvernement du Canada de reconstruire un secteur complet de la ville française coloniale depuis longtemps disparue, à l'image d'une « Williamsburg du Nord », conféra à la Forteresse de Louisbourg une nouvelle image. Ce projet, le plus ambitieux du genre, se voulait une nouvelle manière de présenter le patrimoine : par la reconstitution historique, on souhaitait faire vivre au public une expérience d'« histoire vivante » au moyen d'animateurs en costumes d'époque, d'espaces extérieurs et d'édifices dont les équipements rappellent une période historique révolue. Dans le cas de Louisbourg, l'époque retenue par le programme d'interprétation correspondait à l'été de 1744, la Forteresse n'ayant pas encore subi les effets dévastateurs des bombardements et de la défaite. Bien sûr, le personnel affecté à la Forteresse ne s'est jamais restreint à une approche liée exclusivement à « l'histoire vivante ». Le site administré par Parcs Canada présente aussi des expositions didactiques, des maquettes, des films et des visites guidées afind'expliquer des aspects de l'histoire complexe du site, qu'il est difficile ou impossible d'aborder en se limitant à 1744.

Prise de Louisbourg par les Anglais, 1745

Rappelons que le Louisbourg du XVIIIe siècle ne se limitait pas à l'actuel site historique nationalde la Forteresse de Louisbourg : il englobait plutôt tout le littoral situé autour du havre, incluant ce qui constitue l'actuelle communauté de Louisbourg. La compartimentalisation en deux zones principales de cette aire de colonisation jadis unifiée - l'une d'elles étant une municipalité moderne habitée et l'autre, un site historique voué au plaisir et à l'éducation du public - ne s'est pas faite du jour au lendemain. Peu après la seconde et dernière prise de Louisbourg en 1758, les Britanniques rassemblèrent puis déportèrent de nombreux soldats et civils français, les premiers en Grande-Bretagne et les seconds en France. Cette relocalisation forcée a possiblement affecté près de 10 000 individus provenant d'une douzaine de communautés françaises disséminées sur l'île Royale (île du Cap-Breton). Deux ans plus tard, en 1760, le premier ministre britannique William Pitt ordonna la démolition systématique de toutes les fortifications, au cas où la France reprendrait Louisbourg. (Ceci ne se produisit jamais. Car à l'issue de la guerre de Sept Ans, de tout ce qui avait jadis appartenu à la Nouvelle-France, seules les îles Saint-Pierre-et-Miquelon furent cédées à la France.) Bien que la ville ait été gravement endommagée par le bombardement de 1758, puis ait ensuite été privée de ses fortifications en pierre, une garnison britannique resta postée à Louisbourg jusqu'en 1768. Les soldats se retirèrent finalement, suivis par plusieurs centaines de civils britanniques, irlandais et anglo-américains qui s'y étaient établis après la Conquête.

Au cours des décennies qui suivirent, une petite communauté continua de vivre dans la zone jadis occupée par les Français, dans la ville fortifiée, bien que leur nombre ne s'élève plus qu'à quelques douzaines alors que la population française avait autrefois atteint près de trois mille. Au cours du XIXe siècle, un nouveau « Louisburg » (épelé sans le deuxième « o », jusqu'à ce qu'il réapparaisse dans les années 1960) se développa progressivement de l'autre côté du havre, en face de la péninsule basse où se trouvait la ville fortifiée. Cela s'est poursuivi jusqu'à aujourd'hui, alors que c'est principalement dans ce secteur, désigné sous le nom de « côte nord » par les Français au XVIIIsiècle, que se concentrent les habitations et les activités économiques de Louisbourg.

 

À qui appartient la mémoire de Louisbourg ?

Forteresse de Louisbourg - Parc historique national, Louisbourg (Nouvelle-Écosse). Monument en l'honneur des soldats britanniques, américains et français, morts à Louisbourg entre 1745 et 1760.

Afin de commémorer l'occupation du site au XVIIIe siècle et les autres événements militaires significatifs qui y sont associés, la garnison britannique érigea temprairement une stèle en pierre juste avant leur départ de Louisbourg en 1768. En 1895, à l'occasion du 150anniversaire de la victoire des soldats de la Nouvelle-Angleterre (1745), la General Society of Colonial Wars, une organisation privée américaine, fit placer une haute colonne sur les ruines les plus élevées du site, là où se situait le Bastion du Roi. La commémoration souleva des protestations de la part du sénateur acadien Pascal Poirier et d'autres groupes au Canada, qui soutenaient que le gouvernement fédéral ne devait pas permettre à des étrangers d'ériger au pays des monuments pour commémorer ce que les Canadiens français considéraient comme une défaite. Le premier ministre Mackenzie Bowell rétorqua qu'il s'agissait d'une société privée érigeant un monument sur un terrain privé, et que le gouvernement n'avait aucun rôle à jouer dans le règlement de telles questions.

Monument Louisbourg, N.-É., 1901

Ce n'est qu'en 1919 que le gouvernement fédéral créa un organisme consultatif indépendant (la Commission des lieux et monuments historiques du Canada), chargé de formuler des avis sur des questions liées aux commémorations historiques. Lors de la première rencontre tenue en 1919, le dossier de Louisbourg fut l'un des premiers à être examinés. Il n'obtint cependant le statut de site national historique officiel qu'en 1928, une fois achevé le projet initial d'expropriations des terres. À l'époque, la zone intra muros de l'ancien Louisbourg comprenait des amoncellements de gravas et de terre, deux douzaines d'humbles logis en bois, des palissades et des animaux en pâturage.

Au cours des années 1930 et 1940, de nombreuses organisations non-gouvernementales, notamment des ordres religieux, élevèrent d'autres monuments à Louisbourg, à l'intérieur de ce qui était devenu un site historique national. Tous ces monuments sont toujours en place, bien que la colonne érigée par la General Society of Colonial Wars ait été déplacée vers la pointe Rochefort durant les années 1960 pour permettre la reconstruction du bastion du Roi. Elle fut endommagée lors du déplacement, et sa taille actuelle ne représente qu'un peu plus de la moitié du monument original.

 

Un patrimoine fragile

Côte du Cap-Breton, près de Louisbourg

Que la Forteresse de Louisbourg soit le résultat d'une construction complexe forgée au fil du temps est un fait bien connu. Ce qui l'est moins, c'est le défi que pose son emplacement même, sur la péninsule basse au bord de l'océan Atlantique. Bien que le cadre spectaculaire des lieux suscite de vives et poignantes émotions, il représente néanmoins une menace : en effet, de nos jours, le niveau de la mer dépasse d'au moins un mètre ce qu'il était au milieu du XVIIIe siècle. Il continue de s'élever depuis des millénaires - il y a 5000 ans, le havre de Louisbourg était un lac intérieur - et l'on prévoit que l'Atlantique pourrait gagner encore un mètre au cours du prochain siècle. À l'heure actuelle, durant certaines tempêtes, la force des vents combinée à la marée montante forme d'énormes vagues, qui envahissent et endommagent parfois des secteurs de la Forteresse et de la pointe Rochefort avoisinante. Se pourrait-il que la présence de la mer et du littoral, qui fut cruciale pour la prospérité et le rôle significatifde Louisbourg au XVIIIe siècle, entraîne l'affaissement graduel et la disparition éventuelle de cet important site historique national? Voilà une question qui doit interpeller de nombreux sites historiques côtiers, la Forteresse de Louisbourg au premier chef.

 

A.J.B. Johnston
Historien indépendant

 

Documents complémentairesCertains documents complémentaires nécessitent un plugiciel pour être consultés

Vidéos
  • Louisbourg et le grand rassemblement En 1995, des milliers de gens se rassemblent à Louisbourg pour participer à la reconstitution historique d'une bataille entre les armées anglaise et française, accompagnées des paysans qui vivaient autour de la forteresse. Des voiliers historiques sont venus pour l’occasion mouiller dans la rade de Louisbourg et des troupes nombreuses paradent et s’affrontent sous les caméras qui ont capté des images exceptionnelles de cet événement commémoratif de grande envergure.
    Vidéo basse résolution - Poids : 47492 Ko
    Vidéo haute résolution - Poids : 51231 Ko

    Durée : 3 min 24 sec
  • Reconstruction de Louisbourg Ce film révèle l'ampleur des travaux de reconstruction de la forteresse de Louisbourg au cours de l’année 1966. On voit ensuite des images aériennes spectaculaires de la forteresse en l’an 2000, où les remparts, les rues et les personnages historiques continuent de faire revivre aux visiteurs l'époque choisie pour la reconstitution, soit le milieu du XVIIIe siècle.
    Vidéo basse résolution - Poids : 33512 Ko
    Vidéo haute résolution - Poids : 65530 Ko

    Durée : 2 min 15 sec
Photos

Retour vers le haut

© Tous droits réservés, 2007
Encyclopédie du patrimoine culturel
de l'Amérique française.

Gouvernement du Canada