Drapeau franco-ontarien

par Saint-Pierre, Stéphanie

Michel Dupuis qui hisse le drapeau franco-ontarien devant l'Université de Sudbury le 25 septembre 1975

Lorsque le drapeau franco-ontarien est hissé pour la première fois au mât de l’Université de Sudbury le 25 septembre 1975, les deux concepteurs, Michel Dupuis et Gaétan Gervais, choisissent de rester anonymes. Ils veulent que le drapeau rassemble toute la communauté franco-ontarienne sans qu’il soit rattaché à un groupe particulier, comme celui de Sudbury ou de l’Université Laurentienne. Leur pari porte fruit. Depuis sa création, le drapeau franco-ontarien s’est visiblement positionné comme l’emblème de la communauté franco-ontarienne dans son ensemble en flottant lors de fêtes, de célébrations, de rallye et de manifestations.


Article available in English : Franco-Ontarian Flag

Le blanc de nos hivers et le vert de nos étés…

Drapeau franco-ontarien

Puisque «[l]e succès d’un symbole réside toujours dans sa simplicité[…] (NOTE 1) » , le drapeau franco-ontarien, à l’instar d’autres étendards, épouse une formule classique en limitant ses couleurs. Il se divise en deux parties égales : du côté gauche, on retrouve la fleur de lys blanche sur fond vert et du côté droit, la fleur de trille verte sur fond blanc. Le lys symbolise l’appartenance à la francophonie alors que la fleur de trille affirme l’attachement à part entière à la province de l’Ontario. En ce qui a trait aux couleurs, Gervais et Dupuis voulaient éviter tout dessein politique. Le rouge et le bleu étant identifiées à des partis politiques, elles devaient donc être écartées. Ce n’est que par la suite que les créateurs ont justifié leur choix de façon poétique : les couleurs choisies rappellent le blanc de nos hivers et le vert de nos étés (NOTE 2).

 

Un symbole pour tous

Célébration du 25e anniversaire du drapeau devant l'Université de Sudbury, le 25 septembre 2000.

Le drapeau franco-ontarien est cependant bien plus que sa composante physique, qui a d’ailleurs changé depuis 1975 (NOTE 3). Sa valeur patrimoniale réside dans le parcours historique de son utilisation et dans le caractère emblématique que la communauté franco-ontarienne lui confère. En effet, si le drapeau franco-ontarien met quelque temps à s’imposer en tant que symbole unique de cette communauté hétéroclite, il occupe maintenant ce rôle et ce, sans équivoque. Dès 1977, l’Association canadienne-française d'éducation d'Ontario, organisme ontarien d’envergure, semble l’adopter officiellement. C’est cependant le système d’éducation qui, comme l’explique Tina Desabrais, « a joué un rôle majeur dans la diffusion du drapeau et dans la sensibilisation croissante des différentes communautés à son égard (NOTE 4) » . En effet, en 1979, le ministère de l’Éducation de l’Ontario précise qu’il n’y a pas de règlement qui interdit l’usage du drapeau franco-ontarien dans les écoles, à condition que ce dernier flotte aux côtés des drapeaux ontariens et canadiens.  De nos jours, les écoles franco-ontariennes consacrent  même une journée spéciale à celui-ci, « la fête du drapeau », le 25 septembre de chaque année.

Le rôle symbolique du drapeau franco-ontarien dépasse cependant les frontières du monde scolaire et on peut également le voir flotter lors d’événements tels que la Nuit sur l’Étang ou le Festival franco-ontariens, lors de manifestations, de ralliements, devant les bureaux d’organismes ou de services gouvernementaux, de même que devant certains commerces.

 

Historique et évolution

Le drapeau franco-ontarien est né dans la foulée des événements qui peuvent être qualifiés de « Révolution culturelle » en Ontario français. Au début des années 1970, de nombreuses initiatives culturelles et artistiques voient le jour dans cette province, notamment dans la région de Sudbury. À titre d’exemple, notons la création de la maison d’édition Prise de parole, du Théâtre du Nouvel-Ontario et de la Galerie du Nouvel-Ontario, qui existent toujours aujourd’hui, de même que la Coopérative des Artistes du Nouvel-Ontario (CANO) et CANO musique, dont les retombées culturelles se font toujours sentir dans le milieu artistique de la province.

Lors de la démonstration symbolique de la « première pelleté de terre » par les élèves de l'École de la résistance, le drapeau franco-ontarien est bien présent.

Les années 1970 sont donc un contexte propice à la création d’un symbole rassembleur pour une communauté qui cherche à se définir ou, plutôt, à se redéfinir dans un Canada d’après la Révolution tranquille québécoise, alors que l’appellation « Canadien français » tombe en désuétude.  À cette époque, Gaétan Gervais, qui est professeur d’histoire à l’Université Laurentienne, et Michel Dupuis, un étudiant qui entame sa deuxième année dans le programme de Sciences politiques, sont de proches alliés dans l’élaboration de ce projet. Au fil des rencontres et des discussions dans le « Grand Salon » de l’Université Laurentienne, le drapeau franco-ontarien se dessine. Gervais raconte :


On s’était armé de ciseaux et de cartons de couleur, puis on avait essayé différentes combinaisons de symboles, de couleurs. Notre idée était de trouver un symbole qui représente les Franco-Ontariens. (…) On a cherché pour nos deux symboles. Je pense que la fleur de lys, on l’avait trouvée dans un dictionnaire et la fleur de trille, sur une enveloppe du gouvernement de l’Ontario (NOTE 5).

Ils approchent ensuite Jacline England, secrétaire du service d’animation de l’Université Laurentienne, qui se charge de coudre le tout premier drapeau franco-ontarien (NOTE 6). Puis vint le dévoilement officiel. Dupuis décrit ainsi l’événement mémorable « Le 25 septembre, accompagné d’un vent quasi complice d’un moment tant attendu, flottait, pour la première fois, au mât de l’Université de Sudbury, un nouveau symbole, c’est-à-dire le drapeau franco-ontarien (NOTE 7) ».

Le choix de l’Université de Sudbury pour cette cérémonie s’imposait. En effet, cette institution affiliée à l’Université Laurentienne revêt une importance symbolique pour la communauté franco-sudburoise. Car l’Université de Sudbury est une institution catholique de langue française fondée en 1957 par les Jésuites, qui étaient aussi responsables du Collège du Sacré-Cœur, un collège classique qui ouvre ses portes à Sudbury en 1913. Lorsque l’Université Laurentienne est fondée en 1960, l’Université de Sudbury devient un collège fédéré qui maintient néanmoins une certaine autonomie administrative par rapport à la Laurentienne.

Le drapeau ne suscite pas tout de suite l’enthousiasme de la population au cours des quelques mois, voire des quelques années, qui suivent son dévoilement. L’étude qu’en fait Tina Desabrais dans Le drapeau franco-ontarien est révélatrice à cet égard. Un mois après le lancement du drapeau, ce dernier est présenté pour la toute première fois à l’extérieur de Sudbury dans le cadre du congrès provincial de l’Association canadienne-française de l’Ontario qui avait lieu à Timmins. Lors du congrès, deux groupes proposent chacun un « drapeau franco-ontarien » : celui que l’on connaît aujourd’hui et un autre préparé par un groupe d’animateurs culturels d’Ottawa. L’un des animateurs d’Ottawa propose de présenter les deux drapeaux au vote des congressistes, ce à quoi s’oppose le groupe de Sudbury. Comme se le remémore Gervais : « Nous lui avons dit que ce n’était pas la peine d’en discuter parce que le nom était déjà pris. », puisque Gervais et Dupuis avaient déjà fait les démarches nécessaires auprès du Bureau du droit d’auteur (NOTE 8).

Le drapeau franco-ontarien flotte sur le toit de l'École secondaire de la Huronie (ou École de la résistance) de Pénétanguishene qui occupe des locaux du Centre d'activités françaises de 1979 à 1980.

Depuis sa création en 1975, l’histoire du drapeau franco-ontarien s’inscrit si intimement dans l’histoire de l’Ontario français qu’il est parfois difficile de l’en dissocier. De plus, son évolution iconographique témoigne de l’adhésion de la communauté à ce symbole maintes fois adopté et modifié qui figure dans plusieurs logos, publications et en-têtes (NOTE 9).

Depuis 1977 et son adoption par l’ACFÉO, il est présent, à divers degrés, dans à peu près tous les moments clés de l’histoire franco-ontarienne. On le retrouve avec parcimonie (NOTE 10) dans la lutte pour obtenir une école secondaire de langue française à Penetanguishene (NOTE 11). Au cours de cette lutte, un groupe de militants apporte le drapeau franco-ontarien au premier ministre Bill Davis alors qu’il est à son chalet le 1er septembre 1979 et, qui plus est, on le fait flotter sur le toit de l’école de la Résistance (NOTE 12).

On signale sa présence aussi au fil des années 1980 et 1990 lors de rallyes et de manifestations pour l’éducation postsecondaire en français, que ce soit pour l’Université franco-ontarienne ou les collèges de langue française. C’est cependant dans le cadre de la campagne SOS Montfort (NOTE 13), et plus particulièrement lors du Ralliement du 22 mars 1997, que le drapeau devient réellement un puissant outil de sensibilisation. Michel Gratton, un des organisateurs de l’événement, se remémore : « C’était la première fois que je trouvais beau mon drapeau, la première fois qu’il me frappait droit au cœur, la première fois qu’il signifiait quelque chose de vital pour moi, mon identité et mon appartenance (NOTE 14) ». La présence de nombreux drapeaux est, par ailleurs, un effort concerté. À l’initiative de Michel Gratton et de maître Ronald Caza, on cherche à en faire un symbole de la lutte de Montfort tant auprès de la population franco-ontarienne que dans les médias, notamment ceux de langue anglaise qui se disent d’ailleurs « étonnés du succès de cette manifestation de patriotisme franco-ontarien (NOTE 15) ».

Manifestation à Queen's Park en faveur d'un réseau de collèges de langue française en Ontario, Toronto, 25 mai 1992.

Au cours des années 2000, le drapeau continue à faire parler de lui. Le 21 juin 2001, le gouvernement ontarien lui confère le titre de symbole officiel de l’Ontario, au même titre que le drapeau ou le blason de la province (NOTE 16). Signe de son importance symbolique, en avril 2003, le refus de le faire flotter en permanence devant l’Hôtel de Ville du Grand Sudbury, sa ville natale, fait couler beaucoup d’encre et mène à l’adoption du drapeau dans plusieurs communautés partout dans la province. En 2006, le premier geste politique du nouveau maire de la ville du Grand Sudbury, John Rodriguez, est de hisser le drapeau franco-ontarien à la Place Tom Davies où on retrouve des bureaux du gouvernement provincial de même que l’Hôtel de Ville. Il y flotte maintenant en permanence. Afin de souligner son 30e anniversaire, un livre, Le drapeau franco-ontarien, est publié en 2005. De plus, depuis 2007, des « Monuments de la francophonie (NOTE 17) », mettant en vedette d’immenses drapeaux franco-ontariens et des plaques qui commémorent l’histoire de l’Ontario français, sont érigées dans l’est de Ontario de même que dans le Moyen-Nord.

En se penchant sur son parcours, on ne peut que remarquer le poids emblématique et patrimonial croissant du drapeau franco-ontarien. Plus qu’un simple étendard, il est dorénavant un outil de lutte et de revendication, un symbole de fierté, et, dans certains cas, l’expression même d’une identité.

 

Stéphanie St-Pierre
Doctorante (Université de Montréal) et chargée de cours (Université Laurentienne)

 

 

NOTES

1. Entrevue avec Michel Dupuis, enregistrée le 17 juillet 2003 à Sudbury, dans Stéphanie St-Pierre, « Le drapeau franco-ontarien : “puissent ses couleurs nous rallier dans une nouvelle amitié et fraternité”, 1975-1977 », dans Guy Gaudreau (dir.), Le drapeau franco-ontarien, Sudbury, ACFO du grand Sudbury et Prise de parole, 2005, p. 14.

2. Les publicités et les descriptions du drapeau évoquent généralement le vert des étés et le blanc des hivers. Toutefois, comme le note Francine Tisdelle, les concepteurs voulaient aussi représenter l’espoir. Voir Francine Tisdelle, « Un drapeau aux multiples facettes : quelques réflexions sur l’iconographie du drapeau franco-ontarien », dans Guy Gaudreau (dir.), Le drapeau franco-ontarien, p. 99.

3. Le premier drapeau franco-ontarien affichait une proportion d’environ 1 : 1,5 et la fleur de lys était légèrement plus étroite (voir image). Le drapeau actuel affiche une proportion de 1 : 2, étant deux fois plus large que haut (ibid., p. 100).

4. Tina Desabrais, « L’implantation communautaire, 1977-1995 », dans Guy Gaudreau (dir.), Le drapeau franco-ontarien, p. 43.

5. Entrevue avec Gaétan Gervais, enregistrée le 23 juillet 2003 à Sudbury, dans Stéphanie St-Pierre, loc. cit., p. 14-15.

6. Il existe deux exemplaires de ce « premier drapeau », l’un qui appartient à Gaétan Gervais et l’autre à Jacline England.

7. Extrait d’un texte de Michel Dupuis, dans Stéphanie St-Pierre, loc. cit., p. 15.

8. Voir le certificat d’enregistrement du Bureau du droit d’auteur, dossier no 168658, daté du 7 octobre 1975, qui désigne Gaétan Gervais et Michel Dupuis comme coauteurs du « drapeau franco-ontarien. »

9. Pour une lecture détaillée de l’évolution iconographique du drapeau franco-ontarien, voir Francine Tisdelle, loc. cit., p. 99-113.

10. Certaines réactions dans la presse indiquent toutefois que ce symbole n’est pas encore suffisamment diffusé pour le rendre incontournable. On voit dans des caricatures du journal Le Droit, ainsi que dans le Globe and Mail, l’utilisation de la fleur de lys et non du drapeau franco-ontarien (Tina Desabrais, loc. cit.).

11. Cette lutte scolaire devient la référence symbolique des difficultés encourues par les Franco-Ontariens en matière d’éducation de langue française. En 1979, la communauté, avec l’appui de l’ACFÉO, fonde l’école secondaire de la Huronie que l’on nomme parfois l’école secondaire de la résistance. En 1980, croyant que la construction d’une nouvelle école secondaire est imminente, on ferme l’école de la résistance et les élèves réintègrent l’école secondaire publique de langue anglaise. Toutefois, le conseil scolaire de Simcoe refuse toujours de construire l’école et la crise ne se solde qu’en 1982, par un jugement de la Cour supérieure de l’Ontario et la fondation de l’école secondaire Le Caron.

12. École secondaire de la Huronie – il y a 25 ans (1979), « La vie à l’École secondaire de la Huronie », Albums photo [en ligne], http://www.huronie.com/divers/index.html, consulté le 9 septembre 2009. 

13. SOS Montfort est un groupe de pression qui lutte contre la fermeture de l’hôpital Montfort d’Ottawa, un établissement communautaire et universitaire de soins de courte durée lié à la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa qui met l’accent sur les services en français. SOS Montfort cherche à rallier tous les Franco-Ontariens et Franco-Ontariennes à sa cause, par l’entremise de l’utilisation du drapeau, mais aussi en se référant à la première lutte épique de l’Ontario français, contre le Règlement XVII, lutte que l’on décrit parfois comme le mythe fondateur de l’Ontario français. Pour en savoir davantage sur les liens à établir entre SOS  Montfort et le Règlement XVII, consulter Marcel Martel, « Usage du passé et mémoire collective franco-ontarienne : le souvenir du Règlement 17 dans la bataille pour sauver l’hôpital Montfort », Mens : revue d’histoire intellectuelle de l’Amérique française, vol. VI, no 1, automne 2005, p. 69-94.

14. Michel Gratton, Montfort : la lutte d’un peuple, Ottawa, Centre franco-ontarien de ressources pédagogiques, 2003, p. 104.

15. Denise Quesnel, « Un mouvement politique indécis, 1995-2004 », dans Guy Gaudreau (dir.), Le drapeau franco-ontarien, p. 75.

16. La province compte dix symboles officiels. Pour en consulter la liste complète, voir Espace Ontario du premier ministre Dalton McGuinty, « Symboles officiels de l'Ontario », Mon Ontario [en ligne], http://www.onzone.ca/french/ontario/symbols/symbols.asp, consulté le 9 septembre 2009.

17. Voir le site des Monuments de la francophonie [en ligne], http://www.mondrapeaufranco.ca/fr/.

 

BIBLIOGRAPHIE

École secondaire de la Huronie – il y a 25 ans (1979),  « La vie à l’École secondaire de la Huronie », Albums photo [en ligne], http://www.huronie.com/divers/index.html, consulté le 9 septembre 2009. 

Espace Ontario du premier ministre Dalton McGuinty, « Symboles officiels de l'Ontario », Mon Ontario [en ligne], http://www.onzone.ca/french/ontario/symbols/symbols.asp, consulté le 9 septembre 2009.

Gaudreau, Guy (dir.), Le drapeau franco-ontarien, Sudbury, ACFO du grand Sudbury et Prise de parole, 2005, 135 p.

Gratton, Michel, Montfort : la lutte d’un peuple, Ottawa, Centre franco-ontarien de ressources pédagogiques, 2003, 805 p.

Martel, Marcel, « Usage du passé et mémoire collective franco-ontarienne : le souvenir du Règlement 17 dans la bataille pour sauver l’hôpital Montfort », Mens : revue d’histoire intellectuelle de l’Amérique française, vol. VI, no 1, automne 2005, p. 69-94.

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  • FRANCO-ONTARIEN aujourd'hui et demain Simon Laflamme, directeur du programme de doctorat en sciences humaines de l'Université Laurentienne, à Sudbury, et Chloé Hallée-Théoret, étudiante en sciences humaines à L'Université Laurentienne, présentent leur point de vue sur la situation des Franco-Ontariens en 2012, le chemin parcouru depuis les années 1960 et les perspectives d'avenir de cette communauté francophone en milieu minoritaire. Simon Laflamme précise les défis auxquels ils font face et les conditions qui favorisent leur vitalité, parmi lesquelles figure au premier rang l'instruction post-secondaire.
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