Films fixes de l’ONF en France : un certain regard sur le Canada

par Nourrisson, Didier

Le peuple canadien

Il est un patrimoine, bien oublié aujourd'hui, qui a pourtant longtemps servi à représenter le Canada à l'étranger : les films fixes d'enseignement. Ces films servaient de support visuel dans les classes françaises, notamment pour enseigner l'histoire du Canada. Destinés à tous les cycles de l'enseignement primaire et secondaire, ils présentaient des dessins, des photographies ou des tableaux choisis pour leur pouvoir d'évocation de ce que l'on considérait être la « réalité canadienne ». Pour la plupart réalisés par l'Office National du Film, dès sa création (1945), les films fixes sur le Canada ont été remis par l'ambassade du Canada à l'Éducation nationale française et intégrés dans le circuit du cinéma éducateur, où ils ont été utilisés jusqu'à ce que les diapositives les détrônent dans les années 1970. Véritable mine d'or du point de vue iconographique, on commence à peine à découvrir leur potentiel pour étudier la représentation du Canada à l'étranger : plusieurs projets de recherche s'attachent actuellement à numériser, classifier et analyser ce riche patrimoine documentaire.


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« Qu'est-ce qu'un film fixe ? »

Mais au fait, « qu'est-ce qu'un film fixe ?» (NOTE 1) Les films fixes sont des rouleaux de pellicules de 35 mm, longs d'un mètre environ. En cela, ils sont semblables aux films photographiques, mais à la différence de ces derniers, les films fixes comportent des vues « positives » (et non négatives comme c'est le cas pour les pellicules photographiques) en noir et blanc ou en couleur. Ils se présentent dans des boîtes solides de forme parallépipédique (4x3x3 cm) ou cylindrique (4x3 cm), en métal, carton ou plastique. Ils peuvent être accompagnés de notice explicative.

En France, ces films étaient généralement produits par des Maisons d'éditions générales comme Larousse, depuis les années 1930, ou plus souvent spécialisées, comme l'Office Scolaire de l'Enseignement par le Film (OSEF) ou EditaFilms, deux organismes très actifs dans les années 1950. Ils étaient vendus directement aux écoles ou prêtés par les Offices du Cinéma Educateur, qui « couvraient » les différentes Académies sur le territoire.

 

La projection du savoir

La projection du savoir

Les films fixes ont été utilisés dans les classes pour l'enseignement par l'image durant une cinquantaine d'années (fin des années 1920 - début des années 1970), jusqu'à ce que les diapositives les détrônent. Ils étaient destinés, bien que ce ne soit pas toujours précisé, à tous les cycles de l'enseignement primaire et de l'enseignement secondaire. Ils servaient de support visuel lors de séquences d'enseignement diverses : l'instituteur ou le professeur projetait, avec un appareil particulier, et commentait l'une après l'autre les diverses vues. 

Les sujets abordés dans les films fixes sont très variés ; ils balaient toutes les disciplines enseignées et couvrent tous les programmes : lettres, histoire, géographie, sciences de la vie et de la terre, sport, sciences physiques, technologies... De nombreux films traitent aussi de sujets transversaux tels que santé, hygiène, actualités, catéchisme, etc.  Les vues des films fixes sont des dessins, des tableaux ou des photographies. Les dessins sont plus particulièrement utilisés pour les films récréatifs, tandis que tableaux et  photographies, souvent très originales, intéressent les films d'enseignement général.

 

Une riche source d'iconographie canadienne

Au début des années 1950, l'ambassade du Canada à Paris remet plusieurs dizaines de films fixes produits par l'Office National du Film. La Fédération Française du Cinéma Éducatif  en recense 51 (NOTE 2). Beaucoup sont accompagnés de notices ; plusieurs sont en couleurs (voir la liste des films en document complémentaire).

Le peuple canadien: paysages

Ces films ont, pour partie, été retrouvés dans le fonds de l'Office du Cinéma Éducateur de la Loire, qui « irriguait » huit départements du Sud-Est de la France depuis la ville de Saint-Étienne. Á l'heure actuelle, 19 films (672 vues au total) ont été retrouvés. La recension ne fait que commencer car les titres ont été légèrement modifiés, les numéros de catalogage ont été changés, le nombre de vues parfois est amputé (NOTE 3). Les 18 notices également retrouvées sont toutes labellisées par la société ÉditaFilms. Elles prouvent donc qu'il ne s'agit pas des notices originelles ; elles ont dû être réalisées afin d'adapter le commentaire à un public français (NOTE 4).

Grâce à ces films, le Canada commence à entrer dans les programmes scolaires français. Jusqu'à la fin des années 1930, l'histoire canadienne ne figurait dans les manuels que par quelques lignes au moment des grandes découvertes ou lors des guerres franco-anglaises du XVIIIe siècle : la géographie des « grandes puissances » l'ignorait superbement. Après 1945, le Canada est régulièrement cité pour ses productions de blé et de minerais (avec une forte insistance sur le produit « moderne », l'aluminium) et l'histoire du Canada est résolument placée dans une histoire coloniale mondialisée. Certains documents - une photographie de la baie de Gaspé, une « carte de la Nouvelle France établie par Champlain » - (NOTE 5) semblent provenir directement des films fixes.

L'esquimau canadien: sous la tente

Les films numérotés 3000 à 3005 fournissent, en effet, des renseignements sur les aspects géographiques du Canada et sur ceux de chaque province (NOTE 6), alors que ceux numérotés de 3006 à 3011 présentent des films de « documentation générale », dont L'esquimau canadien (n°3006) et Exploitation forestière (n°3009). C'est cependant la notice du film n°12 042 (ex n°3012), Découverte et exploration, qui donne la clé d'accès à toute la collection. L'histoire du Canada est déroulée en 4 films (n°3012-3015). Les Archives publiques du Canada sont dûment remerciées pour avoir fourni « bon nombre d'anciens clichés » (NOTE 7). On notera en effet avec intérêt la présence de nombreuses photographies souvent méconnues : lord Strathocana « fixant la dernière chevillette » du premier transcontinental ; les débuts de la ville de Winnipeg ; le pont de chemin de fer de l'intercolonial ; sans oublier les portraits de tous les pères de la nation et de la Confédération canadienne. Les cartes de 1502 (voyage de Jean Cabot) à 1931 (acte de Westminster) sont également évocatrices. Certaines de ces diapositives sont pourtant de simples dessins, plus proches de la bande dessinée que d'une gravure originale.

 

Un Canada idéalisé

Ces films donnent une vision particulièrement intéressante du Canada des années 1950 et surtout de l'image que les autorités canadiennes veulent projeter de leur pays. Bien sûr, les images les plus propices à la constitution du patrimoine portent sur les hommes et leurs activités. Toute l'espace canadien est regardé ; la vie politique de la Confédération est évoquée ; l'histoire est souvent invoquée. La qualité des photographies est souvent remarquable. La démarche pédagogique ne manque pas non plus d'intérêt. Le film n°12 040 Houillères du Canada (62 vues) est un modèle du genre : la scène se déroule dans un wagon de chemin de fer. Un père répond à son fils Michel et réalise différents dessins explicatifs.

Le peuple canadien: population d'origine française

Le film Le peuple canadien résume parfaitement les idées régnantes et le désir de projeter une image positive du Canada. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, dans le but d'attirer les immigrants, on décrit avec un certain idéalisme les Canadiens comme « des gens simples, épris de paix et de démocratie ». Le film propose un parcours historique et démographique plutôt souriant. Négligeant les autochtones, équilibrant les forces politiques et culturelles (« Français » et « Anglais ») dans une confédération fraternelle, il conclut, optimiste : « c'est un peuple cultivé, sensible à toutes les formes de l'art. Les Canadiens sont religieux, mais tolérants. Tous ces hommes, toutes ces femmes, même s'ils ont au cœur le souvenir d'un autre pays, sont maintenant des Canadiens, libres et forts, ayant devant eux un avenir plein de promesses ». (Pour plus de détails, consulter la description de ce film en document complémentaire). Il n'est d'ailleurs pas anodin de souligner que certains de ces films sont clairement « présentés par le service de la citoyenneté, ministère de la citoyenneté et de l'immigration » du Canada !

 

La redécouverte d'un patrimoine iconographique exceptionnel

Depuis quelques années, on recommence à s'intéresser à ce riche patrimoine visuel. En France, l'étude des films fixes est engagée sur de multiples fronts. Un projet de recherche portant le titre de «Voir et savoir : images et pédagogie » vient d'être amorcé à l'INRP de Lyon. Les films fixes portant sur l'hygiène et la santé publique, sur les activités sportives et physiques, et plus globalement sur la promotion par l'image de la Sécurité sociale, ont été plus particulièrement étudiés. Les films fixes portant sur l'histoire commencent aussi à être exploités : quelques chercheurs ont mené des études mettant en parallèle les films fixes traitant de la Seconde Guerre mondiale ainsi que de l'URSS avec les manuels scolaires utilisés au temps de la guerre froide (voir notamment travaux de Nicole Verney-Carron et Didier Nourrisson). L'immense vivier des films fixes de géographie et de sciences est peu à peu exploré. Pour l'instant, la numérisation de ces films est en cours par le laboratoire de photographie et de TICE de l'université Lyon 1.

La projection du savoir

Les plus importants centres actuels de documentation sur les films fixes, qui ont réalisé un catalogage numérique et parfois une numérisation de leurs images, sont :

  • - Le CREDIE (Centre de recherche et de Documentation sur l'Image en Éducation de l'IUFM /Université Lyon 1) (10 000 films fixes) ;
  • - Le Centre d'Étude, de Documentation et de Recherche en Education (CEDRE, IUFM/Université Montpellier 3) (4500 films fixes) ;
  • - Le Service Audio-Visuel du Diocèse d'Angers (SAVDA) (3000 films fixes) ;
  • - D'autres établissements en France commencent le repérage et le catalogage de leurs collections (Musée de l'Éducation à Rouen, Cinémathèque de Paris, Archives salésiennes de Lyon, Musée de la Bande dessinée d'Angoulème, etc.).

Dans le cas des films fixes canadiens, les travaux ne sont malheureusement qu'embryonnaires. À l'heure actuelle, les centres d'interprétation sur le Canada et autres centres d'études canadiennes ne connaissent ni n'exploitent ce magnifique patrimoine documentaire ! Il est à souhaiter que des collaborations franco-canadiennes permettront de combler cette lacune dans un futur rapproché.

 

Didier NOURRISSON
Professeur d'histoire contemporaine
Université Claude Bernard Lyon 1/ IUFM

 

NOTES

1. Selon le titre d'un des films de la collection canadienne cataloguée dans la revue Films et documents de la Fédération française du cinéma éducatif (no 72, octobre 1953). Ce catalogue comprend près de 3 500 titres. La liste des films remis par l'ambassade du Canada (72, avenue Foch, à Paris) est donnée en annexe.

2. Films et documents : revue des techniques audio-visuelles, no 72, octobre 1953, p. 113-139. La Fédération française du cinéma éducatif, fondée en 1937 par des instituteurs cinéastes et cinéphiles, a pour objectif de promouvoir les nouvelles technologies éducatives.

3. Une recherche entreprise sous l'autorité de l'Association française d'études canadiennes (AFEC) devrait bientôt commencer auprès de tous les centres de documentation de films fixes en France et, bien sûr, à l'Office national du film de Montréal.

4. Quelques « perles » de traduction : la « zone fromenteuse » (FF no 12 033, vue no 10) devient la « zone fromentière »; « le Mont Riddle et le lac McArthur » (FF no 12 034, vue no 8) deviennent simplement « montagnes et lacs » de Colombie-Britannique; la « fonderie de Trail » résume la « ville de Trail » (FF no 12 034, vue no 14); « érablière du Québec » pour « une plantation d'érables à sucre » (FF no 12 032, vue no 18); les « mayettes » sont changées en « gerbes » (FF no 12 041, vue no 16), etc.

5. Mona Ozouf et Philippe Pinchemel, Géographie, 6e, Paris, Fernand Nathan, 1951, p. 286.  

6. No 3000 : Introduction. La géographie de l'époque commence toute présentation de pays par les aspects physiques, c'est-à-dire géologiques et pédologiques; no 3001 : Les provinces maritimes; no 3002 : La province de Québec; no 3003 : Les provinces des Prairies; no 3004 : Colombie-Britannique – Yukon – Territoires du Nord-Ouest; no 3005 : Terre-Neuve.

7. Une vue (no 18, film no 3008 : Ottawa) présente les Archives publiques et affirme qu'il s'y trouve « plus de 25 000 photos, croquis et illustrations [qui] couvrent la période de 1565 à nos jours ».

 

Bibliographie

Borde, Raymond, et Charles Perrin, Les offices du cinéma éducateur et la survivance du muet (1925-1940), Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1992, 120 p.  

Nourrisson, Didier, « Des films fixes pour enseigner », Inter CDI, no 210, novembre-décembre 2007, p. 69-74.

Nourrisson, Didier, et Jacqueline Freyssinet-Dominjon, L'école face à l'alcool : un siècle d'enseignement antialcoolique, 1870-1970, Saint-Étienne (France), Publications de l'Université de Saint-Étienne, 2009, 198 p.

Nourrisson, Didier, et Paul Jeunet (dir.), Cinéma-école : aller-retour. Actes du colloque de Saint-Étienne, novembre 2000, Saint-Étienne (France), Publications de l'Université de Saint-Étienne, 2001, 278 p.

Pastre-Robert, Béatrice de, Monique Dubost et Françoise Massit-Folléa, Cinéma pédagogique et scientifique : à la redécouverte des archives, Lyon, ENS Éditions, 2004, 133 p.

Ueberschlag, Josette, Jean Brérault, l'instituteur-cinéaste (1898-1973), Saint-Étienne (France), Publications de l'Université de Saint-Étienne, 2007, 332 p.

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