Toponymie du Québec: un inventaire de richesses culturelles

par Dorion, Henri

Avenue Royale, Beauport

La toponymie témoigne des diverses phases d¹occupation du territoire québécois en commémorant les personnages et les évènements qui ont marqué son histoire. Les centaines de milliers de noms de lieux qui composent le trésor toponymique du Québec sont gérés par la Commission de toponymie qui s'est vu confier un double mandat : celui d'attribuer des noms à des milliers de lieux encore anonymes et celui de consigner dans ces noms la mémoire des composantes de la société québécoise et des différents époques de son évolution. En quelque sorte, la constitution du trésor toponymique du Québec représente, à plusieurs égards, un inventaire de ses richesses culturelles. 


Article available in English : Toponymie du Québec: un inventaire de richesses culturelles

Fonctions de la toponymie

La toponymie d'un territoire, c'est l'ensemble des noms de lieux, ces mots et expressions qui désignent les innombrables éléments qui composent les paysages naturels et humanisés du territoire en question. La toponymie, c'est aussi la science qui étudie ces noms, leur origine, leur signification, leur évolution, leurs relations avec les lieux qu'ils désignent. Elle le fait selon deux approches différentes et complémentaires qui correspondent à la double mission dont elle est investie.

Sa première fonction est de permettre une identification des lieux qui soit précise et, idéalement, univoque. Pour remplir ce rôle, la toponymie doit être normalisée, c'est-à-dire traitée, consignée et diffusée de manière à ce que la relation entre le nom et le lieu qu'il désigne soit claire et non équivoque et que cette relation soit le plus largement connue. La toponymie joue aussi un rôle important par sa contribution à l'enrichissement de la mémoire collective liée aux lieux nommés. En effet, la toponymie constitue un mode d'accès à la connaissance géographique du pays et du contexte historique, social et politique dans lequel les différents éléments qui le composent ont été nommés.

 

Évolution de la toponymie québécoise

Détail, Carte geographique de la Nouvelle Franse, par Samuel de Champlain, 1612.

Le corpus toponymique du Québec, bien que très jeune par comparaison à ceux des pays européens par exemple, est riche et diversifié parce qu'il a connu des variations significatives dans le temps comme dans l'espace. Il a, de ce fait, enregistré de nombreux témoignages des réalités géographiques, historiques et culturelles des paysages du Québec et de la société québécoise. La toponymie constitue donc un élément très important du patrimoine culturel québécois.

À l'époque de l'arrivée des Européens dans le Nouveau Monde, les différents éléments du paysage québécois faisaient déjà l'objet de désignations qu'utilisaient les Autochtones au gré de leurs contacts et de leurs migrations. Malheureusement, la plus grande partie de ce vocabulaire a été perdue à cause du caractère exclusivement oral  de son usage. Découvreurs et explorateurs eurent donc beau jeu d'attribuer des noms aux accidents géographiques qui se trouvaient sur leur parcours, de les cartographier et, assez souvent mais malheureusement pas toujours, inscrire les motifs du choix des noms ainsi attribués. Par additions et modifications successives, le vocabulaire nominatif du Québec s'est progressivement enrichi.

Ce processus de sédimentation toponymique a fait que la carte géographique du Québec constitue aujourd'hui un registre précieux de l'occupation progressive du territoire. On y retrouve des noms dans la dizaine de langues autochtones qui ont nommé le pays. En plus des quelques centaines de toponymes qu'avaient consignés les découvreurs et les explorateurs (Québec, Hochelaga, Saguenay, Tadoussac), un patient travail de récupération de cette toponymie menacée par l'oubli a heureusement permis de la réintégrer dans l'usage, du moins partiellement.

Détail, Carte du cours du Fleuve de Saint Laurent, par Nicolas Bellin, Paris, 1761

Les deux premiers siècles de ce que l'on peut appeler le second chapitre de l'histoire du Québec ont été naturellement marqués par une toponymie d'origine française qui rappelait les lieux et les personnages de la mère patrie. Le mont Royal, le chemin du Roy, l'île d'Orléans ainsi que les nombreux Cartier, Frontenac et Champlain qui ponctuent la carte du Québec en témoignent éloquemment.

Le siècle qui a suivi la Conquête a répandu à la grandeur du Québec, mais surtout dans la partie sud où se sont installés les Loyalistes fuyant les États-Unis, des noms rappelant cette nouvelle mère patrie que fut la Grande-Bretagne. Le quadrillage du territoire par les townships (cantons) créés durant cette période s'accompagna de désignations anglaises qui subsistent aujourd'hui.

Détail, A New map of the Province of Lower Canada describing all the seigneuries, townships, grants of land, &c...

Puis vint une lente renaissance du caractère français du Québec, par l'addition progressive de nouveaux noms au fur et à mesure que les Québécois occupaient, développaient et exploitaient leur territoire. Le résultat de cette évolution se manifeste dans le caractère trilingue du trésor toponymique québécois (autochtone, français et anglais) dont le profil, fait intéressant, n'est pas très différent de celui de la composition ethnique de la population québécoise. Il faut dire que ces contacts linguistiques se sont manifestés de façon non seulement juxtaposée mais aussi, pour ainsi dire, superposée en créant bon nombre de toponymes hybrides du type Saint-Louis-de-Blandford, Salaberry-de-Valleyfield, L'Ascension-de-Patapédia, Escuminac Flats, exprimant ainsi, au niveau toponymique, la convivialité entre communautés différentes.

 

La Commission de toponymie

À divers égards, la société québécoise évolue et, au fur et à mesure de cette évolution, la toponymie en enregistre les éléments les plus significatifs. La connaissance accrue du territoire, de ses particularités géographiques et de ses ressources, les réalisations attachées aux noms de personnages qui ont marqué l'histoire, voilà autant de facteurs qui contribuent continûment à l'enrichissement progressif de la toponymie et de la mémoire collective qu'elle constitue.

Rivière Jacques-Cartier

Pour que la toponymie remplisse correctement son double rôle, il importe que le vocabulaire géographique, tant des noms de lieux eux-mêmes que des termes géographiques qui entrent dans leur composition, soit géré, c'est-à-dire fasse l'objet d'une attention continue de la part de l'État qui doit en assurer la qualité, l'exactitude et la correction, grammaticale comme géo-historique. Ce mandat est confié par la loi à la Commission de toponymie, organisme administrativement rattaché à l'Office québécois de la langue française.

Il est important de préciser que la mission de cet  organisme n'est pas de procéder à la francisation de la toponymie du Québec. Celle-ci, en tant que miroir de la société qui a nommé son territoire tout au long de son évolution, doit refléter les diverses composantes de la société québécoise et de son histoire. Vue dans son ensemble autant que selon ses manifestations régionales, la toponymie du Québec évoque ces diverses composantes et il importe de les conserver comme de précieux témoignages historiques. Cela dit, le caractère officiellement français de la société québécoise a un impact sur la prédominance du français dans l'attribution de noms à de nouvelles entités ou à des entités qui étaient encore innommées.

Heureusement, les noms de lieux ont la vie plus dure que les réalités ou les évènements qu'ils ont consignés ; ils leur survivent souvent, de telle sorte qu'ils permettent de garder à la surface de la mémoire des éléments géographiques ou historiques que le temps a effacés. On peut ainsi refaire la carte des moulins qui, au temps jadis, ont couvert le Québec grâce aux nombreux toponymes s'y référant : plus de 600 ! Autre exemple : le fait que des presqu'îles soient encore aujourd'hui identifiées par la toponymie comme des îles constitue un témoignage permanent de changements géomorphologiques  passés.

Depuis toujours, la toponymie, en plus de décrire les paysages en inscrivant des repères visuels dans les noms attribués, a aussi l'habitude de nommer les territoires en commémorant le souvenir de personnages importants. Le territoire québécois regorge de ces références aux découvreurs, aux explorateurs, aux personnages politiques et religieux, beaucoup moins malheureusement aux scientifiques, mais de plus en plus aux personnalités du monde culturel. La carte du Québec constitue ainsi une sorte d'encyclopédie géographique, historique et culturelle du pays et de la société qui l'a habitée et développée.

Pont Jacques Cartier Bridge, Montréal, Canada

La toponymie, de Monseigneur de Laval au Curé Labelle, de Jacques-Cartier à René Lévesque, de Montcalm à Triquet, de Louis Jolliet au Capitaine Bernier, avait jusqu'à récemment surtout honoré la mémoire de personnages issus de la politique, de la religion, du monde militaire et de celui de l'exploration. Plus récemment, ceux qui ont contribué à enrichir la science et la culture se sont aussi retrouvés dans la nomenclature géographique du Québec. Ainsi, l'histoire y est représentée par la paroi François-Xavier-Garneau, la géographie par le mont Raoul-Blanchard, la géologie par le mont Logan, la médecine par le mont Irma-Levasseur, la botanique par le mont Marie-Victorin, l'architecture par la rivière Baillairgé, la peinture par le lac Clarence-Gagnon, la littérature par le mont Félix-Antoine-Savard, la poésie par le canton Nelligan, la musique par le canton Dessane... La liste est longue et elle s'enrichit constamment.

À l'échelle de l'histoire universelle, le Québec est un pays neuf, ce qui explique que les occupants n'ont pas eu l'occasion de nommer tous les accidents géographiques qui composent son territoire. Le défi est de taille pour l'autorité dont la mission est d'attribuer un nom à tous ces éléments du paysage, car ceux-ci sont plus nombreux que les mots des langues française, anglaise et autochtones réunis. C'est là la mission principale de la Commission de toponymie du Québec, celle d'inventorier, de traiter, de consigner, d'officialiser, de conserver et de diffuser les noms de lieux du Québec. 

 

Un imposant trésor

Pour juger de la richesse du trésor toponymique du Québec, il convient de consulter deux sources fondamentales :

1) Un ouvrage dont la deuxième édition a été publiée en 2007, Noms et lieux du Québec : plus de 6 000 lieux du Québec sont l'objet d'une description géographique et historique en rapport avec le nom qui les désigne.

2) Le site Internet de la banque de données toponymique du Québec, intitulée TOPOS : on y trouve toutes les informations utiles et disponibles (et non tarifées) concernant les noms des quelque 300 000 noms de lieux du Québec.

Un travail énorme a donc été accompli par la Commission de toponymie du Québec (CTQ) depuis sa création en 1977, mais le travail à faire est également considérable. Moins de 10% des quelque 900 000 plans d'eau du Québec ont un nom connu. Les montagnes sont encore plus souvent anonymes. La CTQ a donc un devoir de création de toponymes, faute de ressources permettant les nombreux inventaires que requérraient l'enrichissement de la banque de toponymes en usage. La gestion toponymique comporte de nombreux autres volets, tels l'application des dispositions générales de la Charte de la langue française dans un contexte local partiellement ou non francophone, la gestion des toponymes affectés par les fusions municipales, la question délicate et souvent empreinte de subjectivité  de la commémoration toponymique, l'équilibre à assurer entre les normes linguistiques et le respect d'usages parfois flottants sinon contradictoires, le contrôle du respect de la toponymie officielle dans les documents officiels et, marginalement, le traitement en français des toponymes étrangers.

En un mot, la toponymie du Québec, en tant qu'élément important de son patrimoine culturel, exige une gestion serrée et éclairée qui en assure la connaissance, le respect et la diffusion. Car nommer le Québec, c'est décliner la richesse de sa culture.

 

Henri Dorion
Professeur émérite
Université Laval

Documents complémentairesCertains documents complémentaires nécessitent un plugiciel pour être consultés

Photos
PDF

Ailleurs sur le web

Retour vers le haut

© Tous droits réservés, 2007
Encyclopédie du patrimoine culturel
de l'Amérique française.

Gouvernement du Canada