Acadie urbaine: nouvel espace virtuel du patrimoine acadien

par Robineau, Anne

Acadie Urbaine.net

Le site web « Acadie urbaine » est un nouvel espace virtuel de la culture acadienne contemporaine. Plus qu'un forum d'idées et de création, il symbolise l'ancrage de jeunes artistes et d'intellectuels dans une Acadie moderne et ouverte sur le monde. Cette contribution originale au patrimoine culturel acadien témoigne du dynamisme d'une génération s'émancipant progressivement d'une histoire marquée par la déportation et les élans nationalistes. Comme outil transcendant les frontières, ce site web représente aussi un tout nouveau rapport au territoire : celui d'une culture acadienne en réseau.

Article available in English : Acadie Urbaine: A New Virtual Web Space for Acadian Heritage

Le monde virtuel d'« Acadie urbaine » : un substitut au folklore

Logo de TVAU

Le site web Acadie urbaine est né du besoin de créer un lieu d’échange adapté à la réalité acadienne d’aujourd’hui. Cette réalité est notamment marquée par l’appropriation d’une culture urbaine qui met en valeur l’ancrage dans une culture locale et l’ouverture sur une culture mondiale. Les médias, les nouvelles technologies et des phénomènes plus généraux, comme la mondialisation économique et culturelle, favorisent l’émergence de cette nouvelle mentalité qui trouve un écho particulier chez une génération désireuse de changements. Ainsi, le site web Acadie urbaine tente de rassembler tous ceux et celles qui se définissent par rapport à l’identité acadienne et qui revendiquent en même temps une certaine modernité. Ce monde virtuel offre une autre façon de voir la société acadienne que celle proposée par la vision folklorisante, sur laquelle la construction du patrimoine acadien a longtemps reposé.

Créé en 2004 à Moncton par Pat Furlong et un groupe d’artistes d’« Acadie urbaine », cet espace virtuel abrite, entre autres, une radio, des forums de discussion, une galerie d’art numérique, une télévision (TVAU) dont le contenu est principalement alimenté par les membres du site. Plusieurs sections sont encore en construction, comme celle portant sur l’histoire de l’Acadie et celle visant à constituer une base de données des artistes contemporains acadiens. Mais déjà, l’utilisation de ce nouveau média en fait un espace original d’échanges sur ce qui compose aujourd’hui la culture et l’identité acadiennes. Le forum de discussion est à la fois l’occasion d’échanges informels et de réflexions plus profondes sur la nécessité de contribuer à une « Acadie plus inclusive ». Dans cette perspective, la critique de l’histoire et des institutions est considérée comme une étape importante pour y parvenir. La critique artistique y est aussi décrite comme un moyen d’atteindre pleinement la modernité revendiquée par cette jeune génération d’artistes et d’intellectuels. Des textes marquants rédigés par ceux qui incarnent ce changement peuvent être lus sur ce site web, comme celui du poète Gérald Leblanc, considéré par beaucoup d’artistes comme le « père » de la modernité artistique en Acadie.

Logo de SSNAP

Outre ce contenu, plusieurs événements artistiques sont annoncés sur Acadie urbaine, comme le Symposium des sons nouveaux dans une Acadie plurielle (SSNAP), un événement artistique multidisciplinaire annuel qui fait connaître les créations les plus récentes au public acadien. Également, la télévision TVAU met en ligne de petits reportages sur des spectacles ou des festivals portant sur la culture acadienne comme le Festival du cinéma francophone en Acadie, le festival Frye, un festival de littérature, ou encore les Nuits acadiennes de Paris et le lancement du DVD d’Acadieman, un super héros acadien. Acadie urbaine propose aussi un répertoire musical disponible en ligne par l’intermédiaire de la Radio Acadieurbaine.net. Finalement, en utilisant de nouveaux moyens de créer des liens sociaux, ce site virtuel s’inscrit bien dans le renouvellement des discours sur l’identité acadienne. La culture en réseau est probablement une façon prometteuse de contribuer à la construction d’un patrimoine commun. Mais, cette construction a déjà été amorcée depuis longtemps de bien d’autres manières. Elle ne s’est pas faite non plus sans certains soubresauts au cours de l’histoire.

Culture et territoire : construction patrimoniale acadienne

Bénédiction des bateaux, Caraquet, 1992

Si Acadie urbaine traduit un désir de s’émanciper d’une vision traditionnelle de la culture, c’est paradoxalement en raison d’une volonté de réunir les Acadiens autour de leur langue, de leur foi et de leurs traditions que la culture acadienne s’est constituée. En effet, la construction du patrimoine acadien est liée aux premières tentatives de définir la culture acadienne, faute d’avoir un territoire clairement délimité. C’est ainsi qu'à la suite de la déportation des Acadiens et de leur retour progressif, un lent travail d’historiographie s’est accompli. Ce dernier a mis en scène différentes interprétations de l’histoire où le rapport au territoire et le statut de la communauté acadienne ont été discutés. Encore aujourd’hui, plusieurs définitions coexistent entre une Acadie comprenant toutes les provinces des Maritimes et un archipel de communautés acadiennes disséminées sur ce territoire, voire au-delà, notamment au Québec et en Louisiane. Malgré ces divergences, il est certain que l’Acadie existe au moins culturellement et symboliquement en s’appuyant sur un fort sentiment d’appartenance collective.

Ce sentiment d’appartenance a été construit au fil du temps par le peuple acadien et par le désir de son élite cléricale et bourgeoise de s’affirmer sur les plans religieux, politique et économique. Cette affirmation a surtout pris forme dans la deuxième moitié du XIXe siècle. À partir de cette période, la communauté acadienne a commencé à se doter plus systématiquement d’institutions d’éducation et d’organes de presse comme le fameux Moniteur Acadien. C’est ce qui a mené au développement d’une identité forte inspirée d’une conception diasporique et historique de la communauté.

Le Moniteur acadien

Cette conception, qui se superpose aujourd’hui à d’autres, a commencé à être remise en question à partir des années 1960. Comme dans le reste du Canada français, cette période a été marquée par une forte modernisation des institutions et par la politisation de débats de société. Au cœur des transformations sociales de l’époque, se trouve la mise en place d’un État-providence. Le militantisme qui l’accompagnait a alors provoqué un déplacement de la référence traditionnelle à un territoire acadien, même symbolique, vers une conception plus juridique. En effet, liés légalement au statut de leurs provinces, les Acadiens en sont venus à défendre leurs droits au sein de celles-ci. La province du Nouveau-Brunswick étant celle qui compte le plus d’Acadiens, des gains considérables ont pu y être réalisés. Le bilinguisme officiel de la province et la fondation de l’Université de Moncton, la première université entièrement francophone à l’extérieur du Québec, en font partie. Grâce à ces réussites sociales et politiques, la transmission de la culture acadienne pouvait dès lors aller de l’avant. En cultivant la fierté d’appartenir à cette culture, toute une génération d’Acadiens a contribué à la construction d’un patrimoine commun. Ce patrimoine a d’abord trouvé ses marques dans une relecture de l’histoire et une forte valorisation du folklore avant de s’ouvrir à des perspectives plus contemporaines et critiques. C’est dans ces dernières perspectives que s’inscrit la démarche d’Acadie urbaine. Pour en comprendre le positionnement, il faut faire le détour par une étape antérieure de la construction du patrimoine acadien, celle de la réinvention des symboles de la culture acadienne et de leur mise en scène.


Identité et culture acadienne : symboles et mise en scène de l’histoire

Les symboles culturels les plus connus du patrimoine acadien sont sans nul doute son drapeau tricolore (bleu, blanc, rouge) orné d’une étoile dorée, la fête nationale du 15 août et son hymne national tiré du cantique de l’Ave Maris Stella. Ces symboles constitués à la fin du XIXe siècle font référence à l’origine française des Acadiens, à leur dévotion à l’Église catholique et à leur ancrage dans les Maritimes.

Lune bleue, 1999

Un symbole plus récent, celui du Grand Tintamarre, mobilise les Acadiens lors de la fête nationale du 15 août. En effet, depuis 1992, les Acadiens sont invités à défiler dans les rues de leur ville dans une ambiance festive et en manifestant bruyamment leur présence par des objets et instruments bricolés. Lors de cette journée, les drapeaux acadiens se comptent par centaines et témoignent d’une identification encore très forte à la culture acadienne.

Ce retour ponctuel à la tradition trouve son prolongement dans d’autres manifestations culturelles. On ne cesse de retrouver des thématiques liées à l’histoire acadienne dans les arts, la littérature et la musique créés en Acadie. Le folklore est aussi devenu une attraction que des milliers de touristes apprécient chaque année. Le Pays de la Sagouine et le Village historique acadien sont deux des principales attractions où sont mis en scène l’histoire du peuple acadien, son mode de vie au fil des siècles et son expérience de la déportation.

Il ne faut pas croire, cependant, que la culture acadienne soit essentiellement constituée de folklore et de traditions. Une nouvelle génération d’artistes et d’intellectuels contribue à un autre pan du patrimoine acadien en proposant une alternative au folklore sans toutefois s’y opposer systématiquement. Elle s’en inspire pour mieux le critiquer, voire le parodier comme dans le cas d’Acadieman, ce super « anti-héros » acadien travaillant dans un centre d’appels, parlant en chiac et regardant les téléséries produites aux États-Unis. Le rôle d’Acadie urbaine est au centre de ces différentes visions de l’Acadie contemporaine en se transformant en une toile créative où convergent les idées les plus innovantes et en invitant chacun à s’inscrire désormais dans une conception pluraliste de la société. Le patrimoine acadien, insufflé par le dynamisme de ces jeunes créateurs, n’a pas fini de nous étonner. Il emprunte de nouvelles voies, mais sa continuité est assurée.


Anne Robineau
Chercheuse associée
Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques


BIBLIOGRAPHIE

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