Robert Cavelier de La Salle

par Marchand, Philip

(1643-1687) French explorer in America who named Louisiana after Louis XIV.

La Salle est considéré comme l'un des plus grands explorateurs français de l'Amérique du Nord, tant au Canada qu'aux États-Unis. Lorsque l'histoire était enseignée dans les classes des États-Unis, principalement comme chronique héroïque du développement de la nation américaine, La Salle était inévitablement cité au même titre que le navigateur Henry Hudson et les conquistadors Coronado et Ponce de Leon. Afin d'honorer la mémoire de La Salle, on donna son nom à une voiture américaine, comme ce fut le cas pour Pontiac, De Soto et Cadillac, ces autres personnages célèbres de la période coloniale. Cependant, ce sont les récits historiques de Francis Parkman, avec leur portrait héroïque de La Salle, qui ont le plus contribué à fixer l'identité de cet explorateur et la portée de ses exploits dans la conscience nord-américaine. La Salle - que l'histoire populaire a retenu pour avoir été le premier homme à descendre le cours du Mississippi - est une personnalité historique dont la contribution à la conquête européenne et au développement de l'Amérique du Nord ne sera jamais effacée de la mémoire collective.

 

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L'image de Cavelier de La Salle

Le nom de de Cavelier de La Salle demeure bien connu. Cependant, il ne fait aucun doute que l'héritage qu'il a légué connaît aujourd'hui un déclin, alors que la conquête européenne du continent est de plus en plus dévalorisée par les éducateurs et les historiens et que l'enseignement de l'histoire fondée sur les récits de grands hommes cède le pas à une approche plus sociale et culturelle.

Avantures mal-heureuses du Sieur de La Salle

Au Québec, la Salle figure en bonne place dans la mémoire collective et dans les programmes d'enseignement de l'histoire parmi les grands explorateurs de l'époque de la Nouvelle-France. Cependant, les traces concrètes rappelant la carrière de Cavelier de La Salle sont peu nombreuses. On en trouve au Musée de la Ville de Lachine, en banlieue de Montréal, où les ruines d'une habitation construite dans son ancienne seigneurie ont été converties en musée. Dans l'ensemble, les artefacts qui y sont réunis ne font que peu ou pas référence à La Salle lui-même. Il en est de même à Kingston, en Ontario, là où La Salle occupa jadis le poste de commandant du fort Frontenac. Cet oubli va de pair avec la négligence générale qu'on observe à Kingston concernant le patrimoine français. Une petite partie des murs du fort Frontenac, que des archéologues ont récemment mis à jour, est l'unique rappel de ce patrimoine, dans une ville où le tourisme historique s'inspire presque exclusivement de l'époque coloniale britannique, dont le fort Henry est un bel exemple.  

La Salle et le patrimoine qu'il a légué ont connu un parcours plus significatif aux États-Unis où, comme explorateur, il a toujours été admiré pour son courage. Dans un volume paru en 1854, George Bancroft, auteur d'une histoire monumentale des États-Unis, confère à La Salle le titre de « premier grand navigateur ». Mark Twain consacre quelques pages à La Salle dans La Vie sur le Mississippi et lui attribue le mérite d'avoir été le premier homme qui « pensa à retrouver ce fleuve et à l'explorer ». À ses yeux, La Salle devint ainsi de toute évidence un citoyen honoraire des États-Unis.

Cependant, on doit à Francis Parkman d'avoir donné vie au personnage historique de La Salle. Romantique incurable, cet intellectuel de Boston aimait les œuvres de Sir Walter Scott et de James Fenimore Cooper. Historien à ses débuts, Parkman concevait l'histoire de la Nouvelle-France telle une grande épopée romantique. Et de tous les personnages importants de cette épopée, La Salle était le plus indiqué pour en être le héros.

Le Sieur de La Salle mal-heureusemet assasiné

Le courage et la hardiesse de La Salle n'ont jamais été mis en doute. Parkman admirait ostensiblement sa combativité, son port aristocratique, qualités que d'autres jugeaient répréhensibles chez cet homme. Même ses accès de paranoïa et de quasi-démence, surtout évidents lors de la dernière expédition de La Salle au Texas, ne le rendirent que plus sympathique à Parkman, lui-même sujet à des périodes de profonde dépression.  Le lecteur perçoit la touche délicate de Parkman dans ce passage où l'auteur - faisant allusion au comportement erratique grandissant de La Salle au Texas - attire l'attention sur le handicap émotionnel de son héros : « Il est difficile de ne pas voir dans tout cela la chimère que poursuit un cerveau en crise, désormais incapable de distinguer la frontière entre le possible et l'impossible ».

En raison des dons narratifs de Parkman comme historien et du ton lyrique qui orne occasionnellement sa prose, le portrait qu'il peint de La Salle a bénéficié d'un changement de statut. N'étant plus désormais un nom parmi d'autres dans les chroniques de l'exploration, il devient presque un personnage littéraire. Dans un certain sens, La Salle devient ainsi, en prenant place au panthéon de la littérature, imperméable aux analyses des historiens. Dès lors, il ne peut être « recréé » que de façon imaginaire. Au moins un autre écrivain a tenté de confronter Parkman sur des bases littéraires. En 1986, John Vernon, professeur d'anglais à l'Université de l'État de New York de Binghamton, fit paraître, en réaction à l'hagiographie débridée de Parkman, un roman intitulé La Salle. Bien qu'il constitue un exercice littéraire ingénieux, bien documenté et très élaboré, il n'eut aucune incidence appréciable sur la légende de La Salle aux États-Unis.

Mais au-delà de ce personnage à demi littéraire, qu'en est-il du Cavelier de la Salle historique?

L'histoire de Cavelier de La Salle

Robert Cavelier de La Salle est né en 1643 au sein d'une famille de riches commerçants de Rouen. À 17 ans, il entre chez les jésuites, attiré peut-être par la perspective d'activités missionnaires menées en Chine, aux Indes ou dans les Amériques. Il quitte les jésuites en 1667 alors que ses supérieurs freinent de telles ambitions. La même année, il arrive au Canada, où les Sulpiciens lui attribuent un fief à l'ouest de Montréal. Après y avoir établi des colons et les avoir aidés à exploiter sa seigneurie, La Salle retourne en 1669 à sa quête exploratoire de toujours, tout en exploitant un petit commerce de fourrure. Le gouverneur Frontenac lui ayant confié le commandement du fort nouvellement construit (en 1673) dans l'actuelle ville de Kingston en Ontario, La Salle en fait son point de départ pour explorer les Grands Lacs et le territoire de l'Illinois.

Après avoir traversé de nombreuses épreuves et assisté à d'horribles scènes guerrières, impliquant la Confédération iroquoise et ses rivaux dans la traite des fourrures, La Salle et ses hommes atteignent le fleuve Mississippi par la rivière Illinois. En avril 1682, après deux mois de navigation, ils parviennent à son embouchure sur le golfe du Mexique. La Salle retourne au Canada et en France, où le roi lui accorde un soutien financier pour réaliser son projet de construction d'un fort aux bouches du Mississippi. L'ignorance universelle de la géographie de la région y compromet son retour lors d'une expédition navale qui prit fin en 1685 au Texas dans l'actuelle baie de Matagorda, à 650 km à l'ouest du fleuve Mississippi. Après deux années de pérégrinations dans la région, alors que le nombre d'habitants français de la colonie implantée de façon rudimentaire près de la baie de Matagorda connaît un déclin constant dû à la maladie, aux accidents et aux luttes contre les Indiens du pays, La Salle part en direction du Canada pour y trouver de l'aide. C'est au cours de cette dernière expédition pédestre qu'il est assassiné à la mi-mars de 1687 par des membres mécontents de son équipage.

Les empreintes de la mémoire

Des monuments publics construits à divers endroits aux États-Unis témoignent d'une certaine évolution dans la perception publique de La Salle. Une plaque érigée sur le site du fort Niagara par l'État de New York en 1934 fait référence à La Salle comme « Auteur de grands débuts » et « Porteur de rêves », deux titres qui campent solidement La Salle dans le contexte de l'histoire américaine. Les « grands débuts » ne font manifestement pas référence aux débuts de la province de Québec, mais plutôt à ceux des États-Unis d'Amérique. Les « rêves » que poursuit La Salle font étrangement penser au « Rêve américain ». La plaque indique que « son courage, ses souffrances et son endurance firent émerger le christianisme et la civilisation ».

Monument à Cavelier de La Salle, Indianola (Matagorda Bay), Mississippi

Une plaque plus récente, érigée à Starved Rock, jadis le site d'un fort construit par les hommes de La Salle devenu aujourd'hui un parc d'État de l'Illinois, a conservé cette dimension héroïque chez La Salle, tout en adaptant son image à des sensibilités plus contemporaines. « La Salle était un homme de vision et de courage », mentionne la plaque. « Il a su établir un contact avec les autochtones des États-Unis et leur transmettre la culture européenne, tout en agissant comme artisan de la paix entre les peuples indiens du pays. Ses explorations permirent de repousser la frontière septentrionale de cette région de l'Illinois. » Bien que peu de gens considèrent La Salle d'abord et avant tout comme un « pacificateur », cette étiquette rappelle que, jamais au cours de ses aventures, La Salle ne fit couler de sang indien. Le contraste avec ses homologues espagnols, tels que De Soto, est frappant et il permettrait peut-être de revaloriser l'héritage de La Salle.

Monument à Cavelier de La Salle, Navasota,Texas

Le plus imposant monument en l'honneur de La Salle fut érigé en 1939 sur la plage d'Indianola, près du site de la colonie qu'il avait fondée au Texas sur les berges de la Garcitas Creek. Cheveux au vent et portant une épée massive, La Salle, dont la taille atteint environ deux mètres cinquante, s'élève tel un chevalier arthurien. Cependant, sa tête ne se dresse pas triomphante. Au contraire, elle fixe le sol, constatant amèrement son échec. La citation inscrite sur le monument est de Parkman : « L'Amérique lui doit un éternel souvenir. Sa mâle silhouette coulée en bronze est celle de l'héroïque pionnier qui la conduisit à la possession de son plus riche héritage ». C'est comme si les créateurs de ce monument voulaient consoler La Salle de la terrible débâcle qu'a connue son expédition au Texas en lui conférant le statut d'Américain honoraire accompagné d'un bouquet de gratitude.

C'est aussi au Texas que fut érigé le monument le plus surprenant dédié à La Salle. Il s'agit d'une statue grandeur nature située sur la rue principale de Navasota, Texas, là où, au dire de nombreux historiens, La Salle fut assassiné. Érigée en 1930, cette statue le dépeint tel un « pionnier et homme d'État, un constructeur d'empire, noble de rang et de caractère ». La pose le montre alors qu'il tend une main amicale à un Indien du pays. Il s'agit à nouveau d'une touche toute parkmanienne, bien que Parkman ne se serait pas montré aussi sentimental à l'égard des Indiens. Un essai, intitulé A History of the La Salle Monument at Navasota et signé Loyal V. Norman, en donne une autre interprétation. La bibliothèque municipale de Navasota possède un exemplaire dans lequel Norman écrit : « À titre de martyr ayant consacré sa vie à l'avancement du Texas, La Salle a été classé parmi les héros d'Alamo ».

Buste de Cavelier de La Salle, Navasota, Texas

Il s'agit probablement du plus invraisemblable rôle que La Salle ait tenu. Le commentaire témoigne d'une certaine élasticité de l'image de La Salle, ce qui est plutôt un avantage dans une perspective patrimoniale.

Notons enfin qu'on retrouve un autre monument de La Salle à Navasota. Près du stationnement d'un restaurant chinois, on découvre un buste à l'expression peu engageante.  Il est le don du Comité français du bicentenaire des Etats-Unis et de l'Association France-Amérique.

 

Construire le patrimoine de La Salle

De tous les grands noms qui marquèrent la Nouvelle-France du XVIIe siècle, La Salle et Samuel de Champlain sont ceux qui reçurent les plus grands éloges de George Bancroft, historien du XIXe siècle, de Mark Twain et, surtout, de Francis Parkman. De manière universelle, ces auteurs américains prennent un ton admiratif pour vanter l’exploit le plus célèbre de La Salle, soit sa descente du Mississippi vers le golfe du Mexique. Sans oublier, bien sûr, sa dernière et fatale expédition au Texas, un épisode qui, pour eux, ne fait que donner un air de noble tragédie à la carrière de La Salle. Pendant ce temps, sa mémoire continue d’être honorée par le biais de plaques et des monuments historiques dans les États de New York, de l’Illinois et du Texas.

Tous les documents historiques disponibles sur La Salle ayant fait l’objet d’études approfondies de la part d’historiens pendant plusieurs générations, il est intéressant de se demander si, dans l’avenir, on pourra en proposer une réinterprétation d’envergure. Si un éclairage nouveau est éventuellement porté sur La Salle, il se pourrait que celui-ci provienne des actuelles enquêtes anthropologiques et archéologiques portant sur les conditions de vie des Européens et des Amérindiens de l’époque. Toutefois, il se pourrait bien que la hausse ou le déclin du statut d’icône de La Salle et, ce faisant, de sa valeur patrimoniale, soit causé non pas par des chercheurs mais bien par des romanciers, des cinéastes et des producteurs de télévision intrigués par le personnage de La Salle et désireux d’entreprendre une réévaluation imaginative de l’explorateur.

La Salle constitue le parfait exemple d’un esprit voué à la découverte et à l’accomplissement individuel ainsi qu’à la compréhension et à l’acceptation de « l’Autre » – dans son cas, l’Amérindien. L’aspect le plus touchant de son histoire concerne sa capacité à communiquer avec les Amérindiens et à établir avec eux de véritables relations d’échange, souvent plus profondes qu’avec ses propres compatriotes. C’est presque un miracle transculturel que La Salle et les Amérindiens se soient si bien compris.

Il est vrai qu’en fin de carrière, lors de son séjour au Texas, La Salle manqua de discernement à bien des égards. Pour diverses raisons, il ne sut exercer ses talents pour s’allier aux autochtones en tenant compte de leurs intérêts. Toutefois, cela ne devrait pas ternir l’ensemble des négociations fructueuses qu’il a menées avec les autochtones, ni le triomphe remarquable qu’il a remporté sur lui-même et sur sa difficulté à établir des relations de confiance avec ses compatriotes. Pendant une brève période, alors qu’il descendait le Mississippi avec quelques fidèles compagnons, il s’est pleinement réalisé. Voilà assurément un récit historique qui peut être considéré comme un patrimoine en devenir.  



Philip Marchand
Journaliste et écrivain

 

BIBLIOGRAPHIE

Doughty, Howard, Francis Parkman, New York, Macmillan, 1962.

Margry, Pierre, Lettres de Cavelier de La Salle et correspondance relative à ses entreprises, 1678-1685, Brooklyn (N. Y.), AMS Press, 1974.

Parkman, Francis, La Salle and the Discovery of the Great West, Boston, Little, Brown & Co., 1895.

Vernon, John, La Salle, New York, Penguin Books, 1987.

Weddle, Robert S., The Wreck of the Belle, the Ruin of La Salle, College Station (Tex.), Texas A&M University Press, 2001.

 

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