Caribou de la Gaspésie

par Gourbilière, Claire

Caribou de la Gaspésie sur le mont Albert. © M. L'Italien/Parc national de la Gaspésie.

En 2000, le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada a désigné le caribou de la Gaspésie « espèce en voie de disparition ». Le troupeau de caribous de la Gaspésie, estimé à 200 têtes en 2006, est un vestige des grandes populations de caribous des bois qui parcouraient encore la majeure partie du nord-est de l’Amérique jusqu’à la fin du XIXe siècle. Il s’agit du seul troupeau de cette espèce qui vive encore au sud du fleuve Saint-Laurent. Malgré les mesures de protection en place sur le territoire du parc national de la Gaspésie, qui est aujourd’hui le principal habitat du caribou de la Gaspésie, la survie de la population est toujours menacée et fait débat. Les nombreux efforts de conservation qui sont déployés pour maintenir cette population relique, à la fois témoignage du passé et attrait touristique majeur de la région, ne sont pas sans conséquences pour d’autres espèces animales et pour l’économie de la région.

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Le caribou des bois aujourd’hui

Localisation du parc national de la Gaspésie. © SEPAQ/Parc national de la Gaspésie.

Le caribou (Rangifer tarandus) comprend actuellement sept sous-espèces, dont une seule est représentée au Québec. Il s’agit du caribou des bois (Rangifer tarandus caribou), caractérisé par la couleur plus foncée de son pelage et la forme de ses bois. Il abonde dans les régions nord du Québec.

La population de caribous de la Gaspésie appartient elle aussi à la sous-espèce de caribous des bois, mais elle est la seule harde relique qui persiste à l’état naturel au sud du fleuve Saint-Laurent, d’où sa grande valeur biologique et patrimoniale, qui justifie les efforts de préservation dont elle est l’objet. Longuement discutée, la distinction génétique du troupeau de caribous de la Gaspésie a été confirmée en 2002.

En 1953, le premier dénombrement de la population de caribous de la Gaspésie établit qu'il existait entre 700 et 1 500 individus. L’auteur de cet inventaire, Gaston Moisan, précisait toutefois que le nombre inférieur était sans doute plus proche de la réalité. Depuis cette date, la population a décliné de façon constante jusqu’au seuil minimum atteint en 1999, avec une estimation de 96 caribous. Depuis, plusieurs mesures de conservation ont permis de relever ce nombre à environ 200 individus. Le caribou de la Gaspésie occupe un territoire de 1 345 km² qui comprend les 802 km² du parc national de la Gaspésie.

Le milieu de vie spécifique du caribou de la Gaspésie

Dans la toundra alpine, sur le mont Albert. © D. Desjardins/Parc national de la Gaspésie.

Le caribou de la Gaspésie vit dans un milieu montagneux; on le trouve principalement dans trois secteurs : dans le massif des Chic-Chocs sur les monts Albert (1 154 m) et Logan (1 150 m), ainsi que dans le massif des monts McGerrigle. Peu d’échange sont observés entre ses trois hardes. L’altitude des massifs offre une grande diversité d’habitats : le troupeau ne migre pas mais se déplace fréquemment à différentes altitudes selon les saisons. Lors du rut par exemple, les caribous se rassemblent dans la toundra alpine. C’est à cet endroit que les combats entre mâles auront lieu. Le caribou de Gaspésie semble apprécier les sommets dénudés : le grand champ de vision lui permet de mieux observer ses congénères ou les prédateurs.

Le pelage est brun-foncé en été et prend une teinte grise avec une mante de poils blancs en hiver. Sur leurs têtes, mâles et femelles portent des bois longs, fins, aplatis et compacts qui constituent le panache. Ces bois tombent tous les ans, à différentes périodes selon le sexe. Aux extrémités des pattes, de larges sabots en forme de croissant permettent au caribou de marcher dans la neige avec aisance.

« Celui qui gratte le sol pour trouver sa nourriture. » © C. Isabel/Parc national de la Gaspésie.

Le caribou de la Gaspésie est un cervidé de grande taille (entre 1 mètre et 1,40 m taille à l’épaule) pesant de 120 à 170 kilogrammes. Le mot caribou dériverait du micmac « xalibu » qui signifie « celui qui gratte le sol pour trouver sa nourriture ». En été, il se nourrit de lichens terrestres, de graminées, de mousses et d’autres plantes qu’il parvient à trouver. En hiver, lorsque la neige devient une couche de glace l’empêchant de gratter le sol, le caribou se dirige vers les forêts des étages subalpins pour se nourrir des lichens arboricoles. La disparition de cette ressource alimentaire hivernale est l’un des problèmes de la conservation du caribou. En effet, les lichens arboricoles ne se trouvent en quantité suffisante que sur des arbres centenaires, dans les vieilles forêts de conifères qui sont de moins en moins nombreuses en raison de l’exploitation forestière.

Une ressource naturelle précieuse dans l’histoire des peuples autochtones

Séchage de la viande de caribou, une ressource alimentaire essentielle. © SEPAQ/Archives du parc national de la Gaspésie.

La chasse au caribou est un pilier de la culture de nombreux peuples autochtones du nord du Québec, tels les Inuits, les Cris, les Naskapis et les Montagnais. Sans elle, la survie dans le nord aurait été difficile. Certaines tribus suivaient les troupeaux toute l’année, d’autres les chassaient principalement à la fin de l’été. La fourrure fournissait des vêtements chauds et de la literie. Le reste de la peau permettait de confectionner des vêtements légers, chauds et souples et des toiles de tentes. Les raquettes étaient également faites de lanières de cuir et de nerfs. Quand à la viande, elle nourrissait les hommes et les chiens. Rien n’était gaspillé : les os servaient à faire des aiguilles et des ustensiles. On produisait des outils avec les bois et du fil avec les tendons. Le gras, une fois fondu, était un précieux combustible, offrant chaleur et lumière.

Le chasseur anglophone P. Chubb, accompagné de ses deux guides. © SEPAQ/Archives du parc national de la Gaspésie.

Lors de l’arrivée des Européens, le caribou semblait encore abondant sur l’ensemble du territoire. Même si les anciennes données sont d'ordre qualitatif, il n’y a cependant aucun doute : les populations de l’est ont régressé au cours du XXe siècle. Le développement de l’agriculture et l’exploitation forestière ont détruit les habitats. La chasse destinée à nourrir la population grandissante a réduit encore plus les effectifs des populations. Le caribou des bois a disparu de l’Île-du-Prince-Édouard avant 1873. Pour le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse, l’extinction a eu lieu vers les années 1920. Les terres montagneuses et rocheuses, non propices à l’agriculture et aux autres formes d’exploitation humaine, sont devenues des refuges pour les caribous. Mais en Gaspésie, les cervidés n’étaient pas totalement intouchables par l’homme, puisque des clubs de chasse et de pêche ont vu le jour dès la fin du XIXe siècle, attirant une élite anglo-saxonne et néo-canadienne. Le saumon, le caribou et l’orignal étaient les principaux attraits de ces adeptes de la pêche et de la chasse sportives.

Une population menacée

Récemment, de nouvelles menaces ont ajouté des pressions supplémentaires sur le caribou de la Gaspésie. L’ours noir est un prédateur connu depuis longtemps; en revanche, l’arrivée du coyote dans le parc, au cours des années 1980, a considérablement augmenté la mortalité chez les faons. La mise bas a lieu à la fin de mai, et la vulnérabilité des faons s’étale jusqu’au début de l’automne.

Le coyote, un prédateur redoutable. © SEPAQ/Parc national de la Gaspésie.

L’homme tient également sa part de responsabilité dans les méfaits indirects causés au caribou. D’une part, l’exploitation des forêts de conifères matures dans les zones périphériques du parc entraîne une modification de l’équilibre écologique et un rajeunissement des forêts. Les plantes pionnières, dont les baies, se développent sur les grandes aires coupées à blanc, provoquant la prolifération du coyote et le développement des populations d’ours noir. Autre effet néfaste, les lichens arboricoles n’ont plus de support pour se développer et les ressources alimentaires du caribou s’amenuisent.

D’autre part, la seule présence des visiteurs sur les sommets du parc national de la Gaspésie affecte le comportement de l’animal. Les caribous sont plus aux aguets, ils ressentent une menace, ils marchent ou courent davantage et s’alimentent et se reposent donc moins. Ils se réfugient dans les forêts afin de s’y camoufler et deviennent alors beaucoup plus vulnérables aux prédateurs.

Les mesures de protection mises en place

Plusieurs mesures ont été instaurées afin de protéger l’animal. Le parc national de la Gaspésie fut créé en 1937 et la chasse fut interdite à partir de 1949 au sud du 50e parallèle. Malgré ces mesures, les populations n’ont cessé de régresser. De 700 à 1 500 individus environ dans les années 1950, la petite population isolée de la Gaspésie-Atlantique est passée à environ 200 caribous dans les années 1970. On s’est alors intéressé à la protection de l’habitat du cervidé et en 1977, toute forme d’exploitation minière et forestière a été interdite à l’intérieur du parc national de la Gaspésie.

Opération de survol aérien. © C. Isabel/Parc national de la Gaspésie.

Le premier plan de redressement a été lancé en 1990; il était axé sur le contrôle des prédateurs et la diminution du dérangement. Des opérations de contrôle des prédateurs des faons ont eu lieu entre 1990 et 1996 et ont repris en 2001. Des mesures d’encadrement et de sensibilisation des visiteurs pendant les périodes critiques ont également été établies.

Afin d’assurer le suivi de la population, des inventaires aériens ont eu lieu annuellement depuis une vingtaine d’années. La méthode, malgré son caractère approximatif, est la seule qui permette d’estimer le nombre d’individus et de suivre l’évolution de la population. De 1998 à 2001, la Société de la faune et des parcs du Québec (FAPAQ), en collaboration avec des organismes régionaux, a mis en place un programme de suivi de 26 caribous par télémétrie. Des survols du territoire étaient effectués toutes les deux semaines. Ce programme a permis de comprendre les déplacements du caribou afin de repérer les sites qui devraient être protégés hors du parc. En 1999, une entente entre le ministère des Ressources naturelles et la FAPAQ a permis de proposer aux exploitants forestiers des modalités d’intervention plus favorables au caribou dans certaines zones situées en dehors du parc national de la Gaspésie.

Malgré toutes ces mesures, la situation du caribou est restée problématique. Aussi un nouveau plan de rétablissement (2002-2012) a-t-il été institué. Il a pour objectif de rétablir une population de 150 caribous en 2007, et de 175 en 2012. Afin d’y parvenir, deux actions ont été menées de front : d’une part, le contrôle des ours et des coyotes susceptibles de fréquenter les sommets avant et pendant la mise bas; d’autre part, un programme de recherche qui veut déterminer des stratégies d’aménagement de l’habitat à long terme, le but étant de limiter les interactions entre le caribou et ses prédateurs. Les premiers résultats de ce plan sont concluants, puisque le premier objectif de 150 caribous en 2007 est atteint.

Dans le parc, des activités visent à sensibiliser le public. Par des conférences, des publications ou des sorties animées par des gardes-parc naturalistes, le visiteur peut comprendre les enjeux de la conservation du caribou et l’intérêt des mesures mises en place. Une exposition au concept novateur a été inaugurée en 2007; les éléments d’informations sont étalés dans l’espace : dans une salle, en extérieur, le long d’un sentier et au sommet du mont Jacques-Cartier.

Les enjeux de la protection

Randonnée sur le mont Albert. © M. L'Italien/Parc national de la Gaspésie.

Le cadre législatif a défini le statut du caribou de la Gaspésie dès avril 1984. Le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) a alors désigné la population de la Gaspésie-Atlantique « menacée ». En mai 2000, le réexamen du statut a désigné l'espèce « en voie de disparition ». Depuis 2001, la population et son habitat ont été désignés vulnérables par le gouvernement du Québec. La Loi sur les espèces menacées ou vulnérables du Québec interdit de nuire aux individus de cette espèce, d’en posséder ou d’en faire le commerce, et de détruire leur habitat.

La conservation du caribou soulève de nombreuses questions : jusqu’à quel stade doit-on intervenir dans le contrôle des prédateurs? Pourquoi gérer la forêt jouxtant le parc d’une manière spéciale? Au fond, la disparition de cette population de caribou serait-elle en soi dramatique? En fait, le cas du caribou soulève des questions d’ordre éthique, notamment celle du rôle de l’homme dans la conservation d’une espèce.Du point de vue patrimonial, la réponse ne fait pas appel : la population de caribous de la Gaspésie est un vestige, un témoignage culturel et historique qu’il est important de conserver. La notion de biodiversité est aussi en jeu, l’homme ne peut plus regarder les espèces s’éteindre sans intervenir. D’autant plus que les déséquilibres actuels ont pour origine les actions humaines passées. D’autres raisons motivent ces efforts de conservation. Le caribou est un attrait touristique majeur, il contribue à bonifier la situation économique difficile de la région et accroît l’achalandage au parc national de la Gaspésie.

Jugeant que le contrôle des prédateurs doit rester une intervention provisoire, plusieurs personnes étudient actuellement les possibilités qu’offrirait un aménagement différent du territoire. Par exemple, une gestion plus durable des forêts jouxtant le parc permettrait la régénération des vieux arbres et rétablirait un équilibre écologique entre le caribou, ses prédateurs, ses sources alimentaires et l’homme.

 

Claire Gourbilière

Étudiante en cinquième année à l’École nationale d’Ingénieurs de l’Horticulture et du Paysage (France)
Option Ingénierie des Territoires.


Remerciements à Claude Isabel
Responsable de la conservation et de l’éducation au parc national de la Gaspésie

 

BIBLIOGRAPHIE

Comité de rétalissement du caribou de la Gaspésie, Plan de rétablissement du caribou de la Gaspésie (2002-2012) (Rangifer tarandus caribou) : mise à jour, Québec, Société de la faune et des parcs du Québec, Direction du développement de la faune, 2004, 51 p.

Courtois, Réhaume, Louis Bernatchez, Jean-Pierre Ouellet et Laurier Breton, Les écotypes du caribou forment-ils des entités génétiques distinctes?, Québec, Société de la faune et des parcs du Québec, Direction de la recherche sur la faune, 2002, 35 p.

Crête, Michel, René Nault et Hélène Laflamme, Plan tactique : caribou, Québec, Ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche, Direction de la gestion des espèces et des habitats, 1990, 73 p.

Fournier, Nelson, et André Beaulieu, « Le caribou de la Gaspésie : notre patrimoine naturel », Gaspésie, vol. XXXVI, no 3, hiver 2000, p. 15-18.

Messier, François, Jean Ferron et Jean-Pierre Ouellet, Le caribou du parc de la Gaspésie : synthèse des connaissances et recommandations sur la gestion du troupeau, Québec, Ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche, Direction de la faune terrestre, 1987, 65 p.

Sirois, Luc, et Jean-Pierre Ouellet, « Le caribou gaspésien et les enjeux de la conservation de ses habitats », Gaspésie, vol. XXXV, no 2, automne 1998, p. 38.

 



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Vidéos
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